Les barèmes Macron sont encore en eaux troubles

Cet article provient du site du syndicat de salariés FO.

Par deux avis, hautement médiatisés, la Cour de cassation a déclaré le plafonnement des indemnités prud’homales conforme (en son principe) à nos engagements européens et internationaux (Cass. avis, Form. Plé., 17-7-19, n°15012 et 15013, P+B+R+I). 

Pour autant, Force Ouvrière a appelé à garder espoir et continuer le combat dans la mesure où la portée conférée à ces avis était à nuancer. 

En effet, l’examen de la conventionnalité du barème opéré par la Cour de cassation a été effectué uniquement in abstracto (de manière abstraite) et non en se confrontant à une situation personnellement subie par un salarié. 

C’est dans ces circonstances que la cour d’appel de Reims a été amenée à se prononcer sur la conventionnalité du barème des indemnités prud’homales (CA Reims, 25-9-19, n° RG 19/00003). Cet appel porte sur le jugement très médiatisé rendu par le conseil de prud’hommes de Troyes en décembre 2018. 

Il s’agit, à notre connaissance, du premier contentieux sur l’inconventionnalité du barème porté devant une cour d’appel. Bien évidemment, Force Ouvrière n’a pas manqué de se porter partie intervenante dans cette affaire. 

Contrairement aux avis rendus par la Cour de cassation, la cour d’appel de Reims a reconnu un effet direct horizontal (entre particuliers), non seulement à l’article 10 de la Convention 158 de l’OIT mais également de l’article 24 de la Charte sociale européenne. 

La cour d’appel se livre ensuite à un « jeu d’équilibristes » : elle juge le barème conforme « in abstracto » (suivant l’avis de la Cour de cassation) mais admet la possibilité de le remettre en cause via un contrôle de proportionnalité effectué « in concreto ».  

La cour d’appel rend un arrêt pédagogique. Elle explique qu’il existe deux contrôles de conventionnalité : Le contrôle de conventionnalité de la règle de droit elle-même [dit contrôle abstrait] et celui de son application dans les circonstances de l’espèce [dit contrôle concret]. 

Or, le juge précise que : le contrôle de l’application peut impliquer d’écarter une règle interne si celle-ci affecte de manière disproportionnée, dans un litige, un droit conventionnel. 

La cour d’appel nous livre au passage sa vision du droit à une réparation adéquate et appropriée qui doit s’entendre comme le droit à : Une indemnisation d’un montant raisonnable, et non purement symbolique, en lien avec le préjudice effectivement subi et adapté à son but qui est d’assurer l’effectivité du droit à la protection des salariés. 

Est reconnue au passage la fonction dissuasive de la réparation puisque la cour d’appel souligne que l’indemnisation doit être suffisante pour rester dissuasive et ne pas vider d’effectivité l’exigence d’une cause réelle et sérieuse. 

La cour d’appel reconnaît qu’il existe dans le barème une potentielle inadéquation de l’indemnité plafonnée, voire une possible forme de différence de traitement. 

Mais alors pour que le juge procède à un contrôle « in concreto » et non « in asbtracto » encore faut-il que ce contrôle soit demandé par le salarié. Le juge ne saurait exercer ce contrôle d’office. 

Cette exigence est cruciale. C’est d’ailleurs sur ce point que le salarié a été débouté en l’espèce. Comment procéder ? 

Il conviendra de demander au juge de : 

faire constater et juger que le montant prévu par le barème ne permet pas d’assurer une réparation adéquate et appropriée du préjudice personnellement subi par le salarié ; 

et en conséquence d’écarter l’article L 1235-3 du Code du travail en application de l’article 24 de la Charte sociale européenne et 10 de la Convention 158 de l’OIT. 

Il convient de fournir un véritable effort de démonstration de la teneur et du quantum du préjudice réellement subi par le salarié afin de démontrer que le plafond institué par le barème Macron est insuffisant pour assurer une réparation adéquate et appropriée. 

On ne peut donc se contenter de déclarations de principe non reliées à la situation personnelle du salarié. Il convient d’insister sur les circonstances particulières entourant le licenciement telles que : 

des difficultés particulières à retrouver un emploi (bassins d’emploi sinistrés, âgés de plus de 50 ans, faibles diplômes, etc.), des conséquences manifestement excessives entourant le licenciement (charges familiales impérieuses, prêt immobilier, etc.). 

La cour d’appel de Reims aboutit ainsi à une solution de compromis. 

En principe, les salariés licenciés sans cause réelle et sérieuse se voient appliquer les plafonds figurant au barème. 

Fort heureusement, en cas de circonstances particulières, le salarié peut demander au juge de ne pas appliquer le barème si le plafond des indemnités est insuffisant pour assurer une réparation adéquate et appropriée. 

Ainsi, la cour d’appel de Reims ouvre une porte de sortie au barème. 

La cour d’appel souligne que le problème pourrait, notamment, venir des salariés ayant une faible ancienneté pour lesquels les plafonds sont faibles. 

Mais alors demeure une interrogation fondamentale : quel sera le degré de justifications exigée par le juge pour sortir du barème ? 

L’office du juge est au passage préservé. Celui-ci peut sortir du barème sous réserve que le salarié demande un examen « in concreto » et que le juge motive sa décision. 

Cette solution de compromis nous semble, ainsi, à saluer dans l’attente de nos recours intentés tant au niveau européen (devant le CEDS, organe officiel chargé d’interpréter la Charte sociale européenne) qu’au niveau international devant le Bureau international du travail (s’agissant de la Convention 158 de l’OIT). 

Une victoire par le biais de ces canaux judiciaires aura nécessairement un impact en droit interne. La cour d’appel de Reims laisse sous-entendre qu’elle attend avec intérêt la décision du CEDS sur le recours porté par Force Ouvrière au sujet de la compatibilité du système français avec l’article 24 de la Charte sociale européenne. La cour d’appel précise que : l’autorité interprétative des décisions du Comité est incontestable. 

Ce premier examen par un juge d’appel constitue donc une étape encourageante qui en appelle d’autres. Le chemin est long mais la victoire est peut-être au bout ! 

Reste à savoir si la même solution sera adoptée par la cour d’appel de Paris dont le délibéré est attendu le 30 octobre prochain… 

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