Le secteur de la prévoyance est souvent mal connu des Français parce qu’il porte, en apparence, sur des fractions marginales de salaire. S’il reste de fait marginal par rapport à la sécurité sociale, le secteur draine quand même 15 milliards € annuels de cotisations. Massivement adossé à la retraite complémentaire (fédérations AGIRC-ARRCO), il connaît de fortes évolutions dont les regroupements ou les fusions constituent la part émergée.
Des regroupements en perte de vitesse?
Il y a à peine trois ans, le secteur de la prévoyance était parcouru par une idée fixe: la nécessaire réduction des acteurs à un quatuor de majors dont les noms étaient connus (Pro-BTP, AG2R, Malakoff-Médéric et Humanis). Cette obsession consistait à diviser par trois le nombre d’acteurs pour obtenir une forte concentration du marché.
Les motivations de cette stratégie baptisée 3+1 par le MEDEF (trois groupes concurrentiels et un groupe professionnel) ont été toujours été plus complexes qu’elles n’ont paru. Officiellement, elles visaient à éviter des faillites et à appliquer au petit monde de la prévoyance les règles de la directive Solvabilité 2, qui renforce les exigences de fonds propres pour les assureurs, et tout spécialement pour les assureurs de personnes. La doctrine en vigueur au MEDEF visait à prémunir les groupes réputés ne pas disposer de la taille critique contre des prises de contrôle extérieures ou contre des défaillances douloureuses.
Assez curieusement, depuis la minoration du rôle de Bernard Lemée, ancien directeur des ressources humaines de la BNP et ancien président de Malakoff-Médéric (plus quelques autres casquettes au MEDEF), cette logique des 3+1 semble se déliter ou, en tout cas, avoir pas mal de mou dans sa réalisation. Tout à coup, le monde patronal semble beaucoup moins enclin à regrouper à tout-va.
Quel rôle pour Thibault Lanxade?
Dans ce ramollissement des volontés, la figure de Thibault Lanxade, vice-président du MEDEF, joue probablement un rôle central. Le fils de l’amiral s’est en effet souvenu sur le tard d’un ancien camarade de jeu: Christian Schmidt de la Brélie, directeur général de l’un des principaux groupes menacés par les fusions que Bernard Lemée convoitait, Klesia. La nomination à point nommé de Thibault Lanxade comme administrateur de Klesia a permis de dénouer bien des angoisses dans le monde de la protection sociale. Le vice-président du MEDEF a en effet su persuader les acteurs du secteur de l’intérêt que pouvait représenter une temporisation dans la manie des fusions.
Depuis plusieurs mois, le monde patronal se montre donc beaucoup moins pro-actif sur le sujet et l’engouement pour les mariages de raison se tarit. En particulier, les deux acteurs qui semblaient en position d’équilibrisme: Klesia et Apicil, paraissent avoir gagné un répit pour plusieurs années. Certes, ces répits sont toujours aussi peu prévisibles, dans la mesure où la moindre turbulence peut les remettre en cause (comme le départ inopiné du directeur général de Malakoff-Médéric, par exemple, qui pourrait raviver les ambitions de Schmidt de la Brélie).
Néanmoins, l’évidence s’impose: la frénésie des fusions est passée.
Le flop d’Alliance Pro
Dans ce malström de fusions, le serpent de mer de Pro-BTP et de son avenir semble avoir replongé dans les profondeurs abyssales.
On se souvient que ce géant de la prévoyance dans le bâtiment était supposé regrouper autour toutes les institutions de prévoyance ou tous les groupes qui souhaitaient conserver une forte connotation professionnelle. C’était notamment le cas d’Agrica, d’Audiens, d’IRP Auto ou de B2V. L’agrégat de ces structures autour de Pro-BRP avait bien commencé, avec des rapports de consultants parfaitement rédigés dont la finalité était de justifier l’absorption de ces acteurs dans une nouvelle entité baptisée Alliance-Pro.
Progressivement, ce projet a pris l’eau jusqu’à devenir de moins en moins évident. En particulier, les défections d’Agrica et d’IRP Auto ont largement vidé le projet de son contenu.
Parallèlement, le départ à la retraite du directeur général de Pro-BTP, Paul Grasset, ne facilite pas la poursuite des projets. Son successeur, M. Naerhuysen, venu du cabinet du président de la République, n’a pas encore fait part de ses intentions dans ce dossier. Pour une succession qui intervient au 1er janvier 2016, c’est fâcheux.
L’avenir de Klesia
Un autre morceau d’importance s’appelle Klesia. Quel avenir pour ce groupe né de la fusion entre D&O, spécialisé dans le transport, et Mornay, spécialisé dans le médicament? Ce mariage de la carpe et du lapin suscite parfois bien des complexités internes et semble fortement dépendant aux accords de branche dont le Conseil Constitutionnel a contesté la légalité.
Pendant longtemps, la planète de la prévoyance a parié sur une fusion du groupe avec Malakoff-Médéric. Toutefois, les personnalités respectives des deux directeurs généraux (Guillaume Sarkozy et Christian Schmidt) n’ont guère facilité cette perspective. Les deux hommes ont des tempéraments bien trempés et l’on imagine mal une coexistence harmonieuse entre eux.
En outre, la fusion des deux groupes pose quelques difficultés annexes, comme le choix de l’organisation syndicale légitime à assurer la présidence de l’ensemble. Il fut un temps où FO aurait volontiers conduit le destin de cette nouvelle structure, mais les appétits sont nombreux, et la CGC, par exemple, pourrait être en embuscade dans ce dossier.
L’avenir d’Apicil
Un autre acteur devrait soulever quelques difficultés: le lyonnais Apicil, relativement isolé dans sa région, mais à la tête d’un pactole de plusieurs centaines de millions d’euros de fonds propres. Ce groupe dirigé par un ancien de Malakoff, et bien introduit dans le monde syndical, notamment du côté de la CGC, n’a pas de raison objective de fusionner aujourd’hui. Il n’a pas de problème de solvabilité et il peut résister à de nombreuses tempêtes. En revanche, un partenariat large peut avoir un sens commercial.
Son avenir ne se situe probablement pas dans un rapprochement avec un autre groupe de protection sociale. Cette évolution constituera une clé de lecture pour le futur: l’ère est-elle venue pour les groupes, d’essaimer vers les mutuelles ou les banques, plutôt qu’à se regrouper?