Cette publication est issue du site du syndicat de salariés CFDT
La réorganisation des services entraînant le changement du lieu de travail du salarié justifie-t-elle en soi le licenciement du salarié ayant refusé la modification de son contrat de travail qui en découle ?
Non, rappelle la Cour decassation.Cass.soc.11.07.18, n°17-12747.
- Faits, procédure, prétentions
Un salarié, comptable, exerçait ses fonctions dans la région lyonnaise depuis 9 ans quand, à la suite d’un plan de cession, son contrat de travail a été transféré à son nouvel employeur.
Ayant décidé de réorganiser le service financier et de regrouper les activités de l’entreprise à Rennes, ce dernier lui a proposé une modification de son contrat due au changement de lieu de travail. Le salarié a refusé cette modification et a été licencié pour motif personnel.
Contestant le bien-fondé de ce licenciement, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes. En appel, les juges du fond ont considéré que son licenciement reposait bien sur une cause réelle et sérieuse car la réorganisation des services relevait, selon eux, du pouvoir de direction de l’employeur.
Le salarié a alors décidé de former un pourvoi, estimant que son licenciement ne reposait en réalité pas sur un motif personnel, mais sur un motif économique.
- Le refus du salarié de la modification n’est pas en soi une cause de licenciement
Saisie de cette question, la Cour de cassation a donc rappelé dans un arrêt du 11 juillet dernier, rendu aux visas des articles 1134 du Code civil et L.1233-3 du Code du travail (1), que « le seul refus par le salarié d’une modification de son contrat de travail ne constitue pas une cause réelle et sérieuse de licenciement ».
La solution est classique. La Cour de cassation considère de longue date que le salarié est en droit de refuser une modification de son contrat de travail, tandis qu’il ne peut refuser un simple changement de ses conditions de travail (2).
Or, la modification du lieu de travail peut constituer une modification du contrat de travail dans 2 cas précis.
Tout d’abord, très logiquement, si un lieu de travail particulier a été expressément contractualisé. A cet égard, une simple mention du lieu de travail au contrat ne suffit pas car dans ce cas, on peut considérer que la clause est simplement « informative » ! Ensuite, quand bien même un lieu de travail précis n’aurait pas été contractualisé, en l’absence de clause de mobilité, le pouvoir de l’employeur de modifier le lieu de travail a pour limite la zone géographique d’exécution habituelle du contrat. Ces zones géographiques relèvent cependant de l’appréciation des juges et leurs contours ne sont pas toujours évidents…
Toutefois, en l’espèce, le transfert du lieu de travail de la région lyonnaise à la Bretagne constituait de toute évidence un transfert en dehors de la zone géographique habituelle. L’employeur devait donc obtenir le consentement du salarié à cette modification contractuelle et le salarié était en droit de la refuser. Ce dont il résulte que le licenciement ne pouvait être prononcé en raison du refus du salarié.
L’employeur devait donc soit poursuivre l’exécution du contrat aux conditions antérieures, soit être en mesure de se prévaloir d’un autre motif pour justifier le licenciement.
Se posait donc une seconde question classique relative à l’origine du licenciement, dont le salarié prétendait qu’il avait été prononcé pour un motif économique, tandis qu’en appel, les juges du fond avaient retenu un motif personnel.
- Le licenciement dû au refus du salarié est économique, et justifié ou non selon les circonstances
Avant de se prononcer sur le bien-fondé du licenciement, les juges du fond auraient donc dû statuer sur la qualification (3) du licenciement prononcé : la cause du licenciement était-elle inhérente au salarié ou bien reposait-elle sur les raisons ayant conduit à la réorganisation entraînant le changement de lieu de travail ? Autrement dit, le licenciement était-il un licenciement pour motif personnel ou pour motif économique ?
Au-delà de la question du bien-fondé du licenciement, autrement dit de l’existence d’une cause réelle et sérieuse, il y a des enjeux afférents à la qualification économique, à savoir, pour les principaux : obligation de reclassement, bénéfice du contrat de sécurisation professionnelle ou du congé de reclassement, priorité de réembauchage.
Pour la Cour de cassation, la réponse est très claire : « la rupture résultant d’un refus par le salarié d’une modification de son contrat de travail, proposée par l’employeur pour un motif non inhérent à sa personne, constitue un licenciement pour motif économique ».
La solution n’est, là aussi, que le rappel d’une jurisprudence ancienne et constante selon laquelle la qualification du licenciement (pour motif personnel ou pour motif économique) dépend de la raison de la proposition de modification du contrat (4). S’agit-il d’une raison personnelle, par exemple d’une mutation prononcée à titre de sanction ? Ou bien d’un motif économique, la modification prenant sa source dans des raisons totalement extérieures au salarié ?
En l’espèce, le licenciement ne pouvait qu’être qualifié de licenciement pour motif économique, car la raison originelle tenait dans la réorganisation des services et ne pouvait reposer sur le comportement du salarié, son refus étant légitime.
Or, aucune cause économique (difficultés économiques, nécessité de sauvegarder la compétitivité, mutations technologiques, cessation d’activité) n’était invoquée. Il en découlait donc que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Le rappel de cette solution classique est bienvenu, d’autant qu’il existe quelques exceptions qui sont susceptibles de faire oublier la règle de principe.
- Exceptions : clause de mobilité ou accord de performance collective
En l’absence de clause de mobilité, la modification du lieu de travail en dehors de la sphère géographique est une modification du contrat de travail.
Toutefois, si le contrat ou la convention collective prévoient une telle clause, le salarié ne pourra que difficilement refuser la modification de son lieu de travail, quand bien même il serait envoyé d’un bout de la France à l’autre, la place réservée à la protection de la vie personnelle et familiale semblant de plus en plus ténue (5).
Par ailleurs, les nouveaux accords de performance collective, régis par les articles L.2254-2 et suivants du Code du travail, permettent aux négociateurs de « déterminer les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise». Dans ce cas, si le salarié peut toujours refuser la modification, son licenciement « repose sur un motif spécifique qui constitue une cause réelle et sérieuse » (L.2254-2 C.trav.).
(1) L’article 1134 du Code civil dans sa rédaction applicable à l’espèce consacre la bonne foi dans l’exécution du contrat. Quant à l’article L.1233-3 du Code du travail, il définit ce qu’est une cause économique et, plus largement, une rupture pour motif économique.
(2) Cass.soc.27.05.98, n°96-40929.
(3) Certains auteurs, comme J. Pélissier, distinguent en matière de licenciement économique la cause qualificative, qui permet de dire si le licenciement est inhérent ou non à la personne du salarié, de la cause justificative, qui conduit à se demander s’il est fondé sur une cause réelle et sérieuse.
(4) Cass.soc.14.05.97, n°94-43712.
(5) Cass.soc.14.02.18, n°16-23042, commenté sur ce site.