Ce communiqué provient du site du syndicat de salariés CFE-CGC.
Les partenaires sociaux ont engagé, le 5 janvier 2022, une négociation sur la modernisation du paritarisme de gestion et de négociation. Gilles Lécuelle, secrétaire national au dialogue social, en détaille les enjeux.
Comment se déroule ce grand rendez-vous paritaire du début 2022 ?
La volonté de recadrer le sens et les objectifs du paritarisme est née de discussions entre les organisations représentatives syndicales et patronales au deuxième semestre 2021. Nous nous sommes mis d’accord sur le fait de négocier un certain nombre de sujets. En premier lieu, comment améliorer le relationnel entre le monde politique et le monde social, dont on a constaté ces dernières années qu’il ne fonctionnait pas bien. Autrement dit, comment mettre enfin en application la loi de modernisation du dialogue social de janvier 2007, dite loi Larcher.
Deuxièmement, comment améliorer le paritarisme de gestion dont le fonctionnement est régi par l’accord national interprofessionnel (ANI) du 17 février 2012, que la CFE-CGC n’avait pas signé. L’état des lieux a montré que cet ANI était assez bien respecté mais qu’il existait des marges de progrès dans la manière de travailler. Au préalable, le paritarisme de négociation a fait l’objet de nos deux premières réunions, avec un cadre et une finalité qui restent ouverts.
Pourquoi dites-vous que le relationnel entre la politique et le social ne fonctionne pas bien ?
La loi Larcher a donné aux syndicats des outils et des moyens pour définir et faire fonctionner le modèle social que nous souhaitons pour notre pays. Le début du quinquennat Macron a montré que l’exécutif ne voulait pas en tenir compte. Cela s’est traduit par des interventions croissantes de l’État dans la gestion d’organismes paritaires. Par des lettres de cadrage gouvernementales qui tuaient la négociation avant qu’elle ait lieu, en fixant des objectifs irréalistes. Par la non prise en compte des ANI, par exemple celui de 2018 sur la formation professionnelle dont on ne retrouvait pratiquement rien dans le projet législatif qui a suivi. Tout cela visait à écarter les corps intermédiaires du débat social. Cela dit, le relationnel s’est s’amélioré depuis deux ans. Les échanges avec le Premier ministre Jean Castex et la ministre du Travail Elisabeth Borne se déroulent mieux qu’avec leurs prédécesseurs. Il y a eu un revirement de comportement, même si cela reste encore de la communication plutôt qu’un vrai débat.
Pensez-vous que les organisations syndicales aient des reproches à se faire ?
Nous pouvons toujours nous remettre en cause. Peut-être n’avons-nous pas été suffisamment proactifs pour nous saisir des dispositifs de la loi Larcher, peut-être nous sommes-nous laissé imposer des sujets par l’exécutif au lieu de les prendre à bras-le-corps. Je pense aux travailleurs des plateformes, une réalité montante qui perturbe notre vision du salariat. Comme nous n’étions pas en première ligne, le gouvernement s’est emparé du sujet et a fait n’importe quoi.
Nous demandons la parité totale dans les instances et une rotation établie à l’avance pour la présidence des organismes paritaires »
Quels sont les thèmes défendus par la CFE-CGC durant cette négociation sur le paritarisme dont la conclusion est attendue courant avril ?
Nous avons proposé plusieurs pistes d’amélioration importantes. Sur le paritarisme de gestion, l’accord de 2012 impose au moins 30 % de femmes dans les instances : nous demandons une parité totale. Sans négliger la difficulté pratique : ce n’est pas toujours facile pour une organisation syndicale d’avoir une représentativité totalement mixte sur le court terme. Pour y arriver, nous prônons que ce paramètre soit jugé sur le temps long, sur la durée de deux mandats par exemple, ce qui permettrait d’anticiper la montée en compétences de militants et de militantes.
De la même manière, la présidence et la vice-présidence des organismes paritaires sont actuellement tournantes entre représentants des salariés et du patronat. Nous demandons qu’une rotation soit établie à l’avance entre les syndicats de salariés. Cela éviterait les accords de couloir et autres « renvois d’ascenseur » que nous connaissons actuellement. Là encore, cela permettrait la montée en compétence. Si un syndicat de salariés sait que dans quatre ans, il exercera telle présidence, il peut pousser son candidat ou sa candidate à la vice-présidence dans un premier temps pour que cette personne se hisse petit à petit au niveau de la fonction.
La CFE-CGC se heurte-t-elle à des points durs ?
Si l’on reprend l’ANI de 2012 sur la modernisation et le fonctionnement du paritarisme, la question se pose toujours de savoir comment la CFE-CGC pourrait rejoindre le camp des signataires. Pour cela, il faudrait déjà résoudre la problématique du vote par tête établi par cet accord. Selon ce principe de fonctionnement, il suffit qu’un seul syndicat de salariés vote avec les organisations patronales pour qu’un texte soit validé. C’est un point dur parce que cela ne respecte pas l’idée que la CFE-CGC se fait de la gestion paritaire. Pour nous, ce type de vote devrait répondre à un consensus large, ce que ne permet pas le vote par tête. À défaut de réussir à supprimer ce système, nous proposons, pour qu’un texte soit validé, un vote par tête avec un taux d’approbation plus important, par exemple trois-quarts des têtes en première lecture.
En entreprise, les ordonnances Macron ont permis de signer n’importe quoi
La négociation collective demeure dynamique en entreprise avec près de 77 000 accords signés en 2020 et 950 dans les branches. Y voyez-vous un signe de la vitalité du dialogue social ?
Il faut être prudent dans l’interprétation de ces chiffres, car les ordonnances Macron ont permis de signer n’importe quoi. Dans l’entreprise, elles ont élargi les possibilités de déroger à la loi et aux accords de branche en concluant des textes moins disants – et en délégitimant les acteurs syndicaux au passage. Je pense aux négociations dans des comités sociaux et économiques (CSE) sans étiquette et à la pratique des référendums dans les entreprises de moins de 20 salariés. De peur de perdre leur job, il y a en pareil cas toujours une proportion importante de gens qui lève la main. Cela revient à donner à l’employeur une sorte de droit unilatéral de faire passer ses décisions.
Au contraire, plusieurs indicateurs montrent que le dialogue social se dégrade. Moins de la moitié des CSE se sont constitués par voie d’accord, alors que c’était l’idée initiale. Cela revient à dire que tous les autres ne se sont formés que par obligation légale… Au niveau des branches, être obligé d’aller jusqu’au Conseil d’État pour régler le problème du salaire minimum hiérarchique (SMH) n’est pas un signe de fluidité, quand bien même l’instance a donné raison à la CFE-CGC et aux organisations syndicales. On fait une loi pour améliorer le dialogue social et on a besoin du contentieux pour l’interpréter !