Les avocats (et quelques autres) défilent préventivement dans les rues de Paris aujourd’hui pour protester contre leur inclusion dans un grand régime universel de retraites, farce dont ils seraient les dindons. Au-delà des éditoriaux politiques souvent superficiels sur la quesiton, il est intéressant de voir qu’une profession aussi divisée que celle des avocats est capable de se mobiliser aussi fortement et unitairement pour sauver un régime… créé en 1938. Un petit rappel historique n’est pas inutile pour comprendre l’acuité du sujet.
Il existe peu d’ouvrages consacrées à l’histoire de la Caisse Nationale des Barreaux Français, nouveau nom donné en 1948 à la Caisse Centrale des Barreaux Français, créée en 1938 pour unifier les différentes caisses qui fleurirent à partir des années 20 pour assurer la protection sociale des avocats. Le site de la Caisse Nationale évite d’ailleurs de mentionner son origine. Dans notre France bien-pensante, il n’est pas bon d’exhaler un parfum des années 30.
Les avocats, ces nostalgiques des années 30
Il est pourtant un fait: la protection sociale dont les avocats veulent la survie, à l’unisson de nombreux mouvements de gauche “anti-fascistes”, date des années 30, et chaque jour, elle démontre que cet héritage fonctionne mieux que le fameux régime universel auquel la technostructure française tente d’imposer l’affiliation obligatoire. Avec des réserves équivalentes à plusieurs années de prestations (que le régime général rêve de confisquer pour financer ses déficits), la gestion de la retraite des avocats est un modèle de réussite.
À l’épreuve du temps, il faut bien se poser la question de fond: pourquoi des institutions datant des années 30 continuent-elles à fonctionner harmonieusement sans embêter personne, alors que le régime général de 1944 (en réalité créé en 1941) accumule les déficits et oblige chaque année à des réaménagements compliqués? Preuve est en tout cas faite que tout n’était pas si mauvais dans la protection sociale des années 30, injustement méconnue. Preuve aussi que, contrairement à une propagande savamment entretenue depuis les années 80, la France n’est pas passée de l’ombre à la lumière avec la création de la sécurité sociale.
La grande résistance à l’universalité de la sécurité sociale
Preuve est donnée, une nouvelle fois, également, qu’en France l’instauration d’un grand régime universel de sécurité sociale est tout sauf naturel et évident. Contrairement aux idées reçues, les Français résistent à la sécurité sociale, à ce grand régime unitaire dont la paternité revient à ceux qui ont rédigé la Charte du Conseil National de la Résistance. Cette élite londonienne a fomenté un texte en décalage complet avec ce que les Français désiraient réellement à la Libération.
Par une étrange imposture de l’histoire, l’héritage du CNR est d’ailleurs défendu becs et ongles par des gens qui se proposent de ne pas l’appliquer. Il est amusant de voir comment la CGT, comment la France Insoumise conjuguent dans une schizophrénie totale défense des régimes issus des années 30 et héritage du CNR. Il est tout aussi hallucinant de voir le MEDEF se faire le défenseur d’un régime universel à rebours du modèle concurrentiel que les Français souhaitent conserver.