Très affirmatif, le haut commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, a déclaré ce matin, à l’orée d’une phase de concertation avec les partenaires sociaux, que la réforme systémique prévue aurait bien lieu dans les temps. Le projet de loi serait déposé cet été. Autant dire que le Président Macron a décidé de s’enfoncer une belle épine dans le pied: celle de la baisse des retraites!
Alors que, politiquement, tout porte à croire que le gouvernement n’aura pas les marges nécessaires pour mener une réforme des retraites aussi ambitieuse que celle qu’il prétend porter depuis la campagne présidentielle, Emmanuel Macron persiste dans cette voix et envoie des signaux sur sa détermination à passer à l’acte (même si ce passage à l’acte ne concernera que les générations futures).
Comment Emmanuel Macron compte s’y prendre pour baisser les retraites
Qu’il faille baisser la part des dépenses publiques consacrée aux retraites n’est un mystère pour personne dans la macronie. Il suffit de reprendre la note de France Stratégie que nous évoquions ce week-end pour le comprendre:
« Les prestations monétaires liées aux retraites et à la vieillesse, à près de 14 points de PIB en 2016, pèsent pour un quart dans les dépenses publiques totales et ont contribué pour près de la moitié à l’augmentation en volume des dépenses publiques depuis 2009.«
Ces propos sont lumineux et expliquent largement l’ambition présidentielle sur ce dossier. La réforme systémique permettra de calculer les droits à la retraite sur la totalité de la carrière, alors qu’elle est aujourd’hui calculée sur les 25 meilleures années. Mécaniquement, le revenu de remplacement au moment du départ baissera en moyenne, par rapport aux anciens, puisqu’il sera aussi calculé sur les « mauvaises années ».
Pour les fonctionnaires, ce sera pire: alors que leur retraite est aujourd’hui calculée sur les six derniers mois de salaires, la prise en compte sera cette fois beaucoup plus étalée. C’est de la mathématique simple: à carrière identique, le revenu versé à la retraite sera plus faible dans la future réforme que dans le système actuel.
La littérature officielle sur la baisse des retraites
Il suffit de lire le tableau suivant, qui retrace les évolutions des dépenses publiques depuis 2009, pour comprendre que l’augmentation du poids des retraites en France est dans le collimateur:
Entre 2009 et 2016, les dépenses qui coûtent trop cher sont les dépenses de retraites, de santé et de prise en charge des personnes dépendantes au sens large. C’est donc dans ce noeud-là qu’il faut « taper ».
Un autre graphique permet d’étayer l’idée qu’il s’agit d’une anomalie française en Europe. Le gouvernement est donc invité à la corriger:
On le voit, les dépenses de retraite, comme les aides sociales ou les dépenses de santé, sont comparativement plus élevées en France que dans le reste de l’Union. Il convient donc de s’en occuper…
L’urgence des comptes sociaux imposée au gouvernement
Même si cette réforme ne produira d’effet qu’à long terme, le gouvernement commence à avoir le couteau sous la gorge en matière sociale. En effet, alors que les comptes étaient annoncés comme excédentaires en 2019, la crise des Gilets Jaunes devrait d’ores et déjà produire un déficit de plusieurs milliards.
La nouvelle n’est évidemment pas excellente pour la crédibilité de la France dans l’Union Européenne, et singulièrement face à l’Allemagne.
Ces éléments d’urgence obligent donc le gouvernement à rassurer ses partenaires européens sur sa volonté de prendre les mesures utiles à long terme. En particulier, à la baisse des retraites, on ajoutera une « responsabilisation » des assurés dans la prise en charge de la dépendance, largement financée par l’impôt aujourd’hui.
Toutes ces mesures sont très techniques, mais l’opinion finira bien par comprendre le sort qui lui est réservé…
Premiers signes de difficulté politique à réformer
Emmanuel Macron sera-t-il en position politique de rassurer ses partenaires par l’adoption de réformes structurelles aussi défavorables à sa population? Il le croit sans doute (mais a-t-il le choix s’il veut négocier un déficit accru avec la Commission en 2019?), mais les signaux commencent à arriver sur les vents contraires qui se lèvent pour lui barrer la route.
On notera par exemple les premières grognes sur le fonctionnement de la sécurité sociale des indépendants qui a remplacé le RSI. Cette grogne devrait continuer à monter en 2019 pour des raisons que nous expliquons. Elle constituera un échec important de crédibilité pour le gouvernement, qui démontrera ainsi qu’il est plus habile dans la cosmétique temporaire que dans la résolution effective des problèmes.
Surtout, le gouvernement a commencé à caler sur l’application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019. L’article 80, qui réformait le financement des transports sanitaires, est en effet d’ores et déjà suspendu face à la grogne des ambulanciers.
On comprend bien que le gouvernement, même sur des sujets très techniques, préfère surseoir plutôt que d’affronter une crise sociale. C’est le signe qu’il n’est plus en position de réformer.
Le signal est très mauvais sur la suite de la réforme des retraites. On voit mal comment l’opinion déjà chauffée à blanc resterait impassible à l’idée que les retraites baissent.