Quel pouvoir a le juge sur la qualification de la faute lors d’un licenciement ?

Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat de salariés CFDT.

Lorsqu’un employeur se place sur le terrain de la cause réelle et sérieuse pour licencier un salarié, le juge ne peut aggraver la qualification de la faute retenue (Cass.soc., 20.12.17, n°16-17199). 

  • Le rôle du juge en matière de qualification des faits

L’article 12 alinéa 2 du code de procédure civile précise que le juge doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient retenu. Sur ce fondement, la Cour de cassation impose depuis longtemps aux juges du fond de requalifier les faits lorsque l’employeur a commis une erreur : ainsi, le juge a le pouvoir de transformer une faute lourde en faute grave ou simple, ou encore de transformer une faute grave en faute simple, s’il considère que le dégrée de qualification retenue est trop « sévère » au regard des faits invoqués (1). 

Mais peut-il procéder en sens inverse, c’est-à-dire aggraver la qualification retenue par l’employeur, par exemple en requalifiant une faute simple en faute grave ou lourde ? La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de répondre négativement à la question au sujet d’un licenciement pour faits de grève : l’employeur avait licencié le salarié pour faute grave, alors que les textes exigent une faute lourde ; la Cour de cassation avait estimé qu’il ne pouvait être reproché à la Cour d’appel d’avoir prononcé la nullité du licenciement sans avoir recherché si les faits n’étaient pas constitutifs d’une faute lourde. 

L’affaire ici commentée en question est l’occasion pour la Cour de cassation de rappeler les règles en la matière, au sujet d’un licenciement d’un salarié victime d’une maladie professionnelle pendant la suspension du contrat. 

  • Rappel des faits

Cette affaire concerne un salarié licencié pendant une période de suspension de son contrat suite à une maladie professionnelle. 

Dans une telle situation, l’article L. 1226-9 du code du travail précise que le licenciement ne peut intervenir qu’à la condition pour lui de justifier soit d’une faute grave de l’intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l’accident ou à la maladie. A défaut, le licenciement doit être considéré par les juges comme étant nul. 

En l’espèce, le salarié, en arrêt de travail suite à une maladie professionnelle, a fait l’objet d’un licenciement pour cause réelle et sérieuse, l’employeur invoquant notamment dans sa lettre des agressions verbales et physiques ainsi que des gestes déplacés envers des collègues de travail. L’employeur, qui auraient pu, a priori, qualifier ces faits de faute grave, ne l’a pas fait : il s’est placé sur le terrain de la cause réelle et sérieuse, et, tout en dispensant le salarié de son préavis, le lui a rémunéré. 

La faute grave n’étant pas retenue par l’employeur dans la lettre, en violation du code du travail, le salarié décidé de saisir le conseil de prud’hommes pour faire reconnaître la nullité du licenciement, prononcé en violation des règles protectrices du salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle. 

  • La décision des juges du fond

Face à cette affaire, la Cour d’appel a rejeté la demande du salarié et considéré le licenciement comme étant justifié. Elle rappelle qu’il est du rôle du « juge de donner aux faits invoqués au soutien du licenciement leur véritable qualification » et qu’ils ne peuvent s’en tenir à la lettre de licenciement qui emploie le terme de « licenciement pour cause réelle et sérieuse »

Sur le fondement de ce principe, face aux faits invoqués par l’employeur, la Cour d’appel a considéré qu’elle pouvait en déduire que celui-ci avait entendu « se placer sur le terrain disciplinaire et que le licenciement a été prononcé en raison pour faute grave reprochée au salarié ». La Cour d’appel explique en effet que les faits retenus à l’encontre du salarié, à savoir des propos à connotation sexuelle, un comportement indécent et des attitudes et gestes déplacées revêtaient une certaine gravité et rendaient impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Selon elle, le licenciement ainsi prononcé était bien valable. 

  • L’impossibilité pour le juge d’aggraver la qualification de la faute

Saisie du pourvoi, la Cour de cassation a dû répondre à la question de savoir si le juge du fond a le pouvoir d’aggraver la qualification de la faute retenue par l’employeur. 

Pour commencer, la cour rappelle les règles relatives au licenciement d’un salarié pendant une suspension de son contrat suite à une maladie professionnelle, à savoir l’exigence soit d’une faute grave, soit d’une impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à la maladie. 

Puis, tout en confirmant sa jurisprudence, la Cour de cassation rappelle « que le juge ne peut aggraver la qualification de la faute retenue par l’employeur ».  

Elle en déduit enfin que l’employeur ayant retenu à l’encontre du salarié une cause réelle et sérieuse, et non une faute grave, l’arrêt d’appel doit être cassé en raison de la violation de la loi. La Cour d’appel aurait dû prononcer la nullité du licenciement. 

  • Une décision aux prises avec l’actualité : droit à l’erreur de l’employeur et harcèlement sexuel d’un salarié au cœur du sujet

Cette décision, qui ne fait que reprendre une jurisprudence stable depuis plusieurs années, prend une substance particulière au regard de l’actualité entourant les faits d’espèce : 

– cette affaire concerne des faits graves, qui, s’ils sont avérés, s’apparentent à des agissements sexistes voir à du harcèlement sexuel, 

– elle concerne également une entreprise qui a commis une erreur de qualification de la faute entraînant la nullité du licenciement. La possibilité désormais offerte à l’employeur par l’article L. 1235-2 du code du travail de préciser les motifs de licenciement postérieurement à la notification du licenciement aurait-elle permis à l’employeur de corriger son erreur ? Cela n’est pas évident, car ce ne sont pas les motifs qui posaient difficultés dans cette affaire, mais la qualification qui leur a été donnée. Or, l’article précité ne laisse pas la possibilité à l’employeur, a priori, de rectifier la qualification de la faute. 

Quant aux faits reprochés au salarié, la décision peut interroger sur le fond : en effet, il s’agit de faits graves, commis à l’encontre de collègues féminines, qui ont témoignés des agissements du salarié. Si le salarié a obtenu la nullité du licenciement devant la juridiction civile, les salariées ont toujours la possibilité de porter plainte au pénal pour harcèlement sexuel (si les faits peuvent être prouvés et répondent à la définition du harcèlement sexuel) contre l’auteur des faits pour que celui-ci soit condamné pénalement et qu’il les indemnise pour le préjudice subi, mais également contre l’employeur pour non-respect de son obligation de sécurité. 

 

(1) Cass.soc., 26.06.91, n°90-41219 

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