Macron prépare-t-il la mort du paritarisme à la française ?

Sans le claironner clairement, Emmanuel Macron s’apprête à enfoncer un coin létal (et salutaire pour ce pays!) dans ce fameux paritarisme à la française sacralisé par l’article 1 du Code du Travail. Dès les ordonnances de l’été dernier, on avait bien senti que l’obligation de passer par une négociation interprofessionnelle avant toute réforme du droit du travail pesait au chef de l’État. Les dernières annonces de Muriel Pénicaud sur le « big-bang » dans la formation professionnelle ne laissent plus planer aucun doute sur l’intention macronienne de passer outre les corps intermédiaires.  

Elle y est allée fort, Muriel Pénicaud, dans ses commentaires sur l’accord interprofessionnel que les partenaires sociaux int négocié au niveau national sur la formation professionnelle. Elle a considéré (à juste titre) que l’accord ne s’était pas assez intéressé à l’architecture du système et n’était pas la hauteur du big bang attendu. 

 

Quand le paritarisme est incapable de se réformer

Sur le fond, ces remarques sont loin d’être impertinentes, ni surprenantes. La formation professionnelle est, avec les institutions de prévoyance, la « chose » des partenaires sociaux. Organisée autour d’un mécanisme obscur d’organismes collecteurs et d’accords paritaires qui fixent des règles mystérieuses ou, pour le moins, opaques, la formation professionnelle dysfonctionne. Certains imaginent même que cette opacité dissimule des circuits de financement occultes. 

Cette idée est probablement moins pertinente qu’avant. La mise en place d’un fonds financé par une contribution obligatoire, en 2014, a rendu moins indispensable qu’auparavant le financement des syndicats par la formation professionnelle. Il n’en demeure pas moins vrai que toute la lumière n’a pas été faite sur les mécaniques de facturation dans certaines branches.  

Au total, la formation professionnelle est une forteresse qui distribue de nombreux cordons à ses praticiens: entre présidences, vice-présidences, mandats dans des conseils d’administration, les occasions sont nombreuses de distinguer des syndicalistes de terrain et de leur attribuer ainsi un bâton de maréchal. Ces petites attentions-là valent bien une complexité de plus, et tant pis si elle s’exerce au détriment des salariés.  

Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que ceux qui ont mis ce système symbolique en place ne sont pas prêts à le changer. 

 

Les salariés toujours grandes victimes des usines à gaz paritaires

Pendant que les représentants syndicaux font la roue dans les couloirs ouatés du monde paritaire, les salariés sont toujours à la ramasse. Comme l’a très bien remarqué Muriel Pénicaud, l’accès à une formation hors entreprise reste un parcours du combattant pour les salariés. On ne peut imaginer meilleure injonction paradoxale entre le besoin de former pour lutter contre le chômage, et les obstacles placés sur le parcours de formation par ceux-là même qui sont supposés défendre les salariés, et représenter leurs intérêts.  

On ne dira d’ailleurs jamais assez combien la thématique de la solidarité, agitée comme une crécelle par les acteurs du monde paritaire, télescope frontalement l’intérêt direct du salarié. La bureaucratie paritaire se repait d’une complexité insatiable de l’univers salarial. 

 

Pénicaud passera-t-elle outre les partenaires sociaux?

Si l’on suit ses déclarations, Muriel Pénicaud pourrait donc très bien passer outre le texte de l’accord négocié par les partenaires sociaux, et que Force Ouvrière vient de décider de signer. L’idée est bonne, salutaire même, mais elle appelle quelques commentaires quant aux implications directes pour la physionomie de la « démocratie sociale ».  

Patiemment, les pouvoirs publics ont consenti, ces dernières années, à reconnaître une forme d’autonomie des partenaires sociaux. Celle-ci a conduit à l’article 1 du code du travail, qui date de la loi du 21 janvier 2008. Il pose le principe d’une négociation interprofessionnelle préalable à toute modification législative du code du travail.  

C’était la façon sarkozyenne, issue d’une logique en maturation depuis Martine Aubry, de poser l’idée que la norme sociale n’avait plus vocation à être imposée par le législateur, mais plutôt par les partenaires sociaux.  

En affirmant que l’accord négocié par les partenaires sociaux était insuffisant, et en expliquant qu’elle n’en retiendrait que les dispositions correspondant au programme présidentiel, Muriel Pénicaud fait évidemment voler en éclats cette construction progressive. Disons même qu’elle annonce un sérieux flash back sur les années 70 ou 80, quand le Parlement imposait des règles sans tenir compte des « corps intermédiaires ». Ce reproche-là fut d’ailleurs adressé sévèrement à Martine Aubry dans le cataclysme des 35 heures. 

 

La révolution jeune-turc se confirme

Face à ce double mouvement, on reste perplexe sur la nature du macronisme. D’une part, les ordonnances ont effectivement déconcentré vers les entreprises une grande partie du pouvoir de fixation des normes sociales. De l’autre, les annonces de Muriel Pénicaud soulignent bien que le pouvoir exécutif reste déterminé à conserver les rênes du système et qu’il n’entend pas faire de cadeaux aux corps intermédiaires.  

C’est ce que nous appelons la révolution jeune-turc: elle consiste à moderniser le pays en s’appuyant sur une équipe de hauts fonctionnaires et d’experts qui concentrent le pouvoir et passent outre les résistances des corps intermédiaires. On peut se féliciter de cette volonté réformatrice, mais on n’oubliera pas qu’elle sort d’abord à renforcer un étatisme étouffant. 

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