L’incarcération d’un salarié peut-elle être associée à un abandon de poste ?

Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat CFDT.

 

À première vue, le placement en garde à vue (puis en détention provisoire) d’un salarié ne semble pas pouvoir déboucher sur un licenciement pour abandon de poste. Comment pourrait-on, en effet, reprocher à ce dernier d’avoir abandonné son poste alors que, provisoirement privé de sa liberté d’aller et venir, il se trouvait « empêché » de retourner dans l’entreprise ? Et pourtant… Cass. soc. 20.05.14, n° 14-10.270. 

 

  • L’incarcération n’est pas une cause réelle et sérieuse de licencier

Dès lors qu’ils font suite à des faits commis à l’occasion de sa vie personnelle, le placement en garde à vue du salarié, pas plus que sa mise en détention provisoire, ne sont pas de nature, à eux seuls, à constituer une cause réelle et sérieuse de licencier (1). Dans un tel cas de figure, le contrat de travail doit simplement être considéré comme suspendu (2). Ce qui est on ne peut plus logique puisque ce qui est reproché au salarié (et qui n’altère nullement la présomption d’innocence dont il bénéficie jusqu’à son éventuelle condamnation définitive) est totalement déconnecté de l’exécution de son contrat de travail. 

 

  • Une possible rupture non disciplinaire du contrat de travail

Il pourra cependant en être autrement dans deux types de cas de figure : 

– Lorsque les faits commis sont « en lien avec l’activité professionnelle exercée »

-lorsque l’absence du salarié (générée par sa mise en garde à vue ou par son incarcération) est de nature à perturber le bon fonctionnement de l’entreprise et que son « remplacement définitif » s’avère indispensable (3). 

Pour autant, dans ce dernier cas de figure, le licenciement prononcé devra être vu, certes, comme un licenciement pour motif personnel, mais pas comme un licenciement disciplinaire. Ce n’est pas le fait qu’il soit en garde en vue ou en détention provisoire qui compte, c’est le fait que leur absence soit génératrice de perturbation (4). 

 

  • Un possible basculement du non disciplinaire vers le disciplinaire

Pourtant, et comme nous le verrons dans l’arrêt ici commenté, même dans ce type de situation, un glissement du non disciplinaire vers le disciplinaire pourra s’opérer. Par exemple lorsque le salarié placé dans l’impossibilité matérielle d’exécuter son contrat de travail n’aura pas informé l’employeur. Dans un tel cas de figure, la Cour de cassation est prompte à reconnaître l’existence d’une faute grave. Ainsi en avait-elle décidé, il y a trois années de cela, dans une affaire où l’absence du salarié, assortie de son assourdissant silence, perdurait depuis plus d’un mois (5). Position clairement réaffirmée à la fin du mois de mai dernier dans une affaire où un salarié avait été placé en garde à vue, puis placé en détention provisoire, sans avoir daigné en informer son employeur. Constatant l’absence inexpliquée de son salarié, l’employeur lui adressa un courrier recommandé lui demandant très expressément d’en justifier. Sans réponse de sa part, il le considéra, assez logiquement, en abandon de poste, et prit l’initiative, dans la foulée, de le licencier pour faute grave. 

 

  • Faute sérieuse ou faute grave ?

Ce licenciement s’est vu contesté aux prud’hommes. Contestation en partie entendue par les juges du fond puisque, tenant compte tant du caractère involontaire de l’absence que des difficultés rencontrées par le salarié pour prévenir et informer son employeur, ils ne retinrent l’existence que de la faute sérieuse, pas de la faute grave. Approuvant le fait que l’absence d’information en provenance du salarié autorisait l’employeur à emprunter la voie disciplinaire, ils n’étaient donc finalement venus qu’adoucir les conditions juridiques de la rupture, en rétablissant le salarié dans ses droits à indemnité de préavis et de licenciement. 

Une telle clémence, toute relative puisqu’elle ne consistait en rien à considérer que le licenciement avait été illégalement rompu, a cependant été censurée par la Cour de cassation. Cette dernière considère, en effet, que le salarié n’avait fait aucune démarche pour aviser son employeur de la situation, alors même qu’au moment du licenciement, il était incarcéré depuis plus d’un mois et que le salarié ne démontrait pas avoir été dans l’impossibilité d’effectuer une telle démarche. Enfin, cette carence du salarié avait désorganisé l’entreprise. En conséquence de quoi, le licenciement prononcé devait nécessairement être considéré comme ayant été prononcé pour faute grave. 

 

  • Pourquoi une telle sévérité de la part de la Cour de cassation ?

Une telle rigueur d’appréciation peut s’expliquer par le fait qu’admettre de manière trop libérale la déqualification faute grave / faute sérieuse aurait pu conduire à priver les employeurs du pouvoir de sanctionner par la faute grave des situations avérées d’abandon de poste. Il ne faut, en effet, pas perdre de vue que, dans cette affaire, au moment où il a décidé de licencier, l’employeur ignorait tout de la situation du salarié et de l’impossibilité de fait dans laquelle il se trouvait de venir travailler. Il ne pouvait donc, en toute bonne foi, qu’être enclin à considérer que le salarié avait décidé, et en pleine conscience, d’abandonner son poste. 

Pour faire tomber cette « présomption » d’abandon de poste et donc de faute grave, le salarié n’aurait eu qu’une seule possibilité : prouver qu’il lui avait été strictement impossible, pour lui, de prévenir son employeur du pétrin dans lequel il se trouvait. Preuve qu’il n’était visiblement pas en mesure de rapporter. 

 


(1) Cass. soc. 26.02.03, n° 01-40.255. 

(2) Cass. soc. 21.11.00, n° 98-41.788. 

(3) Cass. soc. 30.04.87, n° 84-42.554. 

(4) Cass. soc. 15.11.06, n° 04-48.192. 

(5) Cass. soc. 15.11.11, n° 10-26.751. 

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