Cet article est paru initialement sur le site du syndicat de salariés CFDT.
Le droit de grève est un droit constitutionnellement garanti (1). Aussi, « sauf faute lourde imputable au salarié », le fait de l’exercer ne saurait « justifier la rupture du contrat de travail » (2). Un salarié qui, dans un tel contexte, serait malgré tout visé par un licenciement serait donc fondé à en requérir la nullité et à exiger sa réintégration. À quelle indemnisation pourra-t-il prétendre entre la date de son départ de l’entreprise et celle de son retour ? C’est à cette délicate question qu’un arrêt récent de la Cour de cassation vient de répondre. Réponse qui se trouve être dans la lignée d’une jurisprudence vieille de presque 10 ans (3). Cass. soc. 25.11.15, n° 14-205.27
Grève et conséquences
Les 23 et 24 juillet 2008, un salarié exerçant en qualité de chauffeur poids lourd a participé à un mouvement de grève aux fins de soutien aux revendications portées par le délégué syndical de l’entreprise.
Le 3 octobre suivant, il est informé, par le service planning de l’entreprise, que dorénavant, « il n’effectuerait plus de tournée supplémentaire entraînant la réalisation d’heures supplémentaires ». Le choc est rude pour le salarié, car une telle décision, qui semble clairement dictée par la volonté de réprimer sa récente participation à un mouvement de grève, est clairement de nature à lui faire perdre une part non négligeable de sa rémunération. Amer et désarçonné, il explosa alors de colère et laissa échapper, à l’encontre des agents du service planning, des propos pas franchement amènes. Des « fils de pute » et autre « faux culs » fusèrent ! En réaction à l’esclandre ainsi provoquée, l’employeur décida de recourir aux grands moyens. Le salarié fut, en effet, immédiatement placé hors les murs de l’entreprise via une mise à pied conservatoire promptement suivie d’un licenciement pour faute grave.
Licenciement nul et droit à réintégration
Le salarié licencié ne tarda pas à agir en justice. Et le succès finit par être au rendez-vous puisque, le 18 septembre 2012, la cour d’appel jugea que le licenciement qui, près de quatre années en amont, avait été prononcé, devait être considéré comme nul. Qui plus est, la cour fit également suite à une demande expresse du salarié en ordonnant, au 30 octobre 2012, sa réintégration au sein de l’entreprise. Par contre, s’agissant de son indemnisation pour la (longue) période entre la date du licenciement à celle de la réintégration, la même cour décida, de ne rien décider du tout. Elle se contenta, en effet, de « renvoyer les parties à calculer » (elles-mêmes) « le montant du préjudice financier subi par le salarié depuis son licenciement jusqu’à sa réintégration effective ».
Dans les conclusions qu’il avait produites devant la cour d’appel, le salarié avait précisé qu’« il s’engageait à déduire » des salaires qu’il aurait dû percevoir tout au long de la période courant d’octobre 2008 à octobre 2012 « l’intégralité des sommes perçues depuis son licenciement, en cas d’annulation de ce dernier ».
Finalement, le salarié s’aperçut que cet engagement n’avait pas franchement été frappé au coin du bon sens et il décida de revenir dessus. Possible conséquence de ce revirement, il n’y eut, au final, pas d’accord sur « le montant du préjudice financier ». Aussi, le salarié n’eut-il d’autre choix que de revenir taper à la porte de la cour d’appel pour que ce préjudice soit judiciairement évalué.
La question du préjudice financier
Une « requête aux fins d’ordonner une expertise tendant à reconstituer » son niveau de rémunération et « de faire condamner l’employeur au paiement d’une provision » fut déposée par le salarié. Mais cette fois-ci, sa démarche ne fut pas couronnée de succès puisqu’il se trouva débouté de sa demande.
Se référant à l’engagement que le salarié avait pris dans ses conclusions initiales, la cour d’appel en déduisit que l’arrêt du 18 septembre 2012, qui avait annulé le licenciement, avait été pris à la lumière d’un engagement clair du salarié. Celui de « déduire » des salaires qu’il aurait dû percevoir tout au long de la période courant d’octobre 2008 à octobre 2012 « l’intégralité des sommes perçues depuis son licenciement ». Or, cet arrêt, contre lequel aucun pourvoi en cassation n’avait été formé, avait, d’après la cour d’appel, acquis « autorité de la chose jugée ».
En conséquence, la cour décida de demander au salarié de produire l’ensemble des documents permettant d’établir quels avaient été ses revenus sur les quatre années en question, afin de pouvoir les déduire du total des salaires qu’il aurait dû percevoir s’il n’avait pas été licencié. Celui-ci s’y refusa catégoriquement puisqu’il considérait qu’il devait être indemnisé à hauteur de l’ensemble des salaires non perçus et ce, sans qu’il ne soit procédé à quelque déduction que ce soit.
Aussi, tirant les conséquences de ce qu’elle considérait être une défaillance de la part du salarié, les juges d’appel estimèrent qu’ils ne disposaient pas des éléments nécessaires au calcul de la provision due.
Recadrage de la Cour de cassation
Fort heureusement, le salarié décida de se pourvoir en cassation contre cette décision de la cour d’appel. La haute juridiction a conclu à la cassation, tout en procédant à un recadrage en bonne et due forme vis-à-vis du raisonnement qu’avaient adopté les juges du fond.
S’agissant de l’engagement qui avait été initialement pris par le salarié, elle affirme très clairement qu’on ne peut lui opposer l’« autorité de la chose jugée » puisqu’il n’avait été, ni repris, ni tranché par l’un des dispositifs de l’arrêt d’appel du 18 septembre 2012. Au demeurant, le principe d’unicité d’instance permet, quoi qu’il en soit, de déposer des demandes nouvelles, y compris à hauteur d’appel.
Plus intéressant encore, s’agissant du fond du droit, et de la prétendue non atteinte à un droit fondamental, la cour de cassation prend, de la même façon, à rebours l’argumentation de la cour d’appel ! Après avoir rappelé, en substance, ce que disent les textes, à savoir que « tout licenciement prononcé à l’égard d’un salarié en raison de l’exercice de son droit de grève ou de faits commis dans l’exercice de ce droit est nul, sauf faute lourde » (4) et que « l’exercice du droit de grève ne saurait donner lieu, de la part de l’employeur, à des mesures discriminatoires en matière d’avantages sociaux » (5), la Cour de cassation affirme avec force que la nullité d’un licenciement ainsi prononcé « caractérise une atteinte à la liberté d’exercer le droit de grève garanti par la Constitution » et qu’en conséquence le salarié qui, dans ce cadre, demande sa réintégration a droit à une indemnité « égale au montant de la rémunération qu’il aurait dû percevoir entre son éviction de l’entreprise et sa réintégration peu important qu’il ait ou non perçu des salaires ou un revenu de remplacement pendant cette période ».
Aussi, pour la Cour de cassation, dès lors qu’un licenciement a été reconnu nul, car constituant une mesure de rétorsion vis-à-vis d’une participation à un mouvement de grève, et que le salarié a entendu réintégrer l’entreprise, ce dernier a droit, à tout coup, à une indemnisation correspondant à l’ensemble des salaires qu’il aurait dû percevoir entre le licenciement et la réintégration.
(1) Art. 7 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (repris en 1958). (2) Art. L. 2511-1 al. 1er C. trav. (3) Cass. soc. 02.02.06, n° 03-47.481. (4) Art. L. 2511-1 al. 1er C. trav. (5) Art. L. 1132-2 C. trav.