Cet article provient du site du syndicat de salariés CFDT.
Lorsqu’un employeur envisage de licencier l’un de ses salariés protégés, il doit se tourner vers l’inspecteur du travail afin de solliciter la délivrance d’une autorisation. Une fois saisi d’une telle demande, l’inspecteur procédera à une enquête contradictoire. Dans ce cadre-là, il sera conduit à recevoir le salarié concerné… et seulement lui ! Aucun autre de ses collègues ne devra être auditionné en même temps. Et ce quelles que soitent les circonstances qui ont conduit à la demande d’autorisation de licencier. CE, 08.11.19, n° 412566.
- Les faits
Une femme de ménage employée par la société Hôtel Negresco exerce par ailleurs, au sein de cette même entreprise, des mandats de déléguée syndicale et de représentante syndicale au comité d’entreprise.
En 2015, après autorisation de l’inspection du travail, elle se trouve licenciée pour motif disciplinaire. Il lui est alors reproché de harceler moralement certaines de ses collègues.
Par la suite, la salariée concernée décide de contester l’autorisation de licencier rendue par l’administration du travail devant la justice administrative.
- Ce qui était reproché à l’administration
Avant de rendre sa décision autorisant le licenciement, l’inspecteur du travail a, comme il se doit, procédé à une enquête contradictoire. Enquête au cours de laquelle, et comme son nom l’indique, chacune des parties a eu la possibilité d’être entendue.
Or le texte qui prévoit la réalisation de cette enquête est ainsi libellé : « l’inspecteur du travail procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d’un représentant de son syndicat »(1). D’une telle rédaction, même si cela est davantage implicite qu’explicite, on peut logiquement considérer que l’inspecteur du travail doit recevoir chacune des parties de manière « personnelle et individuelle ».
Ce qui n’avait pas été le cas, puisque la salariée avait été entendue par l’inspecteur du travail « en même temps qu’un autre salarié mis en cause pour les mêmes faits ».
-Pour la salariée, une telle façon de procéder ne pouvait qu’entacher d’illégalité l’autorisation de licenciement que l’inspecteur du travail avait fini par rendre.
-L’administration du travail s’est défendue en arguant qu’elle était habilitée à procéder ainsi, dans la mesure où la salariée « n’avait pas demandé à être entendue seule ».
- La décision des juges du fond
L’argumentation portée par la salariée semble avoir convaincu les juges du tribunal administratif de Nice, qui ont décidé d’annuler pour excès de pouvoir l’autorisation de licenciement rendue par l’inspection du travail.
Mais la cour d’appel de Marseille est finalement revenue sur cette appréciation, puisqu’elle a purement et simplement annulé le jugement rendu à Nice et débouté la salariée de sa demande.
- Le recadrage du Conseil d’Etat
Le Conseil d’Etat ne donne pas davantage gain de cause à la salariée, car il considère que l’audition conjointe de la salariée et d’une autre salariée de l’entreprise se rattachait ici à une procédure administrative antérieure.
Mais sur le fond, et dans la droite ligne de la jurisprudence qui est la sienne depuis longtemps (2), il précise aussi très clairement « qu’en jugeant que l’inspecteur du travail avait pu, sans entacher d’illégalité sa décision, entendre » la salariée « en même temps qu’un autre salarié mis en cause pour les mêmes faits au motif qu’elle n’avait pas demandé à être entendue seule, la cour administrative d’appel de Marseille a entaché son arrêt d’erreur de droit ».
- Un parallèle à opérer avec les dispositions relatives à l’entretien préalable au licenciement
L’enquête contradictoire a pour objet d’éclairer l’inspecteur du travail avant qu’il ne prenne sa décision. Décision lourde de conséquences, puisqu’en cas d’autorisation, elle conduira inévitablement le salarié à perdre son emploi… C’est en ce sens qu’il lui est demandé de recevoir le salarié visé par une demande d’autorisation de licenciement – et seulement celui-là.
Aussi, même lorsqu’il est reproché à plusieurs salariés d’avoir commis la même faute, chacun de ceux pour lesquels une demande d’autorisation est formulée doit être reçu « individuellement et personnellement ».
Une telle approche mérite d’être mise en perspective avec le positionnement que la Cour de cassation adopte à propos de l’entretien préalable au licenciement. Cet entretien a pour objet d’éclairer l’employeur avant qu’il ne prenne sa décision.
Décision toute aussi lourde de conséquences, puisqu’elle consistera à déterminer si le salarié doit ou non être renvoyé de l’entreprise ! De la même manière, il est donc exigé que cet entretien revête « un caractère strictement individuel qui exclut que soit entendu en présence de collègues contre lesquels il est également envisagé de prononcer une mesure de licenciement, quand bien même les faits reprochés seraient identiques » (3).
(1) Art. R.2421-11 C.trav.
(2) CE, 28.04.97, n°163971.
(3) Cass.soc.23.04.03, n°01-40.817.