L’Etat employeur encore pris en flagrant délit d’hypocrisie

L’ironie de l’actualité a voulu que le même jour le gouvernement, en Conseil des Ministres, ne présente son projet de loi (Rebsamen) sur la modernisation du dialogue social et une communication sur la réforme territoriale. Une fois de plus, l’Etat a montré comment il s’exonérait allègrement lui-même des règles qu’il posait pour les entreprises sur un ton de donneur de leçons. 

Quelques perles du projet de loi Rebsamen

Les insomniaques et les dépressifs entameront une cure salutaire en lisant l’étude d’impact du projet de loi Rebsamen sur le dialogue social et l’emploi. Certaines pages valent en effet leur pesant de cacachuètes.  

Dès l’ouverture (page 16), on y lit notamment: 

“Sur le plan économique, il ne fait plus de doute aujourd’hui que le dialogue social, loin d’être un frein à la performance des entreprises, permet au contraire de la favoriser. 

Plusieurs études (comme récemment Marc Ferracci, Florent Guyot, Dialogue social et performance économique, Presses de Sciences Po, février 2015) montrent des corrélations très positives entre une présence syndicale constructive et les principaux leviers de performance des entreprises comme la productivité, le volume de formations dispensées par les entreprises (et donc le capital humain), un plus faible turnover des salariés ou encore de meilleures conditions de travail.”  

Il suffit bien évidemment de lire les tribulations de la SNCM, de la Poste et de l’ensemble des administrations publiques pour savoir que, grâce à leur présence syndicale constructive, leur performance économique est exemplaire. Toutes les études scientifiques le prouvent.  

Ceux qui imaginaient que le développement du syndicalisme en entreprise était un préalable à la diminution du recours à la loi dans le domaine social en seront pour leur grade: la loi utilise le syndicalisme comme vecteur bien connu de croissance économique et comme outil de relance in abstracto. Pas un seul instant les services du ministère du Travail n’imaginent que c’est l’inflation législative qui plombe la compétitivité des entreprises… 

Mais l’un des aspects les plus intéressants de cette étude d’impact porte sur l’évolution des obligations d’information et de consultation du comité d’entreprise. Page 108, par exemple, le texte relève que les entreprises sont aujourd’hui dans des “conditions peu propices à un dialogue social de qualité” et ajoute que le cadre légal actuel “apparaît aujourd’hui en décalage avec l’intérêt que trouveraient les partenaires sociaux à pouvoir définir eux–mêmes certaines modalités de leur propre dialogue.” (page 109). 

On ne peut qu’approuver ce souci d’un dialogue social de qualité, en application, par exemple, de l’article L 2323-19 du Code du Travail qui prévoit: 

Le comité d’entreprise est informé et consulté sur les modifications de l’organisation économique ou juridique de l’entreprise, notamment en cas de fusion, de cession, de modification importante des structures de production de l’entreprise ainsi que lors de l’acquisition ou de la cession de filiales au sens de l’article L. 233-1 du code de commerce. 

L’employeur indique les motifs des modifications projetées et consulte le comité d’entreprise sur les mesures envisagées à l’égard des salariés lorsque ces modifications comportent des conséquences pour ceux-ci.” 

Tous ceux qui ont participé à des réorganisations ou des fusions connaissent bien les effets redoutables de cette disposition qui obligent à associer étroitement les représentants du personnel aux grandes évolutions de l’entreprise. 

La réforme territoriale passerait-elle le cap du Code du Travail?

Tous ces grands principes qui obligent un chef d’entreprise à travailler en étroite collaboration avec ses collaborateurs dès lors qu’il s’agit de restructurer l’entreprise sont remarquablement foulés au pied par l’Etat dans le cadre de sa réforme territoriale, qui est supposée supprimer la moitié des services régionaux en France. La conduite de celle-ci obéit en effet à quelques principes qui justifieraient des recours pénaux systématiques de la part de représentant du personnel en entreprise. 

La communication d’hier du gouvernement sur le sujet en a donné une superbe démonstration.  

La ligne suivie par l’Etat consiste en effet à définir les grands principes de réorganisation à partir de rapports officiels commandés et adoptés ou discutés plus ou moins publiquement sans consultation formelle des instances représentatives ad hoc. S’agissant de réorganisations d’une telle ampleur, on imagine les sueurs froides qu’un chef d’entreprise aurait s’il dévoilait avec autant de légèreté des dispositions soumises à l’info-consulte. 

Le dispositif d’Etat a d’ailleurs fait l’objet d’un premier cadrage très prometteur. Non seulement des préfets préfigurateurs ont été nommés dans chaque future région pour préparer les fusions, mais les mesures de restructuration et d’accompagnement sont déjà arrêtées pour l’essentiel:  

“Les principes généraux, qui fixent le cadre des réflexions territoriales, ont été arrêtés suite aux travaux conduits par les missions des inspections générales sur l’organisation territoriale de l’Etat et par les préfets des régions Bourgogne et Franche-Comté demandés par le Premier ministre. (…) 

Un regroupement interministériel des fonctions supports régionales sera proposé dans le cadre de la préfiguration ; il est au moins nécessaire pour l’immobilier et les achats (…). 

Pour ce qui concerne les agences régionales de santé, sept directeurs généraux préfigurateurs sont nommés : ce sont ceux des régions Lorraine, Aquitaine, Rhône-Alpes, Bourgogne, Midi-Pyrénées, Basse-Normandie et Nord-Pas-de-Calais. Les futures agences régionales de santé auront pour périmètre les nouvelles régions. La désignation de ces préfigurateurs ne prédétermine en aucune façon le choix d’implantation du service. (…) 

Il sera créé, par voie législative, un droit à mutation prioritaire pour les agents dont le poste sera supprimé. Ils pourront bénéficier d’une priorité d’affectation ou de détachement sur tout emploi vacant correspondant à leur grade (…).  

Le télétravail sera par ailleurs développé afin de faciliter l’articulation entre la vie professionnelle et la vie personnelle des agents devant effectuer une mobilité. Un décret en Conseil d’Etat sera pris d’ici à l’été et précisera, concrètement, les droits et obligations des agents en situation de télétravail. 

Des plans de formation seront mis en œuvre en appui des agents dont les missions seraient appelées à évoluer. 

Dès le 1er janvier 2016, chaque agent concerné par la réforme de la carte des administrations régionales de l’Etat verra sa rémunération garantie (…).” 

Heureusement, ce dispositif fera l’objet d’un “dialogue social de qualité” tel qu’il est conçu par l’Etat: 

Un dialogue approfondi sera mis en place tout au long du déploiement de la réforme. 

Le dialogue social sera renforcé avec les représentants des personnels avec lesquels une concertation approfondie sera conduite au niveau interministériel, par chaque ministre et au niveau local. 

Les agents seront associés à la réforme en tant que force de proposition sur les évolutions des organisations de travail, et seront informés régulièrement des décisions prises. Les conditions de travail, la qualité de l’environnement professionnel ainsi que le développement des compétences seront mis au cœur de la réflexion sur les nouvelles organisations. Leur mise en place sera précédée d’une étude d’impact, qui évaluera leurs conséquences sur les personnels et leurs conditions de travail. 

Une circulaire sera adressée à tous les préfets de région préfigurateurs afin de les inviter à mettre en place une instance interministérielle de dialogue informel, composée des organisations syndicales représentatives de la fonction publique de l’Etat. Cette instance sera réunie à chaque étape de la réforme.” 

On imagine un chef d’entreprise annoncer à la presse les contours d’une restructuration, des mesures d’accompagnement, et faire valoir qu’il va instamment consulter les personnels sur le sujet… en mettant en place une instance de dialogue informel… 

Il est très probable que si les services ministériels devaient appliquer le Code du Travail pour réformer l’administration, ils le simplifieraient très vite!  

 

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