Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat CFDT.
Lors du passage au Sénat du projet de loi Macron, un amendement a supprimé la possibilité pour le Gouvernement de réformer, par voie d’ordonnance, les pouvoirs de l’inspection du travail. Une habilitation initialement prévue à l’article 85 du projet de loi. Les conséquences pourraient être très lourdes si cette disposition venait réellement à être sortie du texte loi définitif.
Remarque: L’objectif de réformer les pouvoirs de l’inspection du travail est notamment de rendre les sanctions plus efficaces. Aujourd’hui, l’inspecteur du travail ne peut sanctionner les violations du droit du travail que par la voie pénale, en dressant des procès-verbaux (PV). Ce qui manque d’efficacité car souvent ces PV sont classés sans suite par les procureurs de la République. Et même s’il y a des poursuites, les délais pour y arriver sont tellement longs qu’ils rendent la sanction inefficace. C’est pourquoi le Gouvernement souhaite aménager les modes de sanctions existants et en créer de nouveaux. Cela va dans le bon sens, à la condition de pouvoir articuler la sanction administrative avec le maintien de la sanction pénale.
Réforme de l’inspection du travail: une mise en place difficile
L’article 85 du projet de loi Macron vise une vaste réforme de l’inspection du travail qui a de grandes difficultés à voir le jour bien qu’elle soit enclenchée depuis plusieurs années.
En 2012, l’ancien Ministre du travail, Michel Sapin, a entamé une réforme de l’inspection du travail en lançant sur plusieurs années un plan de transformation de l’emploi qui prévoit que les contrôleurs disparaissent et deviennent des inspecteurs du travail via un examen professionnel.
La suite de la réforme, prévue à l’article 20 du projet de loi sur la formation professionnelle, prévoyait la réorganisation de l’inspection du travail et leur confiait de nouveaux pouvoirs afin notamment d’améliorer l’effectivité des sanctions (création de l’amende administrative et aménagement des sanctions pénales avec la transaction pénale et l’ordonnance pénale). Cet article très peu soutenu, à l’exception de la CFDT et de l’UNSA, avait finalement été retiré du projet de loi, lors de son passage au Sénat et non réintégré lors du passage en commission mixte paritaire.
Michel Sapin, qui n’avait pas dit son dernier mot, avait décidé de faire passer dans la foulée de l’adoption de la loi sur la formation professionnelle, un décret (1) réformant l’aspect organisation de l’inspection du travail.
Concernant la partie relative aux pouvoirs de l’inspection du travail (qui ne pouvait pas passer par voie réglementaire), une proposition de loi avait alors été déposée à l’Assemblée Nationale reprenant l’article 20 du projet de loi sur la formation professionnelle. Malgré son adoption par la commission des affaires sociales, cette proposition de loi a disparu du programme du travail de l’Assemblée Nationale, en mai dernier.
Le Gouvernement a donc décidé de revenir par une autre voie, via le projet de loi Macron afin de poursuivre la réforme de l’inspection du travail.
De l’Assemblée Nationale au Sénat: suppression de l’habilitation de réformer les pouvoirs de l’inspection du travail
L’article 85, adopté par l’Assemblée Nationale, prévoyait initialement que « le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnance, (…) les mesures relevant du domaine de la loi (…) afin de renforcer le rôle de surveillance et les prérogatives du système d’inspection du travail, étendre et coordonner les différents modes de sanction et, en matière de santé et de sécurité au travail(…)».
Cette réforme par voie d’ordonnance devait reprendre l’essentiel des dispositions prévues par l’ancien article 20 du projet de loi relatif à la formation professionnelle.
C’est toutefois sans grande surprise que le Sénat a supprimé l’habilitation de réformer les pouvoirs de l’inspection du travail de la loi Macron. C’était déjà lors du passage au Sénat que l’article 20 du projet de loi relatif à la formation professionnelle avait déjà été retiré. Pour le Sénat, en effet, il est inconcevable que la réforme des pouvoirs de l’inspection du travail échappe au contrôle des parlementaires et plus précisément à celui des sénateurs en passant par la voie de l’ordonnance.
Une réforme qui tarde malgré les lourdes conséquences
Cette suppression, si elle devait être définitive, aurait de lourdes conséquences.
En effet, depuis plusieurs mois, le Gouvernement a anticipé la réforme de l’inspection du travail, censée voir le jour beaucoup plus rapidement.
De nouvelles lois prévoient d’ores et déjà des amendes administratives (souvent très élevées pour être dissuasives) en cas de manquement d’un employeur en matière de droit du travail.
Par exemple, la nouvelle loi relative aux stages (2) prévoit une amende administrative en cas de non-respect du quota maximum de stagiaire par entreprise ou encore la loi « dite loi Savary » (3) envisage la possibilité pour l’administration d’infliger une amende, notamment, en cas de manquement de l’employeur, établi hors de France, à son obligation de déclarer préalablement le détachement des travailleurs.
Un des décrets d’application de la loi Savary, du 30 mars 2015relatif à la lutte contre les fraudes au détachement et à la lutte contre le travail illégal va même plus loin et prévoit les modalités de mise en œuvre de cette amende administrative. L’agent de contrôle constate le manquement puis il transmet au Direccte un rapport qui permet à ce dernier de prononcer éventuellement une amende administrative. Si le Direccte décide de prononcer cette amende administrative, il indique le montant envisagé et que le destinataire dispose de 15 jours pour présenter ses observations. À l’issue de ce délai, le Direccte notifie sa décision et les voies de recours possibles.
Le projet de loi Macron lui-même envisage d’augmenter le plafond maximum de l’amende administrative en cas de non-respect de la déclaration préalable de détachement.
Or, en pratique, ces amendes qui sont un nouveau mode de sanction administrative, ne sont toujours pas effectives puisque la réforme relative aux pouvoirs de l’inspection du travail n’a pas été encore adoptée.
Encore plus grave, le décret d’application du 30 mars 2015 a supprimé la sanction pénale en cas de non-déclaration de détachement au profit d’une lourde amende administrative.
Actuellement donc, il n’existe donc plus de sanction : la sanction pénale est supprimée et la sanction administrative pas encore effective.
Sur le fond, la CFDT approuve cette réforme qui a pour but de renforcer l’effectivité des sanctions prises par l’inspection du travail. Toutefois, elle reste vigilante sur sa mise en œuvre et notamment sur une articulation cohérente entre sanction pénale et sanction administrative.
Sur la forme, même si la CFDT ne peut que regretter que le Gouvernement passe par la voie d’ordonnance, il semble difficile de faire autrement car le Sénat a clairement fait savoir son opposition à cette réforme.
Il est prévu que l’ordonnance, permettant de réformer les pouvoirs de l’inspection du travail, paraîtra dans un délai de neuf mois à compter de la promulgation de la loi Macron. Il y a donc véritablement urgence car en attendant de nombreux vides juridiques persistent.
(1) Décret n° 2014-359 du 20.03.14 relatif à l’organisation du système de l’inspection du travail.
(2) Loi n° 2014-788 du 10 juillet 2014, tendant au développement, à l’encadrement des stages et à l’amélioration du statut des stagiaires.
(3) Loi n° 2014-790 du 10 juillet 2014, visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale.