Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat de salariés CFDT.
Le salarié titulaire d’un mandat extérieur à l’entreprise qui informe son employeur de l’existence de celui-ci juste avant la rupture de son contrat est susceptible de commettre une fraude qui le prive de la protection attachée à son mandat. C’est ce que retient la Cour de cassation dans un arrêt publié. Cass.soc.12.07.17, n°15.27286.
- La protection du conseiller du salarié
L’article L.2413-1 du Code de travail prévoit spécifiquement la saisine préalable de l’inspection du travail en cas d’interruption ou de non renouvellement de la mission d’un intérimaire par l’entreprise de travail temporaire lorsque celui-ci bénéficie d’un mandat représentatif (comme c’est le cas dans notre affaire).
Cet article ne vise pas expressément le mandat de conseiller du salarié. Ce qui n’empêche pas celui-ci de bénéficier bel et bien d’une protection. Ce type de mandat extérieur est en effet expressément visé dans la liste des mandats ouvrant droit à une protection en cas de licenciement. Ce qui explique sans doute que l’arrêt de la Cour de cassation soit rendu également au visa des articles L. 2421-1, L. 2411-21 et L. 1232-14 du Code du travail.
Toutefois pour appliquer cette protection, encore faut-il que l’employeur soit informé du mandat du salarié, ce qui n’est pas toujours évident en cas de mandat extérieur à l’entreprise.
- La jurisprudence en matière d’information préalable à l’employeur d’un mandat extérieur
Pour rappel, en 2012, suite à une question prioritaire de constitutionnalité (QPC)(1), la Cour de cassation (2) pose le principe selon lequel le bénéfice du statut protecteur lié à l’un mandat extérieur est subordonné à l’obligation par le salarié d’en avoir informé l’employeur :
– au plus tard à l’entretien préalable de licenciement, ou s’il s’agit d’une rupture qui ne nécessite pas cet entretien (comme en l’espèce) au plus tard avant la notification de l’acte de la rupture ;
– ou, faute d’information, le salarié doit prouver que l’employeur en avait connaissance.
A défaut, il ne peut être reproché à l’employeur de ne pas avoir tenu compte du statut protecteur du salarié. Il semble en effet concevable qu’il puisse être difficile pour l’employeur de savoir si ses salariés bénéficient d’un mandat extérieur (hors de l’entreprise).
C’est par une décision de 2013 (3), que la Cour de cassation applique son principe au mandat de conseiller du salarié (comme c’est le cas en l’espèce).
- Faits, procédure
Dans cette affaire, un salarié d’une entreprise de travail temporaire informe son employeur et son entreprise utilisatrice de son mandat de conseiller du salarié. Cette annonce a lieu 15 jours avant le terme prévu de la mission, qu’il savait ne pas être reconduite.
Peu de temps après l’information et avant l’arrivée du terme, le salarié décide de saisir le conseil des prud’hommes d’une action en requalification de son contrat de mission en contrat à durée indéterminée et notamment d’une demande de paiement des rémunérations dues jusqu’à la fin de la période de protection. Il reproche à son employeur en tant que salarié protégé de ne pas avoir demandé l’autorisation à l’inspection du travail de ne pas renouveler sa mission.
Pour l’employeur, l’autorisation à l’inspection du travail n’avait pas lieu d’être : d’une part, le salarié ne l’avait pas informé de son mandat spontanément (il était titulaire de ce mandat avant la signature du contrat) et d’autre part, il avait attendu le moment opportun pour le faire. Il avait donc abusé de ce droit.
Le salarié estime au contraire avoir été dans son droit, puisqu’il avait informé son employeur de son mandat avant la rupture de son contrat. Il bénéficiait donc de la protection rattachée au mandat.
La cour d’appel ayant donné raison au salarié, l’entreprise utilisatrice décide de former un pourvoi.
La question posée à la Cour de cassation était la suivante : le fait, pour le salarié, d’informer son employeur dans les temps de son mandat extérieur est-il suffisant pour bénéficier de la protection rattachée à ce mandat ?
- Pour les juges du fond, seule l’information du mandat dans les temps compte
La cour d’appel ne tient pas compte du contexte de l’affaire. Elle considère qu’à partir du moment où le salarié avait informé l’employeur avant la notification de la rupture de sa qualité de salarié protégé, l’employeur aurait dû demander l’autorisation à l’inspection travail et ce, peu importe les circonstances de l’annonce du mandat extérieur. Pour rappel, dans cette affaire, le salarié avait informé son employeur très peu de temps avant la rupture de son contrat, qu’il savait non renouvelé. Il avait par ailleurs engagé dans la foulée une procédure contentieuse sans même attendre la réaction de son employeur. Enfin, d’autres procédures avec d’autres employeurs étaient en cours.
- La fraude comme limite à la protection
La Cour de cassation ne revient pas sur sa jurisprudence mais précise qu’ « une fraude du salarié peut (toujours) le priver de la protection attachée à son mandat».
Pour la Haute Cour, le fait de prévenir l’employeur de son mandat extérieur dans les temps pour bénéficier de la protection n’écarte pas une possible fraude. Cette protection n’est pas automatique. Comme tout droit (en l’espèce, la qualité de salarié protégé), il ne doit pas être acquis de manière frauduleuse (dans le seul but d’être protégé).
Il faut noter qu’en l’espèce, la Cour de cassation ne caractérise pas la fraude, qui reste à l’appréciation des juges du fond. Elle renvoie donc l’affaire devant une cour d’appel.
- La portée limitée de cet arrêt
Il semble que les circonstances de l’affaire aient une part importante dans la décision de la Cour de cassation. Cette décision est donc à prendre avec prudence. En effet, il paraît concevable que le salarié bénéficiant d’un mandat extérieur soit tenté d’attendre le moment opportun pour en informer son employeur, s’il pense qu’il risque des représailles. D’autant que la Cour de cassation précise bien dans son arrêt de principe de 2012 qu’il peut donner cette information à l’employeur au plus tard à l’entretien préalable de licenciement ou si cette entretien n’est pas nécessaire avant la notification de l’acte de rupture.
Dans cet arrêt, la Haute Cour a certainement voulu rappeler aux juges du fond que le principe posé dans l’arrêt de 2012 n’échappait pas au cas de fraude.
Dans cette période de renouvellement des mandats de conseillers prudhommes, ou encore de défenseurs syndicaux (tous les deux des mandats extérieurs à l’entreprise), il semble donc préférable (dans la mesure du possible) de ne pas attendre la dernière minute pour informer son employeur de la détention d’un mandat extérieur afin de ne pas laisser planer le doute sur une éventuelle fraude.
(1) Décision n°2012-242 QPC du 14.05.12.
(2) Cass.soc.14.09.12, n°11-21307.
(3) Cass.soc.26.03.13, n°11-28269.
(4) Cass.soc.15.04.15, n°13-25283