A la suite de notre article sur AXA et les élections chez AGEA, nous avons reçu plusieurs réactions écrites et verbales nous reprochant de critiquer AXA avec trop de vigueur et affirmant plus ou moins explicitement que cet article était inspiré par un ressentiment peu ou prou personnel contre le leader français de l’assurance. L’occasion était trop belle pour que nous la saisissions pas, et que nous ne précisions pas notre approche sur le sujet.
AXA, une major dont nous sommes fiers
Impossible de commencer cette mise au point sans dire toute mon admiration (et on me permettra ici de personnaliser l’article que je signe) pour ce géant mondial appelé AXA. Il n’est pas si fréquent que la France dispose d’un leader de cette envergure pour que nous n’en tirions fierté.
J’irais même plus loin. Je me souviens d’avoir entendu un interlocuteur allemand me vanter la capacité d’AXA à industrialiser son développement, à l’optimiser, et à améliorer sa productivité. Cette admiration était sincère, et les collaborateurs d’AXA peuvent se glorifier d’oeuvrer à une construction qui suscite tant d’admiration dans le monde, y compris chez de redoutables concurrents ultra-rhénans.
J’irais même encore plus loin. A titre personnel, je considère que les grands choix stratégiques d’Henri de Castries en matière de développement de l’entreprise sont excessivement intelligents. Sa capacité à dégager des marges de manoeuvre pour financer son entrée sur des marchés nouveaux, qu’ils soient technologiques (sur le numérique) ou géographiques (en Chine), me paraissent dignes d’éloges et il n’est pas si courant de rencontrer une telle souplesse et une telle clairvoyance chez un dirigeant d’entreprise (on me permettra une taquinerie: surtout quand il est ancien élève de l’ENA).
J’irais toujours plus loin. Malgré sa taille, malgré son poids, AXA parvient à maintenir une cohésion et une cohérence interne qui ne coulent pas de source. Il existe un esprit AXA, une vision AXA, qui imbibe l’esprit des collaborateurs. Je connais peu d’anciens salariés d’AXA qui, même après leur départ, aient envie de critiquer cette entreprise ou qui n’en parlent pas avec regret. C’est rare! Si, comme partout, il existe des motifs d’insatisfaction pour les collaborateurs, ils entâchent rarement le respect que ceux-ci nourrissent pour leur entité employeuse. Cet esprit “corporate” n’est pas à la portée de toutes les entreprises!
La finance et l’esprit critique
Ces constats quasi-amoureux, et en tout cas empreints de respect et d’estime pour une oeuvre collective qui reste l’une des réussites françaises majeures des trente dernières années, doivent-ils conduire, comme certains collègues me l’ont suggéré, à ne jamais émettre la moindre information à caractère négatif vis-à-vis d’un leader qui effraie volontiers ses interlocuteurs, notamment par son immense pouvoir de rétorsion?
Là encore, je voudrais sortir de l’ornière des procès personnels pour placer le débat là où il me semble bon de le placer.
Je voudrais d’abord glisser un mot sur les mauvaises habitudes prises par les grands groupes financiers à l’époque (de plus en plus révolue) où la presse papier était toute puissante dans la sphère de l’information. Pour vivre, la presse papier avait (et a toujours) besoin de supports publicitaires qui ont régulièrement entravé sa liberté de ton et de critique. Pour certains acheteurs de support publicitaire, l’habitude s’est prise de confondre information et publireportage: c’est le privilège des annonceurs de croire qu’ils peuvent acheter plus ou moins directement l’image que l’on véhicule d’eux.
Je le dis avec des pincettes car, très souvent, la presse fait le choix de s’autocensurer sur des sujets qui concernent ses annonceurs, sans que ceux-ci n’opèrent une influence directe. La simple peur de déplaire (ce mal français qui nourrit l’esprit de Cour et nous condamne à une stagnation économique sclérosante à force de ne plus oser la moindre prise de risque) suffit souvent à décourager la moindre information qui pourrait être prise comme une critique.
Cette mise sous hypnose de la pensée libre a conforté les grands groupes dans un sentiment de légitime impunité. Pourquoi pas? le problème est que cet abandon progressif de toute forme de liberté de parole est probablement le pire piège dans lequel les géants financiers peuvent tomber. Car, si la parole écrite sur du papier est muselée, la critique persiste, et prend volontiers des formes détournées qui sont bien plus dangereuses. Ces formes sont parfois bien connues: ce sont des élus qui veulent déclarer la guerre à la finance, aux grandes entreprises, etc. Ces formes sont parfois plus obscures et de ce fait plus dangereuses: je pense ici à la “fachosphère” et à la “gauchosphère” qui se nourrissent et s’encanaillent de tout ce qui n’est plus dit et devrait l’être dans la presse officielle. Il faut lire la haine qu’inspire la finance sur des sites extrémistes pour comprendre combien l’illusion de contrôler la parole est lourde de conséquences dans la durée.
Pire. Certaines banques n’hésitent pas à faire condamner des blogueurs amateurs pour avoir tenu sur leur compte des propos considérés comme du dénigrement. Je pense ici au professeur de finance Jean-Pierre Chevallier, qui analyse avec beaucoup d’acuité les résultats financiers des grandes banques dans le monde, dont la Société Générale a obtenu la condamnation à 10.000 euros de dommages et intérêts l’an dernier. Qu’une grande banque s’attaque à un particulier pour son excès de liberté est certes un calcul gagnant à court terme. A long terme, ce sentiment d’intimidation disproportionnée se paiera cher.
AXA et l’esprit critique
De toutes parts, nous entendons donc (et assez peu d’AXA d’ailleurs) l’argument selon lequel il ne faudrait pas dire ou écrire des choses qui constitueraient des crimes de lèse-grand groupe.
Sur ce sujet, il est utile de préciser notre doctrine.
BI&T, tout d’abord, est un organe pluraliste où écrivent sans la moindre censure idéologique des gens de tous bords. Nous considérons que ce pluralisme est une richesse et nous voulons le préserver.
Nous avons deux règles qui encadrent cette liberté: celle de ne mettre en cause aucune personne, et celle de produire une analyse différente avec une volonté de décryptage qui est forcément subjective ou critiquable, mais qui est de bonne foi.
Lorsque les élections d’AGEA sont intervenues, nous avons considéré que nous devions en parler, dans l’esprit qui vient d’être dit. Il me semble que nous n’avons guère failli aux règles que nous nous sommes fixés en apportant un argument factuel sur chaque point de l’analyse. Cela ne signifie pas que nous avons raison, mais nous expliquons par des faits vérifiables les raisons pour lesquelles nous affirmons ce que nous affirmons.
Comme tous les médias Internet qui font du décryptage, nous sommes friands de documents confidentiels qui éclairent les coulisses de l’actualité. C’est ainsi que nous avons publié des documents préparatoires émanant d’AXA dans l’appel d’offres de la mutuelle Renault finalement gagné par Humanis. Ce document nous a paru intéressant parce qu’il a relevé utilement la difficulté pour AXA de concilier son rôle très structurant de réassureur d’institutions de prévoyance et d’assureur en prise directe avec le marché.
Bien entendu, pour avoir la paix, nous pourrions passer ces sujets sous silence. Mais notre conviction est que l’accès au savoir vaut mieux que la préservation de l’ignorance.
Notre autre conviction est que, pour le business, la transparence du marché est plus productive et plus équilibrante que l’asymétrie d’information. A notre très modeste échelle, nous entendons promouvoir la symétrie d’information.
Nous entendons bien ceux qui ne partagent pas ce point de vue et qui pensent que la diffusion de l’information comme nous l’avons fait sur AGEA procède forcément de ressentiments personnels ou de considérations extérieures à cette recherche de l’optimum collectif. Nous n’avons qu’une chose à leur dire: chacun est libre de le penser, mais nous continuerons à défendre nos convictions avec la satisfaction d’entendre de toutes parts, cinq mois après notre naissance sur le marché, des remarques très positives sur la qualité de l’information que nous apportons.
J’en profite pour remercier tous ceux qui nous soutiennent dans cette démarche en assurant encore une fois toute l’entité AXA de notre estime et de notre respect.