Cette publication est d’abord parue sur le site du syndicat de salariés CFDT.
La rupture conventionnelle est un mode autonome de rupture du contrat de travail. Cependant, si l’employeur devait remettre à son salarié un certificat de travail et une attestation Assedic avant même que la convention de rupture ne soit homologuée, nous ne serions plus en présence d’une rupture conventionnelle mais d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. C’est ce que vient à juste titre préciser la Cour de cassation. Cass.soc. 06.07.06, n° 14-20.323.
Un employeur qui est dans l’anticipation se donne des gages de bonne gestion. A l’inverse, celui qui, à l’aveugle, spécule sur l’avenir prend des risques inconsidérés. Voilà la morale que nous pourrions tirer de la rocambolesque affaire que nous commenterons ci-après :
- Une relation contractuelle qui n’en finit plus de finir
En l’espèce, tout commence, par le banal engagement d’une procédure de rupture conventionnelle. Nous sommes le 30 mars 2009 et, au sein de la société Lenovo, une convention de rupture conventionnelle vient tout juste d’être conclue entre l’employeur et l’un de ses salariés, directeur commercial de son état. Par la suite, la procédure suivra son court le plus normalement du monde : Aucune des deux parties ne prendra l’initiative de se rétracter et, in fine, la convention de rupture conventionnelle sera adressée à l’administration du travail pour homologation.
Le départ du directeur commercial semblait donc être un fait acquis pour tout le monde. Sauf que, un petit plus d’un mois après la date à laquelle la convention de rupture conventionnelle a été signée, cette belle mécanique procédurale connut un net coup d’arrêt puisque, contre toute attente, le 8 juin 2009, la Directte refusera d’homologuer la convention de rupture.
D’un tel enchainement des faits, nous devrions en déduire que la rupture conventionnelle n’a finalement pas eu lieu, que le contrat de travail n’a pas été rompu et que, bon an mal an, les relations contractuelles se sont poursuivies.
Seulement voilà, il se trouve que, quelques jours avant que la Direccte ne se prononce, un autre élément de complexité est venu modifier le paysage. Le 5 juin 2009, sans doute convaincu, à tort, que la convention de rupture conventionnelle avait été implicitement homologuée, l’employeur prit l’initiative de remettre au salarié son attestation ASSEDIC et de proposer à signature un reçu pour solde de tout compte. Reçu qui fut, d’ailleurs, bel et bien paraphé par le salarié.
Pour autant, l’employeur ne tirera aucune conséquence de cette inopportune remise de documents puisqu’un peu plus de deux mois plus tard (!), les 12 août et 9 septembre 2009 très précisément, et avec une légèreté tout de même assez confondante, il n’hésitera pas à adresser, à celui qu’il considérait encore comme son salarié, une mise en demeure à reprendre son poste. Le directeur commercial qui, lui, se considérait comme l’ex-directeur commercial ne donnera pas suite. Et ce silence, l’employeur eut l’audace de la qualifier d’abandon de poste. Ce qui lui permettra, le 19 octobre 2009, de prononcer un licenciement pour faute grave.
Au final, nous avons donc un salarié qui s’est vu remettre des documents de fin de contrat, puis ne s’est plus vu confier de travail pendant plus de deux mois, puis s’est trouvé licencié pour faute grave après avoir été (très) tardivement mis en demeure de reprendre le travail. Bref des embrouilles à tous les étages ! L’introduction d’une procédure prud’homale semblait donc aller de soi.
- Une remise précoce des documents de fin de contrat
De cette histoire aux contours pour le moins tortueux, une seule problématique juridique émerge vraiment. Nous pourrions le synthétiser comme suit : Le fait, pour un employeur, de remettre à l’un de ses salariés une attestation ASSEDIC et un reçu pour solde de tout compte implique-t-il nécessairement qu’il y ait eu, au préalable, rupture du contrat de travail ?
A la lecture des articles L. 1234-20 et R. 1234-9 du Code du travail, la réponse semble franchement s’imposer d’elle-même. Le premier indique, en effet, que « le solde de tout compte (…) fait l’inventaire des sommes versées au salarié lors de la rupture du contrat de travail », tandis que le second précise que « l’employeur délivre au salarié, au moment de l’expiration ou de la rupture du contrat de travail, les attestations et justifications qui lui permettent d’exercer ses droits » à assurance chômage.
La réponse ainsi formulée semblait d’ailleurs être corroborée par le fait qu’à compter du 5 juin 2009, l’employeur avait subitement cessé de fournir du travail au salarié.
- La demande de reconnaissance d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse
L’application de ces articles du Code du travail permettait donc d’affirmer que, dès le 5 juin 2009, l’employeur avait, de son propre chef, estimé que le contrat de travail avait été rompu. Or, à l’appui de cette rupture, il n’y avait rien de réellement palpable : Pas de convention de rupture conventionnelle dûment homologuée, pas de lettre de licenciement.
Une seule chose était certaine. Il s’agissait nécessairement d’une rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur. Or, en partant de ce postulat, nous pouvions assez facilement en déduire que l’absence de lettre de licenciement valait absence de cause réelle et sérieuse.
Et c’est précisément ce que le salarié est venu réclamer devant les prud’hommes.
- Un positionnement pour le moins surprenant des juges du fond
Dans cette affaire, dont l’issue semblait être toute tracée, la Cour d’appel prendra pourtant le parti de débouter le salarié. Constatant que la convention de rupture conventionnelle n’avait pas été homologuée, la Cour d’appel considérera tout bonnement que le contrat de travail devait être vu comme continuant « à produire tous ses effets ».
Et de balayer d’un revers de main l’ensemble des arguments développés par la partie salariée :
– La remise du solde de tout compte et de l’attestation Assedic ? Ils avaient été « irrégulièrement délivrés » et ils devaient, en conséquence, être considérés comme n’étant générateurs d’aucun effet.
– La rupture du contrat de travail dont le salarié faisait état ? Elle n’aurait jamais eu lieu puisque le salarié ne produisait « aucun document établissant un licenciement verbal ».
Pour la cour d’appel donc, le contrat de travail n’avait pas été rompu en juin 2009 et l’employeur avait très bien pu, en août et en septembre 2009, mettre le salarié en demeure de reprendre son travail. Et ce dernier ne s’étant pas exécuté, il pouvait bel et bien être considéré comme étant en abandon de poste. Ce qui avait pour conséquence de rendre licite le licenciement pour faute grave qui fut finalement prononcé le 19 octobre 2009.
- Le nécessaire recadrage de la Cour de cassation
La Cour de cassation ne pouvait pas laisser prospérer une telle analyse juridique de la situation. Aussi casse-t-elle l’arrêt rendu par la cour d’appel.
Pour elle, en effet, le simple fait que l’employeur ait remis à son salarié un reçu pour solde de tout compte et une attestation ASSEDIC, sans attendre que la convention de rupture conventionnelle ait été homologuée, démontre que le contrat de travail avait été rompu et que cette rupture ne pouvait s’analyser que comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Juridiquement parlant, il s’agissait, en effet, d’une rupture à l’initiative de l’employeur qui n’avait été ni notifiée (à l’intéressé), ni motivée. Ce en complète violation avec ce que les articles L. 1232-1 (1) et L. 1232-6 (2) du Code du travail prescrivent.
(1) Art. L. 1232-1 C. trav. : « Tout licenciement pour motif personnel est motivé dans les conditions définies par le présent chapitre. Il est justifié par une cause réelle et sérieuse ».
(2) Art. L. 1232-6 C. trav. : « Lorsque l’employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception. Cette lettre comporte l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur (…) ».