Cet article provient du site du syndicat de salariés CFDT.
Lorsque la lettre de licenciement justifie la rupture du contrat de travail par une cause réelle et sérieuse, il appartient alors au salarié de prouver que le licenciement constitue une mesure de rétorsion à son action en justice. C’est ce que juge la Cour de cassation dans un arrêt publié au Bulletin officiel. Cass.soc.09.10.2019, n°17-24.773
- Faits, procédure
Un salarié a saisi le conseil de prud’hommes pour obtenir un paiement de primes et d’heures supplémentaires. Quelques jours après, il est mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable en vue de son licenciement. A peine 1 mois après son action en justice, il est licencié pour faute grave. Sa lettre de licenciement fait alors mention d’une attitude supposée agressive et injurieuse envers deux supérieurs hiérarchiques et lui reproche d’avoir dénigré l’entreprise en public.
Pour le salarié, il est clair que son licenciement est en lien avec son action en justice. Il décide donc de saisir le Conseil de prud’hommes pour obtenir la nullité de son licenciement.
Pour les juges du fond, le licenciement a été prononcé sur un motif réel et sérieux. Le lien ne pouvait alors être présumé entre l’action en justice du salarié et son licenciement pour faute grave et ce, peu importe le laps de temps très court entre l’action en justice et le licenciement. Dans ce cas, il appartient au salarié d’apporter la preuve qu’un lien existe entre les deux actions, ce qu’il ne fait pas.
Le salarié décide de se pourvoir devant la Cour de cassation.
Un licenciement en raison d’une action en justice est nul en raison de l’atteinte portée à une liberté fondamentale, celle d’ester en justice (1).
- La lettre de licenciement change la donne en matière de preuve
Pour le salarié, il est alors clair que la concomitance des actions laisse présumer que le licenciement a constitué une mesure de rétorsion suite à son action en justice. Pour lui, c’est bien à l’employeur de prouver que le licenciement est étranger à son action en justice.
La Cour de cassation confirme la position des juges du fond « lorsque les faits invoqués dans la lettre de licenciement caractérisent une cause réelle et sérieuse de licenciement, il appartient au salarié de démontrer que la rupture de son contrat de travail constitue une mesure de rétorsion à une action en justice introduite pour faire valoir ses droits ».
La Haute Cour précise également que « le déplacement à l’agence des deux supérieurs hiérarchiques avait pour but de trouver une solution concernant les mauvais résultats commerciaux de l’agence, lesquels étaient établis par la production d’extraits informatiques ». Le salarié n’ayant pas réussi à apporter la preuve contraire, le licenciement est justifié par une cause réelle et sérieuse.
La charge de la preuve va donc dépendre du contenu de la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige.
Dans cette situation, la question à se poser est donc la suivante :
les faits invoqués dans la lettre de licenciement constituent-ils ou non une cause réelle et sérieuse justifiant le licenciement ?
- Une solution logique
Un arrêt du 5 décembre 2018 avait déjà posé ce principe, sauf que cette fois-là, l’employeur n’avait pas mentionné dans la lettre de licenciement une cause réelle et sérieuse pour justifier le licenciement du salarié. Le lien entre les deux actions était ainsi présumé. Il appartenait alors à l’employeur de justifier sa décision « par des éléments étrangers à toute volonté de sanctionner l’exercice, par le salarié, de son droit à agir en justice ». Ce qu’il n’avait pas su faire, à la suite de quoi le licenciement avait été jugé nul (2).
La Cour de cassation vient de réitérer ce principe dans un arrêt rendu le même jour (3). Dans cette affaire, un salarié a saisi la justice pour un rappel de salaire et le versement d’une prime. Il est, 18 mois après, licencié pour avoir produit, dans le cadre de l’instance prud’homale, des documents internes falsifiés ainsi que des attestations de salariés obtenues par abus de sa position hiérarchique. Pour les juges du fond et la Haute Cour, les faits reprochés n’étaient pas établis. Aussi, les faits invoqués dans la lettre de licenciement ne caractérisaient pas une cause réelle et sérieuse de rupture du contrat de travail. Il appartient alors à l’employeur d’apporter la preuve que la mesure de rétorsion est étrangère à l’action en justice du salarié. Ce qu’il ne fait pas. Le licenciement est alors jugé nul.
Le principe est donc le suivant :
La difficile charge de la preuve repose sur le salarié si les faits invoqués dans la lettre de licenciement constituent une cause réelle et sérieuse. A contrario, le licenciement sera présumé être une mesure de rétorsion suite à l’action en justice du salarié. Il appartiendra alors à l’employeur de prouver que le licenciement est étranger à l’action en justice du salarié. A défaut, le licenciement sera jugé nul.
Pour rappel : en cas de licenciement nul, la réparation du préjudice n’est pas soumise au plafonnement des indemnités prud’homales.
Notons que si, dans la lettre de licenciement, il est fait expressément référence à une action justice du salarié, qu’elle soit engagée ou même simplement envisagée, cela suffit à justifier la nullité du licenciement ! L’employeur n’est pas alors admis à rapporter la preuve contraire (4).
(1) Art. 6§1 de la Convention européenne des droits de l’Homme et cass.soc. 21.11.18, n°17-11.122.
(2) Cass.soc.05.12.18, 17-17.687.
(3) Cass.soc.09.10.19, n°18-14.677.
(4) Cass.soc.13.02.19, 17-23.720.