Les fiches pratiques “coronavirus” ont-elles une valeur juridique ?

Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat de salariés CFDT.

La législation exceptionnelle en droit du travail a été précisée par des guides de bonnes pratiques parfois paritaires et des fiches conseils métiers élaborés par le ministère du travail (voir de tweet…) afin d’accompagner employeurs et salariés dans la reprise d’activité. La question de leur validité a été posée, le Conseil d’Etat a dû y répondre à l’occasion d’un référé liberté des distributeurs de fontaine à eau. (CE 29.05.20 n°440452). 

Résumé des faits 

L’AFIFAE, représentants des principaux opérateurs des fontaines à eau, a saisi le Conseil d’Etat (CE) d’un référé liberté visant à faire suspendre la recommandation d’interdiction ou de suspension des fontaines à eau en entreprise. Cette recommandation émane de deux sources : les fiches conseils métiers conçus par le ministère du travail et les guides professionnels établit paritairement. Ces fiches et guides sont relayés sur le site du ministère du travail. 

Le référé liberté permet de demander au juge administratif de prendre en urgence une mesure nécessaire à la sauvegarde d’une liberté fondamentale si l’administration y porte atteinte de manière grave et illégale. 

L’association soulève plusieurs griefs et expose d’abord remplir la condition d’urgence dès lors que les sociétés du secteur ne peuvent continuer leur activité économique à cause des préconisations issues des guides et des fiches. Elle argue que ces recommandations sont contraires au droit en ce que l’employeur a l’obligation de mettre à disposition des salariés de l’eau potable et fraiche (1) et que les solutions alternatives ne sont pas plus à même d’éviter une contamination sur les lieux de travail. L’association poursuit en relevant un manquement au principe d’égalité en ce que les machines à café et distributeurs de boissons ne sont pas interdits et que dans certains secteurs, les fontaines à eau continuent d’être autorisées. Enfin l’association plaide que ces règles sont contraires à la liberté du commerce et de l’industrie. 

La solution du Conseil d’Etat et sa portée

Si le contentieux est d’une importance capitale pour le secteur, l’intérêt pour nous est de voir la manière dont le CE va appréhender les guides et fiches, en particulier pour savoir où ils se situent dans l’ordonnancement juridique. 

Le Conseil d’état distingue dans son analyse la valeur des fiches et la valeur des guides. 

S’agissant des guides de bonnes pratiques, le CE relève pour débouter l’association qu’il ne s’agit pas de décisions faisant griefs, ce qui signifie donc qu’ils n’ont pas de valeur juridique. Il relève ensuite que si ces guides sont présents sur le site du ministère du travail, c’est à fin d’information des salariés et employeurs ce qui ne vaut en aucun cas approbation de leur contenu par l’administration. L’association ne peut donc pas faire suspendre une décision qui ne rentre pas dans notre ordre juridique…Le recours tombe donc à l’eau sur ce point ! En d’autres termes et pour aller plus loin, on peut en conclure qu’un employeur ne pourra pas arguer du respect scrupuleux d’un guide pour voir écarté sa responsabilité en cas de contamination sur le lieu de travail. 

S’agissant des fiches conseils métiers, le raisonnement du CE est tout autre. Le Conseil exerce un vrai contrôle de légalité en rappelant tout d’abord les 9 principes généraux de prévention (2). Le CE, pour dire qu’il n’y a pas de doute sérieux quant à la légalité des recommandations du ministère, considère qu’il y a une incertitude portant sur les modalités de la contagion du COVID 19 notamment en milieu humide. En résumé le CE semble considérer que les recommandations du ministère permettent de respecter les principes de prévention (rappelons que le troisième principe est de combattre les risques à la source…) afin de concilier protection des salariés contre les risques de contamination et l’obligation d’assurer la distribution d’eau potable et fraiche. 

Par une décision récente du 12 juin le conseil d’Etat précise sa doctrine et prévoit que « les documents de portée générale émanant d’autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l’excès de pouvoir lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices. » (CE, 12.06.20 n°418142). 

Ainsi en fonction de la source à l’origine des recommandations, il sera possible de contester les actes qui font griefs. Pas de valeur juridique pour un pour un guide ( mais pas de valeur juridique ne veut pas dire pas d’utilité !) mais une valeur pour les fiches émanant du ministère du travail. On peut donc se réjouir de l’extension du domaine du contrôle qui répond aux nouvelles méthodes du ministère du travail. 

 

(1) R.4225-2 C.trav. 

(2) L.4121-1 C.trav. 

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