Trois semaines après que la Cour de Cassation a annulé une décision de la Cour d’appel de Paris ne reconnaissant pas à un ancien livreur “TakeEatEasy” la qualité de salarié, Terra Nova, “think tank progressiste” dont les positions augurent assez souvent de celles de l’Etablissement, vient de publier une note au sujet du statut des livreurs indépendants.
L’institut y donne une leçon de libéralisme aux plateformes numériques qui font travailler les livreurs.
Un peloton à la traîne
Dans un premier temps, les auteurs de la note brossent un portrait-type des livreurs indépendants fort éloigné de l’image d’Epinal que le grand public – aidé en cela par les publicités des plateformes elles-mêmes – peut ou veut s’en faire. Ils ne sont pas en effet majoritairement des étudiants habitant le centre des grandes métropoles, étant à la recherche d’un emploi purement alimentaire et se déplaçant uniquement à bicyclette, mais plutôt des jeunes habitant les banlieues des grandes villes, peu qualifiés, dont l’activité de livraison constitue un premier emploi à temps plein et qui la réalisent de plus en plus fréquemment, illégalement, sur des deux-roues motorisés. Reconnaissons que, présentés ainsi, les livreurs indépendants ont tout de suite l’air de moins coller à l’idéal-type du jeune urbain branché en train de se construire un avenir nécessairement radieux au sein de la fameuse “start-up nation”…
Pour l’indépendance des livreurs
Partant de ce portrait-type, Terra Nova avance neuf propositions destinées à réguler les relations entre les plateformes numériques et les livreurs. Dans l’ensemble, l’institut développe une leçon de libéralisme à l’attention des plateformes. Ainsi, sa seconde proposition résume bien son intention générale. En jugeant nécessaire de “renforcer l’indépendance réelle des coursiers” – par leur non géolocalisation, par leur inscription systématique sur plusieurs plateformes, par leur liberté réelle de choisir leurs jours et horaires de travail notamment – Terra Nova invite à tirer les conséquences d’un éventuel – et souhaitable selon l’institut – non basculement des livreurs indépendants dans le salariat. De la même manière, en appelant à des relations sociales bien plus concertées entre les plateformes et des “collectifs de coursiers”, l’institut sous-entend qu’elles ne sauraient avoir les prérogatives d’un employeur.
Un tremplin pour le transport ?
Parallèlement à cette tentative de dépassement des plateformes par leur droite, Terra Nova propose de faire de la livraison indépendante un tremplin pour des carrières plus durables et stables, mais toujours entrepreneuriales, dans le secteur des transports. Ceci passerait notamment par une libéralisation de l’utilisation des deux-roues électriques – dont l’équipement serait en outre facilité pour les livreurs – et par l’encouragement à s’inscrire progressivement – c’est-à-dire, entre autres, avec des coûts allégés – sur le registre des transports légers. D’après l’institut, ceci pourrait permettre à certains livreurs de s’investir dans le secteur des transports, qui recherche en permanence de la main d’oeuvre. Selon Terra Nova, les pouvoirs publics, de leur côté, pourraient profiter de la libéralisation de cette nouvelle profession du transport de livraison afin de mieux la contrôler et réguler.
Les plateformes numériques tireront-elles toutes les conclusions de la leçon libérale que vient de leur infliger Terra Nova ? Ceci est loin d’être évident.