L’humain attendait beaucoup de la numérisation notamment pour améliorer les conditions de travail de chacun. Il est indéniable que le développement des outils informatiques a modifié en profondeur l’activité professionnelle des travailleurs en France. Mais la démocratisation des nouvelles technologies dans la vie professionnelle est-elle un facteur d’amélioration ou de dégradation des conditions de travail ?
La DARES s’est penchée sur le sujet dans une étude. La réponse à la question posée n’est pas simple et dépend de nombreux facteurs. On distingue principalement deux effets opposés. Il est d’abord évident que les nouvelles technologies ont permis de limiter les conditions de travail parfois dangereuses et/ou pénibles vécues par certains salariés. La numérisation permet aussi une plus grande autonomie et une facilité non négligeable de communication entre les personnes. En revanche, les TIC (technologies de l’information et de la communication) ont également un penchant négatif en ce qu’elles ont accentué certains risques psychosociaux en raison de la disponibilité, partout et à tout moment, de l’outil de travail.
2 salariés sur 3 utilisent les outils numériques professionnels
L’étude publiée par la DARES indique qu’en 2013, plus de 70% des salariés (toutes catégories confondues) utilisent du matériel informatique et/ou un réseau à des fins professionnelles. A titre de comparaison, ils n’étaient que 59,6% en 2005. Lorsque l’on s’intéresse à l’usage des nouvelles technologies par catégorie socioprofessionnelle en 2013, une différence logique existe entre les cadres et les ouvriers : 98,8% des cadres utilisent des outils numériques à des fins professionnelles, tandis que seulement 34,8% des ouvriers sont concernés.
Toutes catégories de salariés confondues, les salariés sont près de la moitié (45%) à utiliser des outils numériques à des fins professionnelles plus de 3 heures par jour. A l’inverse 28,9% déclarent ne pas du tout avoir un usage professionnel des nouvelles technologies.
Quatre typologies d’impact sur les conditions de travail des salariés
Quatre cas de figures sont identifiés par le document de la DARES. D’un côté se trouvent les salariés qui utilisent des outils numériques mais qui ne sont pas connectés à internet ou en intranet. On trouve ensuite les salariés qui utilisent des outils mobiles et qui sont connectés. Une troisième catégorie est identifiée avec les salariés qui utilisent des nouvelles technologies connectées mais de façon sporadique (moins de 3h par jour). Puis le quatrième type de salarié est celles des utilisateurs modérés (entre 3 et 7h par jour) et intensifs (plus de 7h par jour) de nouvelles technologies.
1ère typologie : le salarié non connecté
Concernant les salariés qui utilisent des TIC mais qui ne sont pas connectés, le document souligne que leurs conditions de travail sont similaires aux salariés qui n’utilisent pas d’outils numériques. Des particularités sont cependant soulevées. Ainsi, les travailleurs qui utilisent des nouvelles technologies mais qui ne sont pas connectés ont un travail qui est plus répétitif et directif que celui des salariés connectés. De plus, les salariés non connectés se déclarent plus isolés socialement et moins aptes à recevoir de l’aide d’un collègue ou d’un supérieur hiérarchique. Dans le même temps, ces travailleurs subissent une pression et une charge de travail moindre que ceux qui sont connectés. En somme, les salariés qui utilisent des nouvelles technologies sans être connectés ont un sentiment plus marqué d’isolement et de répétition dans leur travail mais se sentent moins soumis à la pression professionnelle.
2e typologie : le salarié connecté et mobile
La musique n’est pas la même du côté des salariés qui sont mobiles et connectés grâce à des outils numériques. Ils étaient près de 17% en 2013 à utiliser un ordinateur portable, un téléphone portable, une messagerie électronique ou un réseau d’entreprise : tous ces outils facilitent le travail mobile ou à distance. Dès lors, ces salariés jouissent d’une autonomie sans pareil et sont responsabilisés dans leur travail. Le document de la DARES indique qu’une telle relation de travail implique que l’entreprise établit une véritable relation de confiance avec ses salariés en leur délégant l’organisation de leur travail et de leur emploi du temps. Le revers de la médaille est que la charge de travail est régulièrement plus importante que pour les autres salariés, ce qui a pour conséquence de déborder sur la sphère privée. L’étude note que les salariés connectés sont plus facilement interrompus dans leur travail (mails, appels téléphoniques) ce qui réduit leur capacité de concentration et leur productivité : il en découlerait un sentiment de ne pas avoir les moyens de délivrer le travail attendu par l’entreprise. La conciliation entre vie privée et vie professionnelle de ces salariés est rendue compliquée par leur difficulté à se détacher de leur outil de travail (téléphone notamment) lorsqu’ils sont au repos. Les salariés connectés avec les nouvelles technologies mobiles sont donc mieux reconnus dans leur travail et ont un sentiment plus fort d’apporter quelque chose à l’entreprise, mais leur utilisation des outils de travail, parfois invasive dans leur vie personnelle, est un facteur de risque psychosocial élevé.
3e typologie : le salarié peu concerné par les outils numériques
Lorsque l’on s’intéresse aux salariés qui recourent peu aux nouvelles technologies, on se rend compte qu’il s’agit de salariés qui travaillent en équipe et sont soumis à des astreintes tels que les personnels hospitaliers, les militaires, les policiers… Ces usagers des nouvelles technologies dans le cadre professionnel ne semblent pas avoir connu un impact significatif des dernières évolutions sur leurs conditions de travail.
4e typologie : le salarié utilisateur moyen d’outils numériques
Enfin, les salariés qui utilisent régulièrement les outils numériques déclarent subir des contraintes moins fortes sur leurs rythmes de travail que ceux qui recourent peu aux nouvelles technologies. Ils estiment que leurs horaires de travail sont prévisibles et stables et que leur capacité à organiser leur temps de travail en cas d’imprévu est plus ouverte. La vie professionnelle et la vie personnelle de ces salariés est facilitée par l’usage des nouvelles technologies. En revanche, la pression et la charge de travail sont plus importante avec ces outils. Ces salariés se sentent aussi moins reconnus par leur entreprise que les salariés qui utilisent des technologies mobiles. Cependant, leur capacité de sociabilité est bonne et ils peuvent compter sur leur environnement professionnel pour toute aide nécessaire.
Les nouvelles technologies apportent donc, sans surprise, leur lot d’avantages et d’inconvénients dans les conditions de travail des salariés français. Les méthodes de travail rendues possibles par ces outils numériques facilitent certaines tâches tout en exigeant une organisation et une discipline propre à chaque salarié pour faire face à la charge de travail plus importante. Le ressenti de chacun face à son travail dépend aussi de la culture de l’entreprise dans laquelle il évolue.
Cette étude permet malgré tout d’avoir une vision globale de l’impact de la numérisation en 2013 : il sera intéressant de savoir comment les données sur le sujet ont évolué avec l’émergence du droit à la déconnexion et le développement des accords collectifs destinés à favoriser la conciliation entre la vie privée et la vie professionnelle.