Comme Emmanuel Macron l’avait promis lors de sa campagne électorale, c’est au pas de charge qu’il mène sa réforme du marché du travail. Alors même que prend seulement fin la première des trois phases de “concertation” entre le gouvernement et les partenaires sociaux, relative à l’articulation entre accords de branches et d’entreprises, le projet de loi d’habilitation du gouvernement à agir par le moyen d’ordonnances sera présenté mercredi devant le Conseil des ministres. Face à une réforme potentiellement explosive, les syndicats apparaissent profondément désemparés.
Les petites écuries inaudibles
S’il est vrai que le sort de la future loi Travail ne dépend pas nécessairement des attitudes que la CFTC et la CFE-CGC adoptent à son endroit, il n’en demeure pas moins intéressant de les préciser quelque peu. En l’occurrence, ces attitudes semblent découler du pari audacieux de l’inaudibilité.
Du côté de la CFTC d’une part, on fait un peu comme si de rien n’était, comme si le gouvernement ne s’apprêtait pas à réorganiser à la hussarde le code du Travail. Depuis le début de la première phase de “concertation”, la CFTC préfère ne pas s’exprimer publiquement à ce sujet. La rubrique “actualités” du site internet de la centrale chrétienne laisse ainsi un sentiment mitigé à ceux d’entre ses visiteurs qui seraient à la recherche d’informations sur les ordonnances gouvernementales : récemment, on y cause de “choc acoustique”, de chaleur et de mobilité géographique, mais pas de marché du travail.
La CFE-CGC se montre moins avare en commentaires sur la phase de “concertation” en cours. Dans son dernier communiqué la concernant, l’organisation de l’encadrement développe, au contraire, un propos touffu et complexe sur le projet gouvernemental et, bien au-delà, sur ce “bien commun” qu’est “l’entreprise”. Estimant que “le projet d’accentuer la décentralisation vers l’entreprise exige de reconstruire un partenariat salariés / entreprise / société / territoire profitable à tous”, la CFE-CGC appelle à “une modification en profondeur de la gouvernance des entreprises”. Loin de manquer d’intérêt, une telle réflexion condamne toutefois le syndicat des cadres à se tenir éloigné du débat public.
FO neutralisée
Ce n’est pas le silence public que Force Ouvrière doit craindre, mais plutôt la saturation de l’espace médiatique avec des propos souvent contradictoires. D’un côté, il y a le Jean-Claude Mailly millésime 2016, celui du combat contre la loi El Khomri, très critique à l’égard du nouveau projet gouvernemental et promettant des lendemains difficiles à M. Macron. Ce Jean-Claude Mailly s’est encore récemment exprimé au CESE, dénonçant notamment, sur la forme, un calendrier trop serré et, sur le fond, les risques qui continuent de peser sur la branche et la généralisation du CDI de chantier. Partant de là, M. Mailly assure qu’en cas de passage en force, FO “prendra ses responsabilités”.
D’un autre côté, il y a le Jean-Claude Mailly qui veut croire que les choses peuvent, malgré tout, bien se passer. C’est ce Jean-Claude Mailly-là qui, hier, a assuré au Figaro que les dés étaient encore loin d’être jetés : “on est toujours dans une phase de test réciproque, nous débattons” et à l’Opinion que le gouvernement ne rechignait pas du tout à entendre les syndicats : “nous avons le sentiment que oui nous pouvons être entendus”. Espérant pouvoir miser sur la carte Stéphane Lardy, ancien secrétaire confédéral de FO désormais membre du cabinet de la ministre du Travail, Jean-Claude Mailly souffle donc le chaud autant que le froid afin de ménager ses arrières.
De fait, dans l’immédiat et sans doute pour un certain temps, FO se trouve ainsi neutralisée.
La CGT, opposante théorique
A l’évidence, la CGT ne s’embarasse pas de telles précautions lorsqu’il s’agit pour elle de cogner sur le gouvernement et ses ordonnances. Aux dernières nouvelles, pour Montreuil, rien n’est décidément bon dans le Macron : la méthode n’est pas respectueuse des partenaires sociaux et le contenu probable du texte en ferait une “loi travail XXL” visant à “marchander les droits et les protections des salariés”. A l’opposé de l’orientation gouvernementale, la CGT rappelle ses priorités sociales généreuses, entendant “faire avancer ses propositions de progrès social : augmentation des salaires, réduction du temps de travail, généralisation des CDI”, “pour travailler mieux, moins, toutes et tous”.
Etant donné le jugement franchement négatif que la CGT porte sur le projet gouvernemental, on pourrait légitimement s’attendre à ce qu’elle appelle à la mobilisation générale. En réalité, la centrale traditionnellement qualifiée de contestation se montre ici un peu timorée. Elle “appelle l’ensemble des travailleurs à amplifier les initiatives et les mobilisations interprofessionnelles pour faire barrage au projet Macron et imposer l’acquisition de droits nouveaux”. Une formulation pour le moins ambigüe, qui repousse à plus tard l’appel à la grande grève générale. Il faut dire qu’après avoir appelé à voter Emmanuel Macron, Philippe Martinez se trouve sans doute quelque peu gêné aux entournures maintenant qu’il faut engager la bataille contre lui.
La CGT crie donc fort mais en espérant tout aussi fort qu’elle n’aura pas à faire plus que cela.
La CFDT et le piège réformiste
La position de la CFDT n’est guère plus confortable. Fièrement attachée à son rôle de première organisation dite “réformiste”, elle semble réaliser, peu à peu, que cette fois-ci, l’exécutif pourrait bien être un peu trop gourmand en matière de réforme. Laurent Berger a ainsi laissé s’échapper certains signes de fébrilité qui ne trompent pas, comme son vif agacement quant aux fuites dans la presse de supposés projets de texte gouvernementaux, sa menace d’une mobilisation d’ampleur en cas de réforme sans contrepartie ou encore sa nette prise de distance vis-à-vis de la nécessité d’une nouvelle réforme du marché du travail.
Ces réticences cédétistes expriment probablement la crainte que l’accompagnement de ce nouveau texte s’avère plus chaotique encore que ne l’avait été l’acceptation de la réforme des retraites de 2003. Si, d’après certains sondages, lors du premier tour des élections législatives, les salariés “proches” de la CFDT auraient voté à près de 50 % pour un candidat LREM, ceci signifie toutefois également que plus de la moitié d’entre eux ont préféré un autre candidat. Sans compter le fait que voter pour quelqu’un ne signifie pas nécessairement lui accorder une confiance aveugle. La CFDT aurait gros à perdre à démontrer à sa base qu’elle n’a rien obtenu de la part du gouvernement en échange du soutien, même implicite, qu’elle pourrait lui accorder.
Dans le cadre de la nouvelle loi Travail, la CFDT peut donc potentiellement être prise au piège de son parti pris réformiste.
Dans une telle configuration de tétanies syndicales, la question est plus que jamais posée de la capacité ou non des hiérarques syndicaux à éviter les débordements de la base.