Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat CFDT
Le versement d’indemnités de congés payés et le licenciement pour faute lourde ne sont désormais plus incompatibles. Une récente décision du Conseil Constitutionnel considère en effet que priver un salarié licencié pour faute lourde de ses indemnités compensatrices de congés payés est inconstitutionnel. Ce qui a pour conséquence de rendre immédiatement inapplicable cette disposition prévue dans le Code du travail. Cons. Constit. 02.03.16, n°2015-523, QPC.
- La législation en vigueur jusqu’ici
Lorsque le contrat de travail est rompu avant que le salarié ait pu bénéficier de la totalité des congés payés qu’il a acquis, il reçoit, pour la fraction dont il n’a pas bénéficié, une indemnité compensatrice de congés payés(1). Or, jusqu’ici, cette indemnité n’était pas due par l’employeur lorsque le contrat avait été rompu à la suite d’une faute lourde du salarié (2).Autrement dit, un salarié licencié pour faute lourde ne percevait aucune indemnité de licenciement, aucune indemnité compensatrice de préavis, et enfin pas d’indemnité compensatrice de congés payés.
Petit bémol : l’indemnité de congés payés dont était privé le salarié ne concernait que la période de référence en cours lors du licenciement. L’indemnité afférente à la période de référence antérieure restait due(3). A la différence d’une faute grave, la faute lourde suppose que le comportement fautif du salarié révèle son intention de nuire à l’entreprise ou à l’employeur. C’est par exemple le fait de divulguer des informations secrètes dans l’intention de nuire à son entreprise ou encore de dégrader volontairement un engin appartenant à l’employeur(4). Ce type de faute prive non seulement le salarié de toute indemnité de licenciement, mais elle peut également engager sa responsabilité : en cas de préjudice causé à l’employeur, il peut être condamné à lui verser des dommages-intérêts.
- La décision du Conseil Constitutionnel
C’est à l’occasion d’une décision du 2 décembre 2015, que la Cour de cassation a été saisie d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC), soulevée par un salarié licencié pour faute lourde et privé ainsi de ses indemnités de congés payés(5). La jugeant fondée et sérieuse, la Cour de Cassation décide de renvoyer la question au Conseil Constitutionnel :
QPC: La disposition légale prévoyant que l’indemnité compensatrice du droit acquis aux congés est due sauf en cas de licenciement pour faute lourde est-elle « contraire à l’article 11 du préambule de la Constitution de 1946 disposant que la Nation garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ? ». Autrement dit, la disposition du Code du travail est-elle conforme à la Constitution française ?
C’est ainsi que le 2 mars 2016, le Conseil constitutionnel juge contraire à la Constitution la disposition légale privant le salarié licencié pour faute lourde d’indemnité compensatrice de congés payés. Il justifie sa décision par deux principes :
– D’une part, cette mesure porte atteinte au droit au repos et au droit à la protection de la santé découlant de l’alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1946,
– Mais elle porte également atteinte au principe d’égalité garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. En effet, le Code du travail prévoit que la privation des indemnités de congés payés en cas de faute lourde ne s’applique pas « lorsque l’employeur est tenu d’adhérer à une caisse de congés en application de l’art. L. 3141-30 du même code » (6). Le législateur traite ainsi différemment les salariés licenciés pour faute lourde selon que leur employeur est affilié ou non à une caisse de congés payés. Si une différence de traitement est autorisée pour régler des situations différentes ou pour des raisons d’intérêt général, elle doit néanmoins être en rapport avec l’objet de la loi qui l’établit. Or, le Conseil Constitutionnel considère justement que cette différence de traitement est sans rapport tant avec l’objet de la législation relative aux caisses de congés (qui vise à garantir aux salariés exerçant une activité discontinue chez une pluralité d’employeurs, l’effectivité de leur droit à congé), qu’avec l’objet de la législation relative à la privation de l’indemnité compensatrice de congé payé (destinée à prendre en compte la gravité de la faute ayant justifié le licenciement). Le législateur a donc traité différemment des personnes se trouvant dans la même situation, et méconnu le principe d’égalité devant la loi.
Le Conseil Constitutionnel juge donc contraire à la Constitution les mots : « dès lors que la rupture du contrat de travail n’a pas été provoquée par la faute lourde du salarié » figurant au 2e alinéa de l’article L. 3141-26 du Code du travail.
- Conséquences immédiates de la décision
Cette déclaration d’inconstitutionnalité est d’application immédiate. Autrement dit, depuis la publication de la décision, même licencié pour faute lourde un salarié bénéficie de l’intégralité de son indemnité compensatrice de congés payés. Par ailleurs, cette décision peut être invoquée dans toutes les instances introduites à cette date et non jugées définitivement.Cette décision rend de la même façon caduque toute disposition d’accord collectif ou de règlement intérieur qui prévoirait la privation des indemnités de congés payés en cas de faute lourde.
Il n’y a donc désormais plus vraiment de différence en termes d’indemnité entre faute grave et faute lourde. Toutefois, deux conséquences non négligeables diffèrent en fonction de la qualification retenue de la faute commise : en cas de faute lourde non seulement le salarié ne bénéficie pas de la portabilité de la prévoyance, il est par ailleurs susceptible d’engager sa responsabilité en cas de préjudice causé à son employeur qui pourra ainsi lui réclamer des dommages-intérêts.
(1) Art. L. 3141-26 al. 1 C.trav. (2) Art. L. 3141-26 al. 2 C.trav : « L’indemnité est due dès lors que la rupture du contrat de travail n’a pas été provoquée par la faute lourde du salarié, que cette rupture résulte du fait du salarié ou de l’employeur ». (3) Cass. soc.28.02.2001, n°98-41.432. (4) Cass. soc. 24.06.09, n°08-41979. (5) Cass. soc. 02.12.15, n°15-19597. (6) Art. L. 3141-28 C.trav.