PLFSS 2024 : le Ctip publie son bilan

Ce communiqué a été diffusé par le Ctip.

Adopté le 4 décembre 2023, le Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024 doit répondre à une équation difficile : faire face à l’augmentation structurelle des dépenses de santé tout en tentant de réduire le déficit de la Sécurité sociale. Contraint notamment par la remontée des taux d’intérêt de la dette française, le ministre de la Santé et de la Prévention, Aurélien Rousseau, a annoncé à l’occasion de son audition face aux députés de la commission des Affaires sociales : « la soutenabilité est la condition de la pérennité du système assurantiel public ». En commission des Affaires sociales au Sénat et à l’Assemblée nationale, les parlementaires avaient estimé que les dépenses étaient sous-évaluées et avaient donc rejeté la trajectoire financière jugée périlleuse pour notre modèle social. Cet article retrace les grandes lignes du PLFSS 2024 et de ses impacts pour les institutions de prévoyance.

Une trajectoire financière contestée

Le PLFSS 2024 doit préparer l’équilibre des comptes sociaux pour l’année à venir. C’est pourquoi il prévoit une augmentation de l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM) de 3,2 % (hors dépenses liées à la crise sanitaire). Pour rappel, l’augmentation pour 2023 avait été estimée à +3,7 %, pour finalement atteindre +4,8 %. Cette trajectoire à la baisse a vivement été contestée par les députés et sénateurs d’opposition au sein des commissions des Affaires sociales des deux chambres, mais aussi par l’Union nationale des organismes complémentaires d’assurance maladie (l’UNOCAM, dont le CTIP est membre fondateur, France Assureurs et la Mutualité Française), qui a rendu à l’unanimité un avis défavorable sur le texte. Cette dernière constate que « la situation des comptes sociaux reste préoccupante, et sans perspective rapprochée et durable de redressement », et tout particulièrement sur la branche maladie, qui conserverait « un déficit persistant autour de 10 milliards d’euros, malgré les actions de régulation et la décision de transferts de dépenses vers les organismes complémentaire santé (OCAM) ».

L’UNOCAM n’est pas la seule partie prenante à s’être déclarée défavorable au texte. Les conseils de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) et de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie, toujours consultés avant le dépôt du texte au Parlement, ont également donné un avis défavorable au texte. Les deux déplorent l’absence d’association à l’élaboration du texte tout en critiquant les transferts opérés depuis l’Unedic et l’Agirc-Arrco vers la Sécurité sociale, les qualifiant d’ « entraves à l’autonomie de ces deux organismes paritaires ».

Pour la première fois depuis la création du PLFSS en 1996, les députés de la commission des Affaires sociales ont rejeté le texte, entraînant la caducité des modifications qui avaient pu y être apportées. De plus, l’utilisation successive de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution par la Première ministre a également rendu caduque les modifications et les débats issus de l’examen en séance publique, un paradoxe au regard des raisons de la création du PLFSS, qui était justement de créer un droit de regard au Parlement sur le texte.

Des pistes d’économie floues

Côté financement, le projet du Gouvernement paraît fragile avec 3,5 milliards d’euros d’économie programmés, grâce à une baisse des dépenses pour les médicaments et pour les laboratoires d’analyse, un renforcement de la lutte contre la fraude, notamment aux arrêts maladie et par « la responsabilisation des professionnels et des patients », mesures, au demeurant, très peu documentées cette année. Le ministre délégué chargé des Comptes publics, Thomas Cazenave, à l’occasion de l’examen du texte en séance publique à l’Assemblée nationale, a expliqué que « cette responsabilisation peut s’appuyer sur différents leviers qui ne relèvent pas nécessairement de mesures législatives en PLFSS », avant de préciser : « Les économies pourraient résulter de la hausse des franchises et participations forfaitaires qui n’ont pas augmenté depuis leur création il y a près de vingt ans, ou de la hausse du ticket modérateur, correspondant à la part prise en charge par l’assuré ou par sa mutuelle ». Cette hypothèse d’un doublement des franchises médicales sur les boîtes de médicament – actuellement à 50 centimes d’euro par boîte – et sur les consultations – actuellement à 1 euro – a animé les débats parlementaires, malgré son absence du texte. Si Aurélien Rousseau a annoncé souhaiter qu’un débat sur cette hausse ait lieu dans l’hémicycle, il a toutefois rappelé durant son audition qu’elle pourra être instaurée par voie réglementaire et sans vote des parlementaires, pour des économies estimées à 800 millions d’euros.

Le dossier de presse du texte rappelle, quant à lui, que parmi les économies prévues par le PLFSS 2024 figure la hausse du ticket modérateur sur les soins dentaires (de 30 à 40 %), déjà actée par voie réglementaire et à laquelle le CTIP, France Assureurs et la Mutualité Française s’étaient opposés. Les fédérations avaient chiffré ce transfert de dépense à 500 millions d’euros chaque année. Enfin, lors de l’examen du texte au Sénat, le ministre chargé des Comptes publics, Thomas Cazenave, a indiqué que des « économies pourraient résulter d’une hausse du ticket modérateur » et « qu’une telle évolution est intégrée au PLFSS en ce qui concerne les soins dentaires ».

Une mise à contribution des OCAM sans concertation

Outre le transfert via l’augmentation du ticket modérateur sur les frais dentaires, les organismes complémentaires sont également mis à contribution pour l’extension du 100 % Santé. Le PLFSS de l’an passé prévoyait déjà un élargissement du 100 % Santé aux prothèses capillaires. Le dispositif est de nouveau élargi par le PLFSS 2024, malgré les promesses du Gouvernement, avec l’intégration des fauteuils roulants, et ce, dès septembre 2024. Si cette extension avait été annoncée au mois d’avril par l’ancien ministre de la Santé François Braun, elle a suscité et continue de susciter de nombreuses réserves de la part des organismes complémentaires. Une extension qui interroge, alors que l’accompagnement des personnes atteintes de handicap est une prérogative des départements et que les institutions de
prévoyance financent déjà certains équipements par le biais de leur action sociale.

De plus, le 100 % Santé, tel qu’il a été imaginé par le candidat Emmanuel Macron en 2017, devait concerner uniquement les domaines de l’optique, de l’audiologie et du dentaire, des domaines historiquement couverts par les organismes complémentaires, et viser une majorité des Français. Or l’intégration des fauteuils roulants, dont le coût unitaire peut s’avérer très élevé, pourrait impacter et déstabiliser certains contrats. Autre sujet d’étonnant : la prise en charge des protections menstruelles. Le PLFSS 2024 prévoyait la prise en charge à 60 % par l’Assurance Maladie des protections réutilisables pour les femmes de moins de 26 ans, avec une possibilité facultative de prise en charge par les OCAM du reste à charge. Mais durant l’examen en séance publique à l’Assemblée nationale, le Gouvernement a donné un avis favorable à plusieurs amendements transpartisans rendant obligatoire la prise en charge de ce ticket modérateur par les contrats responsables.

Enfin, ce PLFSS prévoit la généralisation des expérimentations dites « article 51 » du PLFSS 2018. Ces parcours de soins coordonnés impliquant plusieurs professionnels de santé seront financés par un paiement collectif forfaitaire, pour lequel une participation des organismes complémentaires à travers le financement d’un ticket modérateur est prévue. Si le développement de nouvelles formes de parcours et de rémunération est pertinent face aux nouvelles pathologies et au développement des affections de longue durée (ALD), l’impact monétaire pour les OCAM n’a pas encore été estimé par l’Assurance Maladie. Cette forfaitisation des dépenses de santé appelle à la vigilance les organismes complémentaires pour ne pas retomber dans les travers du forfait patientèle médecin traitant (FPMT). Effectivement, ce dernier est prélevé aux OCAM sous forme de taxe par l’Assurance Maladie, rendant leur participation à son financement invisible pour les professionnels de santé. De surcroît, dans le cadre des négociations conventionnelles avec les médecins libéraux, Thomas Fatôme a évoqué la possibilité d’un doublement de ce forfait.

« Les partenaires sociaux du CTIP rappellent que les institutions de prévoyance, dont ils assurent la gouvernance, ne sont pas autorisées à être déficitaires. En conséquence, ils appellent à un dialogue renouvelé et constructif avec les pouvoirs publics afin de sauvegarder une protection sociale complémentaire de qualité pour les entreprises, les salariés et leurs familles. »

Dominique Bertrand, président du CTIP

Lutte contre la fraude : les complémentaires prennent l’initiative

La lutte contre la fraude, qu’elle soit fiscale ou sociale, a été érigée comme l’une des priorités par le Gouvernement, et le PLFSS pour 2024 s’inscrit dans la droite lignée de cet engagement, le ministre des Comptes publics, Thomas Cazenave, allant jusqu’à qualifier le texte de « PLFSS de lutte contre la fraude ». L’objectif pour l’Assurance Maladie sera ainsi de repérer et d’éviter 500 millions d’euros de dépenses frauduleuses en 2024, contre 316 millions en 2023. Pour y parvenir, le PLFSS vient renforcer les contrôles à l’encontre des assurés et des prescripteurs en matière d’arrêts de travail, mais aussi en limitant à trois jours la durée de ceux prescrits en téléconsultation.

Toujours en matière de lutte contre la fraude, le dossier de presse du PLFSS indique que le ministère de la Santé et de la Prévention souhaiterait collaborer davantage avec les organismes complémentaires. Le CTIP, conjointement avec la Mutualité Française et France Assureurs, a souhaité porter un amendement au débat, afin de poser le principe d’une telle coopération entre l’Assurance Maladie et les complémentaires santé dans la lutte contre la fraude sociale. Cet amendement visait à créer le principe d’un partage d’informations réciproques entre l’Assurance Maladie et les organismes complémentaires dans un contexte de fraude. Aujourd’hui, par exemple, l’Assurance Maladie n’alerte pas les OCAM en cas de fraude, comme ce fut le cas pour les centres dentaires récemment déconventionnés, pour lesquels les organismes complémentaires ont continué à rembourser des prestations alors même que ces centres dentaires étaient déjà déconventionnés, et n’ont été avertis qu’une fois l’information sortie dans la presse.

Si l’amendement n’a pas eu l’occasion d’être étudié en séance publique à l’Assemblée nationale suite à l’utilisation de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, ce fut le cas au Sénat. Effectivement, le ministre de la Santé et de la Prévention, Aurélien Rousseau, s’y est déclaré défavorable, car selon lui « la LFSS n’est pas le bon véhicule », tout en assurant que « nous sommes engagés » et qu’il n’y a « pas d’ambiguïté sur le fait que l’on devra en reparler ». Des travaux communs devraient ainsi avoir lieu lors de la reprise du Comité de dialogue avec les organismes complémentaires, prévue en décembre selon les services du ministère de la Santé et la Prévention.

« Si la forfaitisation peut constituer une opportunité pour financer des dispositifs médicaux complexes impliquant plusieurs professionnels de santé, nous devons être vigilants à être reconnus par tous les acteurs concernés. Il ne peut pas être question de transformer notre participation en simili taxe. »

Marie-Laure Dreyfuss, déléguée générale du CTIP

Le PLFSS : comment ça marche ?

Le PLFSS est un dispositif législatif unique créé en 1996 qui présente une particularité par rapport au PLF. Il prévoit les dépenses en santé pour l’année à venir mais ne les limite pas. Son objectif est de permettre au Parlement d’avoir un droit de regard sur l’équilibre des comptes sociaux. Élaboré par le ministère de la Santé et de la Prévention en collaboration avec la direction de la Sécurité sociale (DSS) et la direction du Budget du ministère de l’Économie et des Finances, il se décompose en trois parties. La première porte sur l’approbation des comptes de l’année N-1 (pour le PLFSS 2024, l’exercice de 2023) alors que la deuxième porte sur les recettes et l’équilibre pour l’année à venir (l’exercice 2024 pour le PLFSS 2024). Enfin, la troisième fixe les objectifs de dépenses pour chaque branche de la Sécurité sociale (maladie, famille, retraites, accidents du travail et maladies professionnelles, et autonomie).

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