Cette publication est issue du site du syndicat de salariés CFDT
Dès lors que le contrat de travail n’est pas rompu, un salarié peut invoquer la protection contre le harcèlement moral prévue par le Code du travail. Il importe peu que ce dernier soit en congé de fin de carrière et qu’il n’occupe plus son poste de travail. C’est ce qu’a décidé la Cour de cassation, à notre connaissance pour la première fois, dans un arrêt récent. Cass.soc. 26.06.2019, n° 17-28.328.
- Faits et procédure
Un salarié de la société Orange (anciennement France Telecom) a bénéficié d’un congé de fin de carrière rémunéré avec cessation d’activité du 31 décembre 2006 au 1er octobre 2012, date de sa mise à la retraite.
Au cours de ce congé, le salarié a été désigné délégué syndical, puis élu délégué du personnel.
Les juges admettent que les salariés dispensés d’activité puissent être élus délégués du personnel ou membres du comité d’entreprise dès lors qu’ils sont toujours liés à l’entreprise par un contrat de travail (1). A notre sens, cette position est transposable au CSE. De la même manière, les salariés dont le contrat est suspendu peuvent être désignés délégués syndicaux.(2)
En 2015, le salarié, alors en retraite, a saisi le conseil de prud’hommes pour faire reconnaître le harcèlement moral dont il soutenait être victime avant et pendant son congé de fin de carrière.
Il invoquait notamment les faits suivants :
– une mise au placard pendant plusieurs mois (refus d’affectation et absence de bonus variable) ;
– une rétrogradation et une baisse de rémunération sur plusieurs années ;
– des erreurs systématiques et régulières dans le calcul de ses cotisations de retraite complémentaire et supplémentaire ;
– des erreurs quant au calcul de l’intéressement et de la participation ;
– une dégradation de ses conditions de travail ;
– un départ en préretraite en raison de la pression subie, de sa sous qualification et de l’absence de perspective ;
– une dégradation des conditions de travail dans le cadre de son activité syndicale : refus de lui fournir les outils de travail nécessaires à son activité syndicale, refus de lui permettre d’assister aux réunions des délégués du personnel par télé-présence après la reconnaissance de son état de travailleur handicapé.
La Cour d’appel a rejeté les demandes du salarié. Elle a retenu, d’une part, que sa demande était prescrite s’agissant des faits remontant avant le 9 juillet 2009, et d’autre part, que le salarié étant en congé de fin de carrière depuis 2006, il ne pouvait valablement invoquer aucun harcèlement moral puisqu’il n’était plus sur son poste de travail au sein de l’entreprise.
C’est ainsi que le salarié s’est pourvu en cassation.
- Un harcèlement moral est possible, même pendant une dispense d’activité
La chambre sociale ne suit pas le raisonnement de la cour d’appel.
Elle rappelle d’abord qu’en vertu du Code du travail, « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ». (3)
Contrairement aux juges du fond, elle juge que « ces dispositions sont applicables à un salarié dispensé d’activité en raison d’une période de congé de fin de carrière, dès lors que le contrat de travail n’est pas rompu pendant cette période ».
EN D’AUTRES TERMES, UN HARCÈLEMENT MORAL PEUT TRÈS BIEN INTERVENIR AU COURS D’UNE PÉRIODE D’INACTIVITÉ.
Le seul prérequis est que le salarié et l’employeur soient toujours bien liés par un contrat de travail.
Aussi, en l’espèce, il importe peu que le salarié ait invoqué des faits de harcèlement moral survenus pendant son congé de fin de carrière. Les juges auraient dû rechercher si ce dernier établissait des faits permettant de présumer un harcèlement moral entre le 9 juillet 2009 et le 1er octobre 2012.
La Haute juridiction n’a pas souhaité ajouter une condition supplémentaire à l’application des dispositions légales relatives au harcèlement en droit du travail. Cette décision est tout à fait opportune. Le seul fait que le salarié ne soit pas sur son poste de travail ou n’exerce pas effectivement son activité n’est pas de nature à écarter sa protection légale contre le harcèlement moral. En effet, l’existence du contrat de travail fait demeurer les liens professionnels entre l’employeur et le salarié, qui peut toujours subir des actes pouvant recevoir la qualification de harcèlement : courriels injurieux, baisse de salaire…
En ce qui concerne la portée de cette décision, elle pourra logiquement être étendue à l’ensemble des périodes de suspension du contrat de travail (par exemple : maladie ou accident du travail, congé de maternité, de paternité, d’adoption ou parental, congé pour exercer un mandat, congé sans solde, fermeture temporaire de l’entreprise, mise à pied…).
(1) Cass.soc. 10.10.02, n°01-60.723.
(2) Cass.soc. 27.05.98, n°97-60.036.
(3) Art. L.1152 C.trav.