Cette publication a été initialement publiée sur le site du syndicat de salariés CFDT.
La Cour de cassation a étudié 9 dossiers en novembre lors d’une audience thématique consacrée à la mixité proportionnelle. La construction jurisprudentielle s’affine à l’heure où les derniers CE-DP sont censés passés en format CSE (- salve d’arrêt, Cass.Soc.11.12.19).
Les règles de la mixité proportionnelle introduites dans la loi Rebsamen en 2015 ont rapidement été complétées par la Cour de cassation en mai 2018 et en avril 2019 face aux nombreuses difficultés pratiques et, il faut le dire, aux stratégies de contournement de certains syndicats.
Nous verrons les principales évolutions de la jurisprudence à savoir : l’obligation de parité et son exception, la survie du délégué syndical dont l’élection a été annulée et la possibilité d’une saisine préelectorale !
- Une obligation a minima de « parité » et l’exception de la candidature unique
Les arrêts du 11 décembre viennent confirmer l’orientation prise par les jurisprudences de 2018 et 2019 créant une obligation de parité lorsque 2 sièges sont à pourvoir ou lorsqu’une liste incomplète est déposée par le syndicat. La Cour réserve toutefois une exception difficile à comprendre mais importante à maitriser lorsqu’un sexe est dit ultra majoritaire.
La règle de principe, peu importe le nombre de sièges à pourvoir, consiste en une obligation de présenter un candidat du sexe majoritaire et un candidat du sexe minoritaire dès lors que les règles de l’arrondi aboutissent à un chiffre supérieur ou égal à 0.5 pour le sexe minoritaire.
Exemple dans un collège où il y a 2 sièges à pourvoir et 60% hommes : Le calcul abouti à attribuer 1.2 siège aux hommes et 0.8 aux femmes. En application de la règle de l’arrondi la liste doit être composée d’un homme et d’une femme obligatoirement. Attention : La solution serait différente dans un collège où il y a 10 sièges à pourvoir et 60% hommes et 40% de femmes. En effet la Cour nous dit qu’il faut recalculer la proportion non pas en fonction du nombre de candidats que le syndicat présente mais du nombre de sièges prévu dans le PAP ! Ainsi dans l’exemple, le calcul pour 10 sièges à pourvoir abouti à 6 sièges pour les hommes et 4 pour les femmes. Il faut donc a minima 1 homme et 1 femme…
Par exception, la Cour va permettre une candidature unique du sexe sur-représenté lorsque la règle de l’arrondi n’abouti pas à un chiffre égal ou supérieur à 0.5.
Dans ce cas le syndicat pourra au choix présenter :
– le candidat du sexe ultra majoritaire ;
– 2 candidats du sexe ultra majoritaire ;
– 1 candidat du sexe ultra majoritaire et 1 candidat du sexe minoritaire obligatoirement en 2ème position.
Attention, cette nouvelle exception ne s’applique pas sur le nombre de candidats présentés mais sur le nombre de sièges à pourvoir. Il s’agit d’une exception au principe du recalcul qui est par ailleurs confirmé au-delà de 2 sièges.
Exemple dans un collège où il y a 2 sièges à pourvoir et 90% de femmes : Le calcul abouti à 1.8 sièges pour les femmes donc le syndicat peut présenter au choix : – 1 femme ;- 2 femmes ;- 1 femme et 1 homme.Attention, s’il y a 4 sièges à pourvoir, l’exception au recalcul permet encore de présenter les 3 listes alternatives ( 90% de 4 = 3.8 donc 4 sièges pour les femmes)En revanche à partir de 5 sièges il faudra a minima 1 homme ( 90 % de 5 = 4.5)
Un revirement peut en cacher un autre… Si la Cour de cassation vient d’opérer un revirement sur la faculté de présenter un candidat unique dans tous les cas, la Cour n’applique plus pour autant la solution “bête et méchante” de parité lorsque 2 sièges sont à pourvoir. Cette évolution est à saluer.
Ainsi, dès lors que la proportion d’un sexe est au moins égal à 80% dans un collège où il y a 2 sièges à pourvoir, il sera alors possible de présenter une candidature unique issue de ce sexe ultra majoritaire.
En revanche, au-delà de 2 sièges, la méthode se complique dans la mesure où par exception le recalcul ne s’applique pas. Autrement dit, il faut appliquer la proportion sur le nombre de sièges à pourvoir dans le collège et non sur le nombre de candidats que l’on souhaite présenter. Cette règle de la Cour de cassation vise à éviter de rendre un sexe inéligible « par le jeu d’un recalcul ». Malgré cette complexité, il semble acceptable d’imposer des contraintes supplémentaires dans les entreprises ayant de plus gros effectifs afin, rappelons le, d’avoir une plus grande mixité parmi les représentants du personnel.
En tous les cas, maintenant que nous avons des règles qui font sytème, et à condition qu’elles restent stables, il sera dorénavant possible d’affiner notre stratégie. Rappellons en effet que le nombre de sièges et la composition des collèges se négocient dans le PAP !
L’application Services élections est en cours de mise à jour pour intégrer ces nouvelles jurisprudences (en attendant vous pouvez toujours adresser vos questions sur mixite@cfdt.fr ou directement dans l’espace de discussion des élus du CSE sur l’espace adhérent). Cette application permet :
- de préparer les listes de candidats en conformité avec l’obligation de présenter depuis le 1er janvier 2017 des listes respectant la mixité proportionnelle ;
- d’enregistrer les résultats des élections dans les entreprises pour calculer l’audience des organisations syndicales présentes ainsi que le poids de signature.
Le maintien du mandat de délégué syndical dont l’élection a été annulée
La Cour de cassation met fin au débat sur le sujet en choisissant la stabilité de la représentation. Ainsi, l’élu désigné par la suite DS dont l’élection est finalement annulée au titre de la mixité proportionnelle conservera son mandat (Soc.11.12.19 n°18-19).
On attendait la Cour de cassation sur la question plus importante du devenir de l’audience en cas d’annulation au titre du défaut de mixité proportionnelle (autrement dit la “représentativité” doit-elle être recalculée ?) mais cette jurisprudence est de bonne augure. Dans la droite ligne de la Position commune de 2008 c’est la stabilité qui semble être privilégiée, l’audience du syndicat ne devrait pas être remise en cause suite à une annulation ultérieure d’un élu au titre de la mixité.
- La possibilité de saisir le juge avant l’élection
Forte de ces nouvelles jurisprudences, la Cour de cassation fait un revirement et permet maintenant une saisine préélectorale en indiquant que le tribunal d’instance est bien compétent. Cette saisine permettrait de déclarer une liste irrégulière et le cas échéant d’ordonner un report de la date de l’élection afin de régulariser les listes.
La saisine doit intervenir avant l’élection de même que la décision du juge ce qui limite considérablement l’intérêt de ce revirement compte tenu des délais de la justice.
On peut quand même s’interroger sur le contrôle du juge a priori s’agissant d’une règle dont les conséquences sont appréciées a posteriori ? Si ce contrôle peut sembler évident dans certains cas (candidature unique hors exceptions, défaut flagrant de proportionnalité), rappelons que la Cour a récemment jugé que le défaut d’alternance n’est pas sanctionné si tous les candidats sont élus.
La Cour de cassation en profite dans les arrêts du 11 décembre pour trancher la question des ratures qui feraient qu’au résultat les candidats et candidates respecteraient par chance l’alternance. Dans ce cas la cour écarte la “régularisation a posteriori”, il y a donc lieu d’appliquer les sanctions prévues par le Code du travail sur la liste telle que déposée.
Cette évolution comprend toutefois un avantage notable : impliquer l’employeur dans la nécessité de listes conformes. Le risque de contentieux préélectoral va certainement faire baisser les stratégies des employeurs visant à ne pas alerter les syndicats pour avoir moins d’élus ensuite…