Deux négociations interprofessionnelles ont lieu actuellement : l’une relative au compte personnel d’activité (CPA) et l’autre à la réécriture de la convention Unédic. Bien que portant sur des sujets différents, elle pose toutes les deux la question de la redéfinition des formes et des frontières du salariat que les partenaires sociaux entendent promouvoir.
L’Unédic entre paritarisme et étatisation
A priori, le résultat de la renégociation de l’actuelle convention Unédic ne fait de mystère pour personne. Juste après la décision prise par le Conseil d’Etat début octobre 2015 de rejeter une partie de l’accord du 14 mai 2014, les acteurs paritaires qui l’avaient signé : patronat d’un côté, CFDT, FO et CFTC de l’autre, ont annoncé qu’ils allaient rapidement trouver une “solution technique”. En particulier, concernant le seul élément que le Conseil d’Etat a expressément demandé aux partenaires sociaux de revoir, le dispositif du différé d’indemnisation, et en particulier celui s’appliquant en cas d’indemnités obtenues aux Prud’hommes, la CFDT avait assuré : “Nous prévoyons tout simplement de supprimer les dommages et intérêts dans le calcul du différé”. Si cette solution ne convient toujours pas à la CGT, elle devrait pourtant être adoptée sans guère de difficultés par la majorité de gestion de l’assurance-chômage.
Derrière ces assurances de façade, l’équation des discussions comporte toutefois une inconnue de taille. En annulant immédiatement les dispositions relatives à la fixation des obligations déclaratives des demandeurs d’emploi et aux modalités de récupération par Pôle emploi des trop-perçus, le Conseil d’Etat a jeté un pavé dans la mare des partenaires sociaux. Jugeant qu’ils n’étaient pas compétents pour prendre ce type de décisions, il les a obligés à se tourner vers l’Etat. Pour la CGT, ceci constitue un relatif motif d’espoir : “On réussit parfois mieux à se faire entendre au niveau du ministère du Travail qu’auprès des partenaires sociaux.” Quelle que soit la décision qui sera finalement prise par les pouvoirs publics dans le cadre de la prochaine loi sur l’emploi, ce sont surtout eux qui sortiront renforcés dans cette affaire. L’étatisation de l’assurance-chômage progresse.
La prochaine négociation globale de la convention Unédic, qui doit se tenir en 2016, montrera si les partenaires sociaux ont bien pris la mesure de ce mouvement de fond et s’ils tiennent à conserver ou non l’assurance-chômage dans le giron paritaire. Alors que d’aucuns ont longtemps soutenu que l’immobilisme des partenaires sociaux favorisaient l’étatisation des relations sociales, la dernière convention Unédic vient en effet également prouver que les actions paritaires trop audacieuses, ou imprudentes, c’est selon, ont la même conséquence.
Un CPA en répartition ou en capitalisation ?
Avant l’ouverture de ce chantier, les partenaires sociaux en auront fini avec la négociation sur le CPA. Après la première réunion qui s’est tenue lundi dernier, les trois prochaines séances de négociations paritaires prévue avant la mi-février 2016 seront l’occasion pour les syndicats et le patronat d’évoquer le contenu du CPA. Trois positions semblent s’exprimer, dont deux sont conciliables.
La CGT et de FO souhaitent profiter du CPA afin, respectivement, de contribuer à la mise en oeuvre d’une véritable “sécurité sociale professionnelle” et de “sécuriser les transitions professionnelles”. Bien que formulées différemment, les orientations des deux organisations vont dans le même sens : le CPA doit servir d’outil afin de conforter le salariat comme mode de régulation des relations professionnelles. La CGT considère ainsi que le CPA doit fonctionner “en répartition”, c’est-à-dire comme une garantie que la collectivité apporte à chaque salarié qu’il bénéficiera tout au long de sa vie d’une fraction de la richesse nationale. En l’état actuel de la négociation, cette conception maximaliste demeure isolée.
Comme souvent, la CFDT, de la CFTC et la CFE-CGC défendent une position moins clivante. Selon elles, l’enjeu général est de permettre “l’articulation des temps de vie tout au long de la carrière des salariés”. Insistant sur le fait que le CPA doit être attaché à chaque salarié en tant que personne, elles veulent y inclure un compte épargne-temps, cumulant notamment des RTT, une prise en compte des engagements extra-professionnels, comme la vie familiale ou le bénévolat, et enfin, une valorisation de la formation professionnelle. Bien que la CFDT, la CFTC et la CGC réfutent ce terme, elles optent donc pour un CPA “en capitalisation”, inscrivant les droits de chacun sur un compte. La CFDT a d’ailleurs proposé que les CPA soient gérés… par la Caisse des Dépôts !
Les trois syndicats de salariés dits “réformistes” devraient finir par s’entendre avec le patronat. Les représentants du MEDEF ont, certes, fait savoir qu’ils n’entendaient pas créer de droits nouveaux à l’occasion de la négociation sur le CPA : selon eux, la seule chose envisageable est un regroupement sur une plateforme numérique unique des droits des salariés en matière de protection sociale, de formation et de pénibilité. Toutefois, il est probable qu’ils finiront par assouplir leur position et par faire quelques concessions aux représentants des salariés – sans doute mineures, dans un premier temps. Le CPA devrait donc être institué en tant que compte “en capitalisation”.
Le salariat en cours de redéfinition
Au total, les négociations actuelles sur l’assurance-chômage et le CPA ont pour point commun de contribuer à redéfinir les frontières et l’organisation du salariat. Désignant de moins en moins le collectif des travailleurs dont les conditions de travail et de rémunération sont définies autant par les représentants des salariés et ceux des employeurs que par les pouvoirs publics, il devient plutôt un agrégat d’individus dont les conditions de vie sont dictées uniquement par les dirigeants de l’Etat. Alors qu’à première vue, les partenaires sociaux n’ont pas intérêt à cette transformation, dans les faits, et quelles que soient les motivations des uns et des autres, ils ne l’accompagnent pas moins, voire la favorisent. Il n’y a donc aucune raison pour que cette orientation générale change à moyen voire à long termes.