La querelle qui vient d’éclater dans les coulisses patronales sur la question de la représentativité illustre une fois de plus l’absurdité mandarinale dans laquelle la France s’enferme en inventant un niveau interprofessionnel de négociation collective.
Comment mesurer la représentativité?
Alors que, jusqu’ici, le gouvernement avait fait le choix de mesurer la représentativité patronale par le nombre d’entreprises adhérentes à chaque confédération, un amendement gouvernemental à la loi Macron a introduit l’idée d’une mesure par le nombre total de salariés employés dans ces entreprises adhérentes. L’amendement prévoit une répartition des fonds du paritarisme et une représentation dans les conseils d’administration paritaires à due proportion de ce nombre de salariés.
D’un côté, on voit quel conflit est à l’oeuvre: est-il normal que le patron de Peugeot ne pèse pas plus que le gérant de la quincaillerie du coin, avec sa poignée de salariés? Cette queston est éternelle dans le monde patronal.
D’un autre côté, cette question ne se poserait pas si la France déterminait ses normes sociales de façon normale pour un pays industrialisé, c’est-à-dire sans imaginer ces grandes règles imposées par le haut à toutes les entreprises de tous les secteurs. Parce que, en 1945, le gouvernement provisoire a souhaité mettre en place une négociation collective au niveau interprofessionnel, la France possède aujourd’hui trois mouvements patronaux qui se disputent la représentativité des entreprises. Parce que, en 1945, la France a entrepris de “neutraliser” la CGT en mettant en place de grands édifices paritaires interprofessionnels, la dispute de la représentativité tourne au vinaigre: elle emporte pour ces mouvements patronaux des conséquences financières et “politiques” (en terme d’influence et de présence dans ces conseils paritaires) qui n’ont rien à voir avec l’intérêt direct des entreprises.
Sur le fond, la mesure de la représentativité par le nombre de salariés couverts n’est pas plus pertinente qu’une mesure par la place de chaque secteur dans la prospérité collective. Pour quelle raison les entreprises qui nettoient le métro et qui dégagent de faibles marges auront-elles, par le seul fait de leur poids démographique, plus de poids que les start-up qui contribuent grandement à la croissance?
On voit bien que si la France arrêtait d’imaginer un seul droit du travail pour toutes les branches, cette question n’aurait pas de sens.
Une anomalie par rapport à nos concurrents
Nos concurrents (l’Allemagne, le Royaume-Uni, les Etats-Unis) ne s’y sont pas trompés: aucun d’entre eux n’a eu l’idée folle de confier la détermination des normes sociales à une négociation interprofessionnelle. Dans tous ces pays, le droit du travail a pour source première l’accord d’entreprise, et pour source seconde l’accord de branche. Exceptionnellement, la loi intervient. Mais aucun d’entre eux n’a conçu le mécanisme sot et incongru de l’accord interprofessionnel qui écrit des lois volumineuses à la place du législateur.
La logique de leur droit du travail consiste donc à légiférer le moins possible, et à laisser chaque branche professionnelle juger des règles qui lui conviennent le mieux. Bien entendu, il ne s’agit pas de supprimer le code du travail: les clauses substantielles du contrat continuent à être encadrées par la loi. Mais, pour le reste, chacun dispose d’une marge d’autonomie pour s’organiser.
C’est un élément fort de la compétitivité des entreprises que de pouvoir adapter les règles du jeu à l’activité.
Une fois de plus, la France est prisonnière d’un héritage de l’après-guerre où les partenaires sociaux sont une sorte de bras armé satellite de l’Etat dont la vocation essentielle est de gérer un système centralisé en étroite concertation avec l’Etat. Le bon sens voudrait que le patronat ne mette pas les doigts dans cette logique, et qu’il renonce d’ailleurs à tout financement prélevé sur la masse salariale.
Aux Etats-Unis comme en Allemagne, les confédérations patronales ont un rôle de lobbying, pas un rôle social. C’est la voie de l’avenir.