L’abandon hier de Dominique Sénard dans la course à la présidence du MEDEF marque un tournant dans l’avenir possible du mouvement. On attend maintenant la réaction élyséenne à cette défaite électorale…
Depuis plusieurs mois, il se murmurait que Jean-Dominique Sénard avait les faveurs de l’Élysée et d’Henri de Castries pour prendre la succession de Pierre Gattaz à la présidence du MEDEF. Il ne s’agissait pas seulement d’une logique de personne, mais d’un projet politique, économique et social global. L’intention de l’Élysée était, paraît-il, d’ouvrir, de conserve avec le MEDEF, un volet “social” dans la réforme, en faisant la part belle à l’intéressement et à la participation.
Une affaire mal préparée ?
Après un discours charismatique aux universités d’été du mouvement, Sénard a très vite connu l’épreuve du feu. Manifestement, personne n’avait pris le temps, avant la quasi-annonce de sa quasi-candidature, d’examiner sa compatibilité avec les statuts. L’amateurisme du MEDEF n’a décidément pas de limite !
Or les statuts du MEDEF sont suffisamment clairs: le président ne doit pas avoir 65 ans le jour de son élection. À quatre mois près, Sénard ne franchit pas la barre. À moins de tordre les textes sous une forme ou sous une autre, cette candidature était morte dans l’oeuf.
Les statuts ont bon dos
La question des statuts a rapidement servi de prétexte pour écarter une candidature gênante. Sans que personne n’ose insulter clairement l’avenir, beaucoup ont instrumentalisé cette affaire juridique pour faire barrage à ce qui apparaissait comme un putsch déguisé de l’Élysée (et de la finance) sur le mouvement.
On aurait toutefois tort d’imaginer que cette coalition secrète du refus soit unie et monolithique. Elle a rassemblé plusieurs sensibilités très différentes qui ont désormais libre cours pour s’affronter.
Ceux qui ne voulaient pas d’un manager
Ce qui n’a probablement jamais été dit de façon transparente, mais qui est au fondement du refus, c’est la nature même de la candidature Sénard. L’homme est un employé, pas un patron. Il a été nommé chez Michelin, mais il n’a pas créé l’entreprise et il n’en est pas le propriétaire.
Voilà qui fait beaucoup pour un seul homme dans l’esprit de tous ceux qui considèrent que, même si le MEDEF a abandonné le mot “patron” dans son acronyme, il doit néanmoins rester un mouvement patronal. Pour tous ceux-là, un Bézieux ou un Saubot sont et seront toujours infiniment plus légitimes qu’un Sénard, simplement parce qu’ils ont les mains caleuses du patron qui a créé sa boîte ou qui la détient en propre.
Libéraux contre défenseurs de la doctrine sociale de l’Église
Au-delà de ces considérations (pas si) personnelles, la candidature Sénard a achoppé sur un autre écueil : la ligne idéologique qu’elle recouvre.
Dès l’été, beaucoup se sont inquiétés du profil social chrétien de Sénard. Présenté comme un chantre de la modernité, le personnage n’a pas fait oublier le caractère très confessionnel du recrutement des cadres chez Michelin. Le soutien d’Henri de Castries a confirmé l’orientation “doctrine sociale de l’Église” du candidat.
Beaucoup de patrons français sont, contrairement à ce qui est véhiculé de-ci de-là, très étrangers à cette philosophie. Certains lui préfèrent un libéralisme massif, même s’ils commettent peu l’aveu public de ce rattachement idéologique.
Dans tous les cas, la perspective d’une triplette Macron-Sénard-CFDT pour redessiner au prisme de la participation la gouvernance des entreprises françaises a suscité beaucoup de réticences. Là encore, cette aversion s’est contentée de murmures dans les dédales des moquettes ouatées. Mais elle explique une large part du naufrage que Sénard a subi hier : les statuts ont eu bon dos.
Le jeu des ambitions personnelles
Sur cet arrière-fond idéologique d’autant plus complexe qu’il se cache derrière des sourires de façade, la bataille s’est enrichie des ambitions personnelles.
Tout le monde sait que deux candidats de poids : Geoffroy Roux de Bézieux et Alexandre Saubot, lorgnent sur le poste depuis plusieurs mois. D’un point de vue patronal, Sénard était leur synthèse : un homme issu de l’industrie mais tourné vers l’avenir.
Restent désormais deux hommes face à face.
Roux de Bézieux a incontestablement la dimension politique du poste. Mais il est issu des services et il ne draine pas derrière lui le soutien naturel d’une fédération puissante.
Saubot est l’exact inverse. Sa rigidité inquiète beaucoup de représentants patronaux, y compris au sein de l’UIMM. Mais il peut raisonnablement espérer compter sur l’appui de ce contributeur majeur du MEDEF le jour de l’élection.
Entre les deux, une bataille à la Pirrhus pourrait bien se dérouler au printemps 2018. Cette perspective ne paraît pas optimale pour le MEDEF, car elle risque de le diviser et de l’affaiblir, justifiant par avance une réaction élyséenne sévère.
Macron, vrai perdant du vote d’hier
Donc, le conseil exécutif du MEDEF a refusé hier par une majorité des deux tiers d’amender les statuts de l’organisation pour permettre la candidature de Sénard. À moins d’une démission surprise de Gattaz provoquant des élections anticipées avant le mois de mars, le plan échafaudé par l’Élysée, en accord avec la CFDT, vient de tomber à l’eau.
Si Laurent Berger avait entendu la promesse macronienne selon laquelle les couleuvres que la CFDT avale actuellement sur la fin du monopole syndical dans les négociations d’entreprise seraient compensées par des offrandes sur la participation des salariés, il se retrouve aujourd’hui chocolat. Tout cela se fera sans l’appui du MEDEF, ce qui risque de réduire les contreparties de la CFDT comme peau de chagrin.
Pour l’image du Président, l’opération est désastreuse, car on imagine mal dans ces conditions que la CFDT ne durcisse pas le ton.
Quelles mesures de rétorsion de l’Élysée ?
Une réaction macronienne est donc à prévoir dans les prochaines semaines. On imagine en particulier qu’Emmanuel Macron pourrait sanctionner Pierre Gattaz en s’opposant formellement à son “glissement” vers BusinessEurope, le syndicat patronal européen où il serait question qu’il “échoue” après son mandat au MEDEF.
Cette mesure ne concernerait que l’homme Gattaz, reste à savoir à quelle sauce l’organisation serait mangée.
Mais à quoi peut bien encore servir le MEDEF ?
La sécession du MEDEF par rapport à l’Élysée soulève quelques autres problèmes pour l’organisation elle-même.
Point numéro un : la sixième ordonnance sortie du chapeau par le pouvoir exécutif propose par exemple de diminuer le montant de la contribution obligatoire au financement du paritarisme. Celui-ci porte aujourd’hui sur le montant substantiel de 123 millions annuels. On voit mal ce qui retiendrait à l’avenir le gouvernement de taper dans le dur d’un système qui profite largement au MEDEF (12 millions perçus en 2016).
Point numéro deux : dans un monde qui sera dominé par les accords d’entreprise, où l’UNEDIC sera nationalisée, le rôle du MEDEF est de plus en plus incertain. Si la fonction de lobbying économique restera intacte, on voit mal à quoi peuvent encore servir les accords nationaux interprofessionnels…
Ceux-ci occupent pourtant une part importante du temps de l’organisation patronale. Il n’en faudrait pas beaucoup plus pour que le président de la République les déclare désormais inutiles.