Cet article a été initialement publié sur le site : CFDT
L’absence prolongée du salarié et la nécessité de préparer une réunion autorisent-elles l’employeur à accéder à la messagerie personnelle du salarié installée sur l’ordinateur professionnel ? Non, répond la Cour de cassation, il s’agit d’une atteinte au secret des correspondances. Cass. soc.07.04.16, n°14-27949.
Les faits
Profitant de l’absence de la salariée en arrêt maladie longue durée, et prétextant la nécessité de préparer une réunion, un employeur accède à l’ordinateur professionnel de celle-ci et consulte les derniers emails reçus sur sa messagerie personnelle. Il découvre alors qu’elle est, depuis plusieurs mois, à la recherche d’un autre poste. Licenciée par la suite pour absence prolongée, la salariée saisit alors la juridiction prud’homale. Elle conteste non seulement le motif de licenciement, mais elle demande aussi la condamnation de son employeur à des dommages et intérêts pour violation du secret des correspondances. C’est sur cette seconde demande que va se prêter notre attention.
La cour d’appel rejette la demande de dommages-intérêts : le courriel litigieux se trouve sur une messagerie électronique figurant sur l’ordinateur professionnel mis à la disposition de la salariée et situé sur son lieu de travail. Dès lors, la salariée étant absente depuis plusieurs mois et les messages n’étant pas identifiés comme « personnels », l’employeur pouvait, dans l’intérêt de l’entreprise, y avoir librement accès. La salariée saisit la Cour de cassation.
L’employeur pouvait-il, en raison de l’intérêt de l’entreprise et en l’absence de la salariée, consulter sa messagerie personnelle figurant sur l’ordinateur professionnel fourni par l’employeur ?
Non, répond la Cour de cassation qui casse sur ce point l’arrêt de la cour d’appel : elle considère que les juges du fond auraient dû rechercher « si le message électronique litigieux n’était pas issu d’une boîte à lettres électronique personnelle distincte de la messagerie professionnelle dont la salariée disposait pour les besoins de son activité et s’il n’était pas dès lors couvert par le secret des correspondances ».
La consultation des messages personnels du salarié
Le principe veut que les messages émis et reçus par le salarié sur la messagerie mise à sa disposition par son entreprise soient présumés avoir un caractère professionnel. A ce titre, l’employeur peut librement les consulter à condition que ceux-ci n’aient pas été identifiés par le salarié comme étant personnels (1). S’ils sont identifiés comme tels, l’employeur pourra toutefois les consulter mais seulement en présence du salarié (2).
Si cette possibilité est ouverte à l’employeur pour des messages émis ou reçus via une boîte professionnelle, qu’en est-il des messages émis et reçus par un salarié via une messagerie personnelle, mais qui figure sur l’ordinateur professionnel fourni par l’employeur ?
La jurisprudence a déjà tranché ce point. Dans un arrêt récent, la Cour de cassation a considéré que la production en justice de mails provenant (ou émanant) de la messagerie personnelle du salarié, distincte de la messagerie professionnelle fournie par son employeur mais installée sur son ordinateur professionnel, portait atteinte au secret des correspondances (3).
Dans notre affaire, la solution va dans le même sens. Alors que pour la cour d’appel le fait que le courriel se trouve sur une messagerie électronique installée sur l’ordinateur professionnel fourni à la salariée et situé sur son lieu de travail autorise l’employeur à y accéder en l’absence de la salariée, pour la Cour de cassation il en est tout autrement : dès lors que les messages litigieux émanent d’une boîte à lettres électronique personnelle distincte de la messagerie professionnelle dont le salarié se sert dans le cadre de son activité professionnelle, ils sont protégés au titre du secret des correspondances. L’employeur ne peut donc pas les consulter, et ce, qu’ils soient ou non identifiés comme étant personnels.
L’absence du salarié : les limites du pouvoir de l’employeur
En l’espèce, l’employeur justifie son acte par l’intérêt de l’entreprise et le fait que la salariée est absente depuis plusieurs mois. Or l’intérêt de l’entreprise peut-il justifier une atteinte à l’intimité de la vie privée du salarié ?
Pour les Hauts magistrats, l’absence du salarié n’autorise pas l’employeur à consulter la messagerie personnelle du salarié distincte de sa messagerie, quand bien même celle-ci serait installée sur un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et quel que soit l’intérêt de l’entreprise invoqué.
Intérêt de l’entreprise qui, en l’espèce, semble par ailleurs discutable, puisqu’il n’est caractérisé que par la seule nécessité de préparer une réunion. Une telle intrusion de l’employeur dans la vie privée du salarié constitue une atteinte à la liberté fondamentale que constitue le secret des correspondances (4).
Les juges du fond auraient dû, dans un premier temps, vérifier la nature de la messagerie à partir de laquelle étaient émis et reçus les mails en question.
Pour résumer : protégez vos données personnelles !
– L’employeur peut librement consulter les mails émanant ou provenant de votre messagerie professionnelle dès lors qu’ils n’ont pas été identifiés comme personnels. S’ils sont qualifiés de personnels, l’employeur pourra tout de même les consulter en votre présence.
– L’employeur ne peut pas consulter les mails que vous envoyez ou recevez via votre messagerie personnelle, même installée sur l’ordinateur qui a été mis à votre disposition dans le cadre de votre activité professionnelle.
Attention toutefois ! Les messages personnels, tout comme les fichiers personnels, qui auront été enregistrés dans le disque dur de l’ordinateur professionnel sont présumés avoir un caractère professionnel et peuvent à ce titre être librement consultés par l’employeur, sauf s’ils ont été clairement identifiés comme étant personnels ! La solution est la même pour une clé USB personnelle connectée sur l’ordinateur professionnel (5). Pensez donc à identifier ces données comme personnelles, sachant que la protection reste partielle puisque votre employeur pourra tout de même y accéder en votre présence. La meilleure solution pour assurer la protection de vos données reste donc de ne rien enregistrer sur le disque dur ou de déconnecter tout outil informatique personnel de l’ordinateur professionnel.