Martinot : “les débats sur l’emploi en France sont trop souvent irrationnels”

BI&T s’est entretenu avec Bertrand Martinot, contrôleur général économique et financier, à l’occasion de la publication de son livre “Pour en finir avec le chômage – ce qui marche, ce qui ne marche pas” aux éditions Fayard, dans la collection Pluriel. 

 

Quelle est finalement la recette miracle pour revenir au plein emploi ? 

Il n’y a pas de recette (on n’est pas dans l’ordre de la cuisine !), encore moins de miracle contre le chômage. Notons d’ailleurs qu’il est normal qu’un pays connaisse des épisodes de chômage élevé. Il appartient alors aux amortisseurs sociaux de jouer pleinement leur rôle. Le problème de la France c’est que le chômage reste à des niveaux anormalement élevés même en période de croissance. Dans ces conditions, même les amortisseurs sociaux les plus puissants du monde sont incapables d’enrayer la montée de la précarité, du sentiment de déclassement et la mise en péril de la cohésion sociale. 

La principale thèse de mon livre, c’est que, précisément, il faut actionner tous les leviers, et si possible tous à la fois : le coût du travail, via l’évolution des charges, mais aussi des salaires, la formation professionnelle continue mais aussi initiale (avec le gros sujet du collège unique et de l’apprentissage), l’assurance chômage et, bien entendu, le droit du travail. 

Dans ce dernier cas, il faut évidemment mettre fin à l’inflation normative. Que l’Etat reste à sa place (s’en tenir aux principes fondamentaux du droit du travail, comme l’exige la constitution, et renvoyer le reste aux branches et aux entreprises). Mais également qu’il occupe toute sa place, c’est-à-dire qu’il ne délègue pas à d’autres (les partenaires sociaux interprofessionnels) le soin de faire (ou de ne pas faire…) les réformes fondamentales qu’il juge utiles. 

 

Pourquoi ces solutions ne sont-elles pas mises en œuvre ? 

Pour deux raisons. La première, c’est que le diagnostic n’est pas tellement partagé. Pour procéder à des réformes aussi lourdes, il faudrait un minimum de consensus sur le diagnostic, dont découleraient assez nécessairement des remèdes : sur le coût du travail, la formation professionnelle, le droit du travail, l’assurance chômage, etc. 

Prenez les partenaires sociaux. La CGT et FO (49 % des voix aux élections professionnelles) n’ont tout simplement pas de langage comment avec le Médef ou avec le gouvernement puisqu’en gros, leurs leaders considèrent que la solution à la crise serait une hausse des salaires et des dépenses publiques ! Je ne vois pas de clivages aussi importants dans les pays voisins. 

Certes, il y a des sondages, selon lesquels les Français, contrairement aux syndicats, seraient partisans d’une remise en cause du droit du travail, par exemple des 35 heures. Peut-être. Mais demandez si, individuellement, les sondés sont prêts à renoncer à des majorations d’heures supplémentaires ou supprimer des RTT, je doute qu’il y ait consensus. 

Si le diagnostic est si peu partagé, c’est que les débats sur l’emploi en France sont trop souvent irrationnels. On souffre d’un excès de symboles, d’une overdose de politique. On est dans les postures, les « marqueurs » (pensons au travail le dimanche… !). Bien que les choses évoluent dans le bon sens depuis plusieurs années, il reste difficile d’avoir un débat serein et rationnel sur des sujets tels que le SMIC ou sur le droit du licenciement. Sans parler de la formation initiale des jeunes ! 

La seconde raison, c’est que beaucoup de nos concitoyens n’ont pas intérêt aux réformes. Par exemple, les millions de salariés du public et des grandes entreprises du secteur public ou proches du public n’ont pas forcément intérêt à ce que les choses bougent. Or c’est le monde que fréquentent le plus souvent les décideurs politiques et dont la plupart, surtout à gauche, sont issus. Cela peut entraîner un sacré biais dans les représentations ! 

 

Entre autres chantiers, il y aura une nouvelle négociation sur l’assurance chômage au printemps 2016. Qu’en attendez-vous ? 

Si l’on refait le match des dernières années (un Etat qui met la pression pour ne toucher à peu près à rien et un patronat qui signe des accords qui ne contribuent en rien à résoudre la crise financière que traverse le régime), il n’y a rien à en attendre. 

Si maintenant le gouvernement pousse pour une vraie réforme et que les partenaires sociaux (du moins le Médef et les trois syndicats réformistes) prennent collectivement en compte les enseignements des nombreuses études économiques existantes qui pointent les défauts du système, alors on peut espérer des changements qui contribueraient à un meilleur fonctionnement du marché du travail. 

Rappelons trois constats assez solidement établis : l’assurance chômage est désincitative à la reprise d’emplois pour certaines catégories de chômeurs ; ses règles de calcul tendent à enfermer certains chômeurs dans la précarité ; les cotisations étant uniformes, quelle que soit la politique RH de l’entreprise, elle fait payer les entreprises qui privilégient l’emploi stables pour celles qui ont un turn over élevé. 

Concrètement, il faudrait moduler la durée maximale de l’assurance chômage en fonction de la conjoncture (elle ne devrait pas être la même selon que le chômage est à 8 ou 10,5 %) et selon le métier recherché (secteur en tension ou pas). Dans la même perspective d’incitation, il conviendrait de mieux plafonner le montant des allocations pour éviter les situations où le taux de remplacement dépasse les 80 ou 90 % en net, comme c’est parfois le cas aujourd’hui. 

Deuxièmement, les modalités de calcul des droits devraient être revues de manière que, à durée de cotisation égale, les emplois les plus courts ne soient pas privilégiés. 

Enfin, on pourrait mettre en place ce que préconisent depuis longtemps les économistes de toute obédience : faire d’avantage contribuer à l’assurance chômage les emplois courts et moins les contrats longs. Par là, il ne s’agit pas de « punir » les entreprises qui recourent beaucoup aux CDD, mais juste de leur faire payer le juste prix de l’assurance. Quand vous avez de nombreux accidents de voitures de votre fait, vos primes d’assurance sont plus élevées que lorsque vous êtes un bon conducteur. Pour l’assurance chômage, ce devrait être pareil. 

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