Licenciement discriminatoire : le salarié doit rapporter un début de preuve

Le 26 avril dernier, la Cour de cassation a rendu une décision très intéressante relative au licenciement d’un salarié déclaré apte avec réserves et refusant une mutation. 

Il s’agit d’un salarié chargé de clientèle qui s’occupait de la gestion des aires d’accueil des gens du voyage. 

Suite à un arrêt de travail, 2 avis d’aptitude avec réserve ont été rendus par le médecin du travail. Ces deux réserves hautement critiquables, prévoyaient au même titre qu’une interdiction de port de charges lourdes ou qu’un traitement thérapeutique, la nécessité pour le salarié d’éviter tout contact et relation avec les « gens du voyages », et les « population des aires de voyage ». 

La société a alors proposé, avec l’avis favorable du médecin du travail, une mutation au salarié pour un poste correspondant à son emploi, ce dernier étant par ailleurs soumis à une clause de mobilité. Le salarié ayant opposé un refus à cette mutation a, par la suite, été licencié par son entreprise. Il a alors contesté son licenciement. 

 

La Cour d’appel prononce la nullité du licenciement

La Cour d’appel saisie a prononcé la nullité du licenciement, ordonné sous astreinte sa réintégration dans ses fonctions et condamné la société à indemniser le salarié. Elle a en effet retenu que le licenciement prononcé à l’encontre du salarié aurait indirectement reposé sur l’état de santé du salarié. 

La Cour d’appel affirme en effet qu’il appartenait à l’employeur de former un recours auprès de l’inspecteur du travail contre l’avis d’aptitude avec réserve rendu par le médecin du travail (sur le fondement de l’article L4624-1 du code du travail, dans sa version en vigueur au 1er mai 2008). 

En l’absence d’un tel recours, la Cour d’appel retient que l’employeur ne pouvait fonder son licenciement sur son impossibilité à aménager le poste du salarié. La société aurait donc dû adapter le poste du salarié en fonction des réserves même douteuses émises par le médecin du travail. 

La société ayant proposé une mutation au salarié sans chercher à aménager le poste aurait ainsi prononcé un licenciement discriminatoire fondé, selon la Cour d’appel, sur l’état de santé du salarié, car faisant suite à un arrêt maladie. 

Il est nécessaire de rappeler que lorsque le médecin du travail prononce un avis d’aptitude avec réserve, l’employeur est dans l’obligation de procéder à un aménagement de poste en accord avec les prescriptions formulées. La Cour d’appel affirme que dans ce cas, peu importe l’existence ou non d’une clause de mobilité géographique dans le contrat de travail du salarié, et peu importe également l’avis favorable rendu par le médecin du travail quant au poste proposé à la mutation. 

Autrement dit, la Cour d’appel affirme qu’il appartenait à la société de permettre à un salarié employé comme chargé de clientèle dans une aire d’accueil des gens du voyage de continuer à exercer ses fonctions sans qu’il n’ait de contact avec les « gens du voyage ». 

 

La Cour de cassation écarte tout caractère discriminatoire du licenciement

La Cour de cassation casse la décision de la Cour d’appel. Elle affirme en effet, qu’aucun élément dans le licenciement du salarié ne laissait supposer l’existence d’une discrimination fondée sur l’état de santé du salarié. Au regard du poste occupé par le salarié en question et des aménagements de poste requis par l’avis du médecin du travail, la mutation qui était d’ailleurs compatible avec l’avis d’aptitude, n’était donc pas discriminatoire. Le salarié ne pouvait donc refuser l’application de la clause de mobilité prévue dans son contrat de travail sans risquer qu’un licenciement soit prononcé à son encontre. 

La Cour de cassation se fonde ainsi sur les articles L1132-1 et L1134-1 du code du travail qui définissent les discriminations ainsi que leur régime de preuve. 

La particularité des litiges relatifs aux traitements discriminatoires réside dans le renversement de la charge de la preuve : la victime doit présenter des éléments de faits laissant supposer l’existence de la discrimination (autrement dit, une présomption de discrimination), tandis que l’employeur doit démontrer le caractère objectif et non discriminatoire des décisions prises à l’encontre du salarié. 

Dans notre affaire la Cour retient simplement l’absence de présomption de discrimination. Elle ne rentre pas dans les détails relatifs à la possibilité ou non d’aménager le poste selon les prescriptions du médecin du travail. Probablement parce que l’aménagement de poste requis était véritablement impossible à mettre en œuvre et très sûrement à cause du caractère très limite des réserves émises par le médecin du travail. 

 

 

Sur le moyen unique : 

Vu les articles L. 1132-1 et L. 1134-1du code du travail, en leur rédaction applicable en la cause ; 

Attendu qu’en application de ces textes, lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments dans leur ensemble laissent supposer l’existence d’une telle discrimination et, dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; 

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X… a été engagé le 3 mai 2010 en qualité de chargé de clientèle par la société Saur selon contrat de travail comprenant une clause de mobilité géographique, l’intéressé étant affecté au centre Côtes d’Armor à Pleurtuit/Poubalay où il assurait la gestion des aires d’accueil des gens du voyage ; qu’à la suite d’un arrêt de travail à compter du 11 juillet 2011, après deux avis du médecin du travail déclarant le salarié apte au poste de chargé de clientèle, le premier avis du 28 septembre 2011 précisant « mais sans contact avec les gens du voyage », le second avis du 20 octobre 2011 mentionnant « mais sans relation avec les populations des aires du voyage », la société, après avoir proposé à l’intéressé un poste correspondant à son emploi à Pont-l’Abbé (Finistère) ayant reçu l’avis favorable du médecin du travail, l’a licencié par lettre du 9 janvier 2012 pour motif réel et sérieux en raison de son refus de la mutation proposée ; 

Attendu que pour dire nul le licenciement, ordonner sous astreinte la réintégration du salarié dans ses fonctions et condamner la société au paiement de diverses sommes, l’arrêt retient qu’il résulte des termes mêmes de la lettre de convocation à l’entretien préalable et de la lettre de licenciement que c’est l’état de santé du salarié qui a entraîné à terme, au moins indirectement, la mesure de licenciement sanctionnant le refus du salarié à accepter un poste distant de plus de 200 kilomètres par voie routière, que dans ces conditions, face à cet avis d’aptitude même avec réserve, l’employeur, qui a choisi de ne pas mettre en oeuvre le recours organisé par l’article L. 4624-1 du code du travail, ne pouvait pas prendre argument de l’impossibilité dans laquelle il se trouvait à adapter le poste occupé jusqu’alors par le salarié pour aboutir au licenciement discriminatoire de l’intéressé, peu important en la matière la clause de mobilité géographique figurant au contrat, tout comme le fait que le médecin du travail ait émis, sur demande de l’employeur, un avis favorable à la proposition de poste de chargé de clientèle à Pont-l’Abbé ; 

Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que le salarié occupait les fonctions de chargé de clientèle affecté à la gestion des aires d’accueil des gens du voyage à Pleurtuit et Ploubalay et que l’avis émis par le médecin du travail le déclarait apte à son poste sans relation avec les populations des aires du voyage, en sorte que la proposition de mutation du salarié par la mise en oeuvre de la clause de mobilité figurant au contrat de travail sur un poste de chargé de clientèle compatible avec l’avis d’aptitude ne constituait pas un élément laissant supposer l’existence d’une discrimination en raison de l’état de santé et que le licenciement prononcé, fondé sur le refus par le salarié de cette mutation n’était pas discriminatoire, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; 

 

PAR CES MOTIFS : 

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 15 octobre 2014, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Angers ; 

 

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