BI&T a interrogé Maurad Rahbi, secrétaire général de la Fédération du Textile à la CGT et membre du Conseil Economique, Social et Environnemental
Que pensez-vous de la semaine des 32 heures ?
La proposition détonne parce qu’elle va à rebours de la pensée unique libérale, mais elle est en phase avec les aspirations profondes des salariés. Depuis des années, on ne nous propose que des politiques d’austérité, de flexibilité et de dérèglementation du droit du travail. Pour quels résultats ? Moins de pouvoir d’achat, plus de précarité et de chômage, des reculs sociaux pour le monde du travail comme pour les retraités.
Il nous faut donc changer de paradigme, c’est à cet aulne que la proposition des 32 heures mérite d’être étudiée. Quand plus de 5 millions de chômeurs pointent officiellement à Pôle emploi, il n’est pas interdit de réfléchir à une politique de partage du travail. Pourquoi les uns devraient ils se tuer au boulot quand d’autres meurent de ne pas avoir de travail ? Je le dis d’autant plus que les dispositifs d’aides publiques destinés à créer des emplois connaissent un échec patent. Chaque année, plus de 220 milliards d’euros sont dépensés par les collectivités publiques au nom de l’emploi … et le chômage ne cesse de progresser ! On pourrait donc imaginer de réduire la durée légale hebdomadaire du travail à 32 heures dans deux ou trois ans, par exemple, en laissant les branches et les entreprises en négocier l’application concrète par voie d’accord majoritaire. Ce pourrait être la contrepartie réelle du pacte de responsabilité qui rapporte plus de 40 milliards d’euros d’argent public dans les poches des patrons, en échange de la promesse du Medef de créer 1 million d’emplois et dont on sait déjà qu’elle ne sera pas tenue.
Nous fêtons cette année les quinze ans de la loi sur les 35 heures. Toutes les études réalisées par l’Insee et la Dares montrent non seulement que la compétitivité des entreprises n’a pas été entamée comme certains le prétendent, mais qu’elle a également permis de créer des emplois ( environ 350 000 ). Ce bilan plaide pour que nous franchissions aujourd’hui une nouvelle étape dans le processus de réduction du temps de travail. Puisque nous produisons plus et mieux avec moins de travail, il est juste qu’une partie des gains de productivité reviennent aux salariés.
La loi Macron modifie certaines dispositions sur la sécurisation de l’emploi, notamment en matière de motivation des licenciements ou des plans de sauvegarde. Qu’en pensez-vous ?
Les quatre articles de la loi Macron sur les licenciements économiques complètent les dispositions de la loi dite de sécurisation de l’emploi en 2013 pour le plus grand bonheur du patronat. C’est plus de dérèglementation pour faciliter les licenciements … et cela au nom de l’emploi ! Concrètement :
Pour les petites entreprises, l’administration ( Direccte ) n’aura plus aucun droit de regard sur le volet social dans les procédures de licenciement de 2 à 9 salariés. C’est le renard libre dans le poulailler ….
Pour les grandes entreprises, le groupe n’est plus responsable socialement de sa filiale en redressement ou en liquidation judiciaire. Laquelle n’aura donc pas les moyens de financer les mesures sociales pour les salariés licenciés. En outre, la loi a apporté toutes les sécurités nécessaires à l’employeur en cas d’éventuelles procédures judiciaires que pourraient engager à postériori les salariés licenciés ou les syndicats. La responsabilité du groupe à l’égard du territoire sur lequel il est implanté est dégagée, tant du point de vue de l’emploi que de l’environnement. Prenez l’exemple de Métaleurop : les tribunaux ont pu reconnaitre des années plus tard les responsabilités sociale et environnementale du groupe de métaux recyclés. Avec la loi Macron, c’est terminé ! D’une manière générale, ni les directions du travail, ni les tribunaux administratifs ou les conseils de prud’hommes ne pourront empêcher un groupe d’organiser sciemment la faillite de sa filiale pour échapper à ses obligations sociales.
La loi Macron offre encore une nouvelle définition des offres de reclassement internes plus limitative pour les salariés et moins contraignante pour les employeurs. Lesquels pourront également s’affranchir des règles relatives à l’ordre des licenciements et choisir à discrétion les salariés dont ils souhaitent se débarrasser.
Au total, les patrons ont obtenu satisfaction sur des revendications qu’ils formulaient depuis des années en matière de procédure collective de licenciements économiques : facilité, rapidité, maîtrise du coût financier et sécurité juridique. Merci Macron !
Que vous inspirent les dispositions sur le travail du dimanche ?
Le travail du dimanche pose plusieurs questions. La première et la plus importante est la suivante : quelle société voulons –nous vraiment ? Une société tournée uniquement vers la consommation, au nom de laquelle on ouvrirait progressivement les commerces tous les dimanches et puis la nuit pour satisfaire le désir des insomniaques ? Dans ce cas de figure d’autres secteurs d’activité devront inévitablement suivre le même mouvement, je pense aux services, aux banques, aux crèches, etc. Ou préférons –nous une société qui trouve un moment de respiration, un moment de repos, dédié aux loisirs, aux activités sportives, à l’éducation des enfants, à la culture, à la paresse pourquoi pas …Un moment qui nous appartient en propre et dont chacun est libre de l’utiliser comme bon lui semble. A cette question de nature sociétale, les enquêtes d’opinion offrent des réponses assez tranchées qui ne militent pas en faveur de la dérèglementation et du travail du dimanche.
L’autre question inévitablement posée est : quels droits pour les salariés contraints de travailler le dimanche ? Là, je pense que la loi devrait offrir de solides garanties aux salariés et sans dérogations possibles. Les salariés concernés devraient voir leur salaire doubler d’office et bénéficier d’un repos compensateur d’une journée. Rien de tout cela dans la loi Macron : le nombre d’ouvertures dominicales passent de 5 à 12 par an, les Puces sont transformées en zones commerciales, qui ne sont plus limitées aux grandes agglomérations, où l’emploi salarié le dimanche est de droit. Aux zones touristiques actuelles, s’ajoutent des « zones touristiques internationales » pour lesquelles, en plus du travail dominical, le travail « de soirée » est autorisé jusqu’à minuit sans être considéré ( et payé ) comme du travail de nuit. Le code du travail ne fixe plus de contrepartie minimale pour les salariés, le sujet étant renvoyé à la négociation de branche, d’entreprise ou d’établissement. Dans ces conditions, je comprends que certains parlementaires de gauche n’aient eu d’autres choix que de voter contre la loi.
La CGT, à une époque, défendait le principe d’une sécurité sociale professionnelle. Qu’est devenue cette revendication ?
La CGT revendique toujours le principe d’une sécurité sociale professionnelle, en particulier pour les salariés du privé, les précaires, les chômeurs et tous ceux qui vivent de petits boulots. Nous portons toujours l’ambition de garantir des droits appartenant aux salariés, transférable d’une entreprise à une autre. Le maintien du salaire, l’ancienneté, la formation, la qualification, la mutuelle sont autant de sujets sur lesquels nous devons maintenant avancer. Il nous faut passer du concept de sécurité sociale professionnelle à la réalisation pratique. Nous ne partons pas de rien, plusieurs jalons ont été posés ces dernières années : le contrat de transition professionnelle, puis le contrat de sécurisation professionnelle, le droit individuel à la formation ( DIF ), puis le compte personnel de formation ( CPF ) … ces exemples témoignent qu’il est possible d’avancer vers l sécurité sociale professionnelle.
Malheureusement, le contexte de crise que nous vivons depuis 2008 n’aide pas les politiques publiques à faire preuve d’audace et d‘inventivité. Pourtant nous devrions plus que jamais expérimenter des mesures de sécurisation professionnelle en faveur des salariés dans les territoires pour éviter les licenciements et le chômage de longue durée, qui font actuellement des ravages. Il y a quelque temps, la CGT avait proposé d’expérimenter un « contrat de sécurisation des emplois et des entreprises », s’inspirant d’un dispositif de chômage partiel très amélioré et destiné à préserver les contrats de travail des salariés et le potentiel industriel de nos territoires. Cette proposition n’a malheureusement pas reçu l’accueil qu’elle méritait, alors que l’Allemagne, l’Italie, la Belgique ont avancé dans cette voie au plus fort de la crise. La sécurité sociale professionnelle est toujours un concept qui a de l’avenir, il nous appartient d’en décliner la traduction concrète dans les entreprises.