Métiers 2020: les messages cryptés du rapport officiel

La DARES et France Stratégie ont publié une étude (récurrente) de prospective sur les métiers. Cette fois-ci, elle porte sur la période 2015-2022. Elle mérite un petit décryptage… 

Une méthode statistique irréprochable

On appréciera d’emblée la rigueur très mathématique avec laquelle les travaux ont été conduits. Ils permettent donc de déboucher sur un scénario où 800.000 emplois seraient à pourvoir chaque année d’ici à 2022. En fait, l’estimation exacte situe le nombre de postes à pourvoir entre 735.000 et 835.000 selon les scénarios économiques globaux. Pour la DARES, 80% de ces postes seraient des remplacements des effectifs actuels, qui atteindront l’âge de la retraite, et le solde correspondrait à des créations nettes.  

Cette nuance n’est évidemment pas neutre si l’on se souvient que la France a, en 2014, compté 820.000 naissances. On le voit: les chiffres annoncés par la DARES suffisent à peine à absorber le croît naturel de la population française, hors immigration. Ils ne sont donc guère encourageants et laissent même structurellement craindre une aggravation du chômage.  

Derrière ces apparences, il est donc utile de lire entre les lignes et d’entendre les idées cachés du rapport.  

Le renoncement implicite au plein emploi

Premier point intéressant du rapport: il renonce, sans oser le dire, au plein emploi.  

Il compare en effet la situation démographique française à la réalité économique construite selon trois scénarios. Le scénario “central” projette une évolution économique d’ici 2022 relativement prudente par rapport aux données actuelles. Le “scénario de crise” s’appuie sur une situation dégradée avec une augmentation moyenne du PIB de 1,1 point par 1. On aimerait que la “crise” se limite à une croissance de 1,1%! Enfin, le scénario-cible, qui guide le rapport, projette une croissance de 1,8 point par an en moyenne.  

Dans le scénario de crise, le taux de chômage en France serait à près de 10% (c’est-à-dire proche de la situation actuelle). Dans le scénario optimiste, le taux de chômage tombe à 6,7%. Autant dire qu’on reste encore loin du plein emploi (5% de chômage) connu en Autriche, en Suisse, en Allemagne. C’est probablement l’enseignement majeur de cette étude: le vieillissement de la population conduisant à des départs massifs en retraite ne permettra pas, même dans les projections les plus optimistes des pouvoirs publics, de retrouver une situation où le chômage retrouve son “poids de forme”. 

Une étude de la France d’hier

Un autre point mérite d’être décrypté. La méthode statistique utilisée par la DARES consiste à mettre régulièrement à jour des projections à partir d’une liste de 87 familles professionnelles, regroupées autour de quelques agrégats comme les services à la personne ou l’agriculture. Chacun de ces domaines est “traversé” par des métiers dont la DARES estime le volume: 

Source: DARES 

Cette méthode pose évidemment un problème simple: elle n’accorde aucune place aux métiers nouveaux produits par la révolution numérique. Et elle n’accorde guère plus de place aux familles d’activité issues de cette même révolution. Où enregistrer les Facebook, les Google, les Bla-Bla Car qui tirent aujourd’hui la croissance rendue poussive par les activités d’hier? La DARES passe complètement à côté de l’innovation disruptive qui fracasse les modèles existants, et c’est probablement le principal point qui justifie que cette étude finisse sur une étagère sans avoir été lue. 

Le numérique toujours méconnu de la DARES

Une brève analyse statistique montre d’ailleurs comment cette incompréhension de la DARES face au monde qui arrive comporte quelques aspects comiques.  

Alors que de nombreuses entreprises françaises se battent désormais pour recruter des “dataminers”, le mot est totalement absent du rapport de la DARES. Manifestement, la réalité du marché du travail n’a pas encore atteint les cimes intellectuelles de nos statisticiens publics en chambre, qui regardent le monde depuis un observatoire perdu dans les limbes de l’Himalaya fonctionnarial. La notion de “data” est d’ailleurs totalement absente du rapport: un vide abyssal qui en dit long sur l’obsolescence du service public aujourd’hui. 

Quant au mot “numérique”, il est employé 24 fois dans ce rapport de près de 200 pages, soit une fois toutes les 9 pages environ, ce qui paraît bien peu en comparaison de l’enjeu qu’il représente pour le marché de l’emploi. On notera par exemple cette formule extraordinaire, page 112: 

“les technologies numériques devraient continuer de se développer. Dans ce contexte, les perspectives d’emploi dans le domaine de l’informatique devraient rester bien orientées sur la période 2012-2022.”  

La DARES nous produit là une analyse proche du “minimum syndical” qui assimile la révolution numérique à un déterminant parmi les autres, sans manifestement comprendre sa véritable portée.  

L’incompréhension de la productivité

Faute de comprendre la nature de la révolution numérique, la DARES occulte donc totalement les métiers nouveaux qu’il permet, par la synthèse de compétences différentes, jusqu’ici segmentées (pourra-t-on demain imaginer un actuaire qui ne fasse pas de Big Data?), et par la naissance de nouvelles activités dont beaucoup restent encore à inventer.  

Au global, ce qui intéresserait, dans un rapport de ce type, serait une première réflexion sur les gains de productivité rendus possibles par l’émergence du numérique, et sur la récupération de ces gains pour développer des activités nouvelles où les métiers restent à inventer. Malheureusement, les intellectuels de France Stratégie et de la DARES ne semblent pas intéressés par ces questions, ou ne semblent pas connaitre l’existence de ces phénomènes de transfert à l’oeuvre sur le marché du travail. Leur préoccupation consiste plutôt à faire tourner un modèle obsolète, mais qui les inscrit dans la continuité d’un service dont on peine à trouver l’utilité future.  

Comment la révolution numérique bouleversera-t-elle les facteurs de production et leur rentabilité? C’est pourtant le sujet central d’une économie avancée qui doit adapter sa pensée capitalistique et son organisation éducative à l’émergence de ce monde nouveau. Manifestement, il ne faut pas compter sur les pouvoirs publics pour aider à cette réflexion.  

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