Cet article provient du site du syndicat de salariés CFDT.
Un accord collectif peut-il prévoir la prise en charge d’une partie des cotisations syndicales par l’employeur ? Pour la première fois, dans un arrêt du 27 janvier dernier, la Cour de cassation a affirmé que cela était possible, en respectant rigoureusement certaines conditions. Cass.soc., 27.01.21, n° 18-10.672.
L’un des critères de la représentativité syndicale est celui de l’indépendance (financière) du syndicat vis-à-vis de l’employeur. C’est dans cet esprit que le Code du travail interdit à l’employeur de « prélever les cotisations syndicales sur les salaires de son personnel et de les payer en lieu et place de celui-ci » (article L. 2141-6 C. trav.).
Toutefois, il est possible de prévoir, par un accord collectif relatif au dialogue social, des mesures pour favoriser l’adhésion des salariés aux organisations syndicales, à l’instar du chèque syndical ou, comme dans la présente affaire, un dispositif de remboursement par l’employeur aux salariés syndiqués, d’une partie des cotisations syndicales.
· Les faits
Au cœur du litige est en cause un accord collectif sur la rénovation du dialogue social conclu au sein de l’UES Solvay France en mai 2016. Plus précisément, l’une des dispositions de cet accord prévoit la mise en place d’un dispositif de remboursement par l’employeur aux salariés syndiqués, du reste à charge des cotisations syndicales individuelles versées aux syndicats représentatifs, après soustraction de la partie fiscalement déductible de l’impôt sur le revenu. Ce remboursement est réalisé par l’intermédiaire des syndicats et d’un organisme tiers indépendant.
Un syndicat de l’entreprise saisit alors le juge des référés pour demander la suspension de la disposition conventionnelle mettant en œuvre ce dispositif au motif qu’il présente des risques d’atteinte à la liberté syndicale.
Pour sa défense, l’employeur avance que pour préserver l’anonymat des adhérents, l’accord collectif précise que le calcul du montant « reste à charge » des cotisations syndicales est effectué, pour chaque organisation syndicale, par un organisme extérieur indépendant à partir d’informations relatives au nombre de membres et au montant de leurs cotisations de l’année civile. Ainsi, « au cours du premier trimestre suivant, Solvay verse ces montants à l’organisme extérieur indépendant qui les reverse à l’organisation syndicale, charge à elle de rembourser chacun de ses adhérents ».
L’employeur ajoute que l’accord pose comme condition que l’organisme soit indépendant de l’employeur et prévoit qu’il n’est destinataire, de la part des organisations syndicales, que des seules informations relatives au nombre de salariés adhérents à ces organisations et au montant de leurs cotisations et non de l’identité de ces salariés.
En appel, les juges donnent raison au syndicat en retenant qu’un tel dispositif vise à permettre à l’employeur de disposer non seulement d’une « information non prévue par la loi sur le nombre d’adhérents de syndicats », mais aussi d’une « information sur l’influence des syndicats tous les ans ». Et de conclure que ce dispositif conduit à porter atteinte à la liberté syndicale garantie par l’article L. 2141-1 du Code du travail, ce qui est propre à caractériser un trouble manifestement illicite.
Contestant une telle décision, l’employeur décide alors de former un pourvoi en cassation.
· La possibilité pour l’employeur de prendre en charge les cotisations syndicales…
Dans un premier temps, la Cour de cassation affirme le principe selon lequel il est possible d’instituer par accord collectif des mesures de nature à favoriser l’activité syndicale dans l’entreprise. Dans ce cadre, pour encourager l’adhésion des salariés de l’entreprise aux organisations syndicales, l’accord collectif peut prévoir la prise en charge par l’employeur d’une partie du montant des cotisations syndicales annuelles.
· … mais sous certaines conditions !
Dans un second temps, la Cour de cassation précise de manière inédite les conditions dans lesquelles une telle prise en charge par l’employeur est possible :
– elle ne doit pas porter atteinte à la liberté du salarié d’adhérer au syndicat de son choix (ou de ne pas adhérer du tout) (1) ;
– elle ne doit pas permettre à l’employeur de connaître l’identité des salariés adhérant aux organisations syndicales ;
– elle doit bénéficier tant aux syndicats représentatifs qu’aux syndicats non représentatifs dans l’entreprise ;
– le montant de la participation de l’employeur ne doit pas représenter la totalité du montant de la cotisation due par le salarié – le cas échéant après déductions fiscales ; à défaut, le critère d’indépendance issu de l’article L. 2121-1, 2° du Code du travail serait remis en cause.
Dans le présent litige, il s‘avère que l’accord collectif d’entreprise contrevient à deux de ces conditions. En effet :
– il ne prévoit la mise en place d’un tel dispositif qu’au profit des seules organisations syndicales représentatives ;
– il contrevient au critère d’indépendance, dans la mesure où le dispositif prévoit une prise en charge par l’employeur du montant restant de la cotisation syndicale après soustraction de la partie fiscalement déductible de l’impôt sur le revenu, ce qui correspond finalement à la totalité du montant de la cotisation syndicale. Pour la Cour de cassation, il résulte de tous ces éléments un trouble manifestement illicite.
Pour la CFDT, la décision de la Cour de cassation est logique, puisque sont au cœur du litige des droits et des principes fondamentaux dont ceux des critères de représentativité syndicale (2). Il serait donc contestable que l’employeur ait à prendre en charge la totalité du montant des cotisations syndicales. Cela viendrait en totale contrariété avec le critère de l’indépendance.
Finalement, en posant les limites à la prise en charge des cotisations sociales par l’employeur, la Cour de cassation préserve les éléments constitutifs de la représentativité des organisations syndicales qui fondent leur légitimité.
(1) Garantie par l’article L. 2141-1 du Code du travail.
(2) Art. L. 2121-1 C.trav.