Le Conseil constitutionnel a récemment répondu à une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).
La différence de calcul de CVAE en question
La décision du Conseil constitutionnel s’intéresse à la constitutionnalité du premier alinéa du paragraphe I bis de l’article 1586 quater du Code général des impôts.
Ce texte fixe le mode de calcul de dégrèvement de la CVAE pour les sociétés appartenant à un groupe dans lequel la société mère détient au moins 95% du capital. Le taux effectif de cette cotisation s’appuie, pour ces sociétés, sur la somme des chiffres d’affaires des entreprises du groupe et non sur le chiffre d’affaire de chaque entreprise.
Une différence de traitement du taux de cotisation non justifiée
La décision des Sages rappelle que l’article 223A du Code général des impôts s’intéresse aux conditions d’éligibilité des groupes de sociétés au régime de l’intégration fiscale. En d’autres termes, il permet à une société mère, sur option, de se constituer seule redevable de l’impôt sur les sociétés dû sur le résultat d’ensemble du groupe.
Le premier alinéa du paragraphe I bis de l’article 1586 quater du code général des impôts instaure, en ce sens, une différence de traitement lors de la détermination du taux effectif de la cotisation sur la valeur ajoutée, entre les sociétés membres d’un groupe, selon que ce groupe relève ou non de l’intégration fiscale.
Pourtant, les modalités spécifiques de calcul du dégrèvement de CVAE n’entretiennent aucun lien avec le régime de l’intégration fiscale, le législateur ne peut, à cet effet, opérer de distinction entre les sociétés membres d’un groupe, selon que celui relève ou non du régime de l’intégration fiscale et prévoir une option en faveur de ces premiers.
Sur le fondement du principe d’égalité devant la loi, le Conseil constitutionnel retient, en conséquence, l’inconstitutionnalité du premier alinéa du paragraphe I bis de l’article 1586 quater du code général des impôts.
Vous retrouverez ci-après la décision complète du Conseil Constitutionnel.
Décision n° 2017-629 QPC du 19 mai 2017 NOR: CSCX1714790SELI: Non disponible
(SOCIÉTÉ FB FINANCE)
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 2 mars 2017 par le Conseil d’Etat (décision n° 406024 du 1er mars 2017), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société FB Finance par Me Guillaume Lefebvre, avocat au barreau de Lille. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-629 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa du paragraphe I bis de l’article 1586 quater du code général des impôts.Au vu des textes suivants :
– la Constitution ;– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;– le code général des impôts ;– le livre des procédures fiscales ;– la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 ;– le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
– les observations présentées pour la société requérante, par Me Lefebvre, enregistrées le 23 mars 2017, et par Me Lefebvre et Me Rodolphe Mossé, avocat au barreau de Lyon, enregistrées le 10 avril 2017 ;– les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées les 24 mars et 10 avril 2017 ;– les observations en intervention présentées pour la société de l’Hôtel de la Cité, par Me Mossé, enregistrées le 2 mars 2017, et par Mes Lefebvre et Mossé, enregistrées le 10 avril 2017 ;– les observations en intervention présentées pour les sociétés Descours et Cabaud et autres, par Me Mossé, enregistrées le 6 mars 2017, et par Mes Lefebvre et Mossé, enregistrées le 10 avril 2017 ;– les observations en intervention présentées pour les sociétés Thuasne Management et autres, par Me Mossé, enregistrées le 6 mars 2017, et par Mes Lefebvre et Mossé, enregistrées 10 avril 2017 ;– les observations en intervention présentées pour la société Sogea Sud Ouest Hydraulique, par Me Laurent Chatel, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, enregistrées le 14 mars 2017 ;– les observations en intervention présentées pour la société Bulteau System Distribution, par Me Lefebvre, enregistrées le 24 mars 2017, et par Mes Lefebvre et Mossé, enregistrées le 10 avril 2017 ;– les observations en intervention présentées pour la société Holding Groupe Bulteau, par Me Lefebvre, enregistrées le 24 mars 2017, et par Mes Lefebvre et Mossé enregistrées le 10 avril 2017 ;– les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Mossé, pour la société requérante et pour les sociétés de l’Hôtel de la Cité, Descours et Cabaud, Thuasne Management, Bulteau System Distribution, Holding Groupe Bulteau et autres, parties intervenantes, Me Chatel, pour la société Sogea Sud Ouest Hydraulique, partie intervenante, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 2 mai 2017 ;Et après avoir entendu le rapporteur ;Le Conseil constitutionnel s’est fondé sur ce qui suit :1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée. La présente question a été soulevée à l’occasion d’un litige relatif à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises due au titre des années 2011 à 2013. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du premier alinéa du paragraphe I bis de l’article 1586 quater du code général des impôts dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2010 mentionnée ci-dessus.2. Le premier alinéa du paragraphe I bis de l’article 1586 quater du code général des impôts, dans cette rédaction, prévoit :« Lorsqu’une société est membre d’un groupe mentionné à l’article 223 A, le chiffre d’affaires à retenir pour l’application du I s’entend de la somme des chiffres d’affaires de chacune des sociétés membres du groupe ».3. La société requérante et les parties intervenantes soutiennent qu’en traitant différemment, pour la détermination du taux effectif de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, les sociétés membres d’un groupe, selon que celui-ci relève ou non du régime de l’intégration fiscale, les dispositions contestées méconnaîtraient les principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques. Serait également méconnue la garantie des droits, proclamée par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 à un double titre. D’une part, les dispositions contestées s’appliqueraient de manière rétroactive aux sociétés ayant déjà opté pour le régime de l’intégration fiscale. D’autre part, elles priveraient les sociétés membres d’un groupe fiscalement intégré des effets qu’elles pouvaient attendre du mécanisme de dégrèvement transitoire pour la contribution économique territoriale.– Sur le fond :4. Selon l’article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.5. En vertu de l’article 1586 ter du code général des impôts, les personnes qui exercent une activité soumise à la cotisation foncière des entreprises et dont le chiffre d’affaires est supérieur à 152 500 euros sont assujetties à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. Cette imposition est assise sur la valeur ajoutée produite par l’entreprise et s’applique au taux de 1,5 %. Toutefois, l’entreprise peut bénéficier du dégrèvement institué par le paragraphe I de l’article 1586 quater du même code, égal à la différence entre, d’une part, le montant de la cotisation calculée au taux de 1,5 % et, d’autre part, l’application à la valeur ajoutée produite d’un taux fonction de son chiffre d’affaires. La cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises s’applique ainsi selon un barème progressif, qui comprend cinq tranches en fonction du chiffre d’affaires.6. L’article 223 A du code général des impôts permet à une société, sur option, de se constituer seule redevable de l’impôt sur les sociétés dû sur l’ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et par les sociétés dont elle détient, directement ou indirectement, au moins 95 % du capital.7. Les dispositions contestées prévoient que, pour les sociétés membres d’un groupe fiscalement intégré au sens de cet article 223 A et dont le chiffre d’affaires consolidé est supérieur ou égal à 7 630 000 euros, le dégrèvement de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises est calculé selon des modalités spécifiques. Dans ce cas, même si l’imposition est assise sur la valeur ajoutée de chaque société, le chiffre d’affaires à retenir pour déterminer le taux s’entend de la somme des chiffres d’affaires de chacune des sociétés membres du groupe.8. Ainsi, les sociétés appartenant à un groupe dans lequel la condition de détention de 95 % fixée par l’article 223 A est remplie font l’objet d’un traitement différent, selon que ce groupe relève ou non du régime de l’intégration fiscale.9. Or, en premier lieu, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises est une imposition distincte de l’impôt sur les sociétés. Les modalités spécifiques de calcul du dégrèvement de la cotisation sur la valeur ajoutée instituées par les dispositions contestées sont donc sans lien avec le régime de l’intégration fiscale, qui a pour objet, en matière d’impôt sur les sociétés, de compenser, au titre d’un même exercice, les résultats bénéficiaires et déficitaires des sociétés membres du groupe. Par conséquent, lorsque la condition de détention mentionnée ci-dessus est satisfaite, les sociétés appartenant à un groupe sont placées, au regard de l’objet de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, dans la même situation, que ce groupe relève ou non du régime de l’intégration fiscale.10. En second lieu, en instituant des modalités spécifiques de calcul du dégrèvement de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises pour les sociétés membres d’un groupe fiscalement intégré, le législateur a entendu faire obstacle à la réalisation d’opérations de restructuration aux fins de réduire le montant de cette cotisation dû par l’ensemble des sociétés du groupe grâce à une répartition différente du chiffre d’affaires en son sein. Le législateur a ainsi poursuivi un objectif d’intérêt général. Toutefois, s’il pouvait, à cet effet, prévoir des modalités de calcul du dégrèvement spécifiques aux sociétés appartenant à un groupe, lorsque la condition de détention mentionnée ci-dessus est satisfaite, il ne pouvait distinguer entre ces groupes selon qu’ils relèvent ou non du régime de l’intégration fiscale, dès lors qu’ils peuvent tous réaliser de telles opérations de restructuration. Le critère de l’option en faveur du régime de l’intégration fiscale n’est donc pas en adéquation avec l’objet de la loi. Par suite, la différence de traitement instituée par les dispositions contestées méconnaît le principe d’égalité devant la loi.11. Ainsi, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs, le premier alinéa du paragraphe I bis de l’article 1586 quater du code général des impôts doit être déclaré contraire à la Constitution.– Sur les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité :12. Selon le deuxième alinéa de l’article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause ». En principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l’article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l’abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration.13. En l’espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision. Elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date, sous réserve du respect des délais et conditions prévus par le livre des procédures fiscales.Le Conseil constitutionnel décide :
Article 1 En savoir plus sur cet article…
Le premier alinéa du paragraphe I bis de l’article 1586 quater du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011, est contraire à la Constitution.
Article 2
La déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 13 de cette décision.
Article 3
Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 18 mai 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mme Corinne LUQUIENS et M. Michel PINAULT.Rendu public le 19 mai 2017.