L’interprétation d’un accord collectif ne peut faire l’objet d’une QPC

Cet article provient du site du syndicat CFDT.

L’interprétation que fait le juge d’une disposition logée dans une convention collective peut-elle faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité ? Non répond la Cour de cassation, qui a refusé de transmettre une QPC portant sur l’interprétation jurisprudentielle d’une norme négociée. En cela, elle fait une distinction claire entre la loi, dont l’interprétation peut être soumise au juge constitutionnel, et l’accord collectif. Cass. Soc, 20.04.17, n° 17-40002

  • Rappel du dispositif de la QPC

La « question prioritaire de constitutionnalité » (QPC) a bientôt 10 ans. Mis en place par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 et la loi organique du 10 décembre 2009, le dispositif se trouve inscrit à l’article 61-1 de la Constitution. La QPC est le droit reconnu à toute personne, partie à un procès ou une instance, de soutenir qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Si les conditions de recevabilité de la question sont réunies, il appartient au Conseil constitutionnel, saisi sur renvoi par le Conseil d’État et la Cour de cassation, de se prononcer et, le cas échéant, d’abroger la disposition législative. 

La QPC peut être posée en 1re instance, en appel ou encore cassation. Un premier examen des conditions est effectué par la juridiction saisie qui décide ou non de transmettre à la Cour de cassation (ou au Conseil d’État), qui fait à son tour un second examen plus approfondi des conditions avant de décider de transmettre (ou pas) au Conseil Constitutionnel. 

Si la QPC a été posée au niveau de la Cour de cassation (ou du Conseil d’État), un seul examen des conditions aura donc lieu. 

Plusieurs conditions sont à vérifier avant transmission:  

-la disposition législative critiquée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites 

– la disposition législative critiquée n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel  

– la question est nouvelle / présente un caractère sérieux. 

  • Les faits

Suite au transfert de leur contrat de travail, 24 salariés d’une société de propreté ont saisi le conseil de Prud’hommes de Marseille, réclamant l’application de la convention collective des entreprises de la propreté et le paiement de diverses primes, au nom du principe d’égalité de traitement. 

Un principe « à travail égal salaire égal » qui, combiné avec les dispositions de la convention collective en question, revenait pour la société défenderesse, à une « atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre, la liberté contractuelle et la sécurité juridique ». Des principes constitutionnellement garantis. 

C’est cette interprétation jurisprudentielle des dispositions conventionnelles qui a été soulevée devant le CPH, par le biais d’une QPC, et qui a atterri devant la Cour de cassation chargée de statuer sur sa transmission. 

  • QPC possible sur l’interprétation d’une loi, mais pas d’un accord

La cour commence par rappeler le principe constant selon lequel « tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante confère à une disposition législative »

La Cour de cassation fait ici une lecture stricte de la Constitution et de l’ordonnance portant création du Conseil constitutionnel (1) et limite la possibilité de soulever une QPC aux seules dispositions instaurées par la loi (et à l’interprétation éventuelle qui en est faite par le juge). 

L’article 61-1 de la Constitution dispose en effet que « Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation ». 

Pour la Haute cour, la question posée, sous couvert de critiquer des dispositions législatives inapplicables au litige, « vise exclusivement la portée effective de l’interprétation jurisprudentielle de dispositions conventionnelles ». Elle en conclut donc que la question est irrecevable, et refuse de la transmettre au Conseil constitutionnel. 

  • Que comprendre de cette décision?

À noter que cette restriction du contrôle aux normes législatives n’est pas nouvelle. La Cour de cassation a déjà pu déclarer irrecevable une QPC qui contestait l’interprétation d’une règle jurisprudentielle « sans préciser le texte législatif dont la portée serait de nature à porter atteinte au principe constitutionnel » (à propos des expertises biologiques dans le cadre des actions en recherche de paternité (3)). 

Une décision qui peut toutefois interroger sur le degré de contrôle de la norme négociée. Dans la mesure où très tôt (dès 2011) le droit de contester la constitutionnalité d’une interprétation jurisprudentielle (2) sur la base d’une loi a été reconnu, on se demande bien pour quelle raison l’interprétation d’une disposition « moins élevée » dans la hiérarchie des normes sociales échapperait à ce contrôle. 

Surtout au regard de l’autonomie et des marges de manœuvres, de plus en plus grandes, laissées à la négociation collective d’entreprise ou de branche … Et des éventuels « hiatus » qui pourraient exister entre un texte conventionnel et la norme constitutionnelle. 

Une décision qui semble cohérente avec la tendance actuelle de la chambre sociale de la Cour de cassation de limiter son contrôle, dès lors qu’il s’agit d’une norme négociée. Par exemple en présumant justifiée les différences de traitement entre catégories de salariés, à partir du moment où elles découlent d’un accord collectif (4). 

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