L’employeur peut-il enquêter sur son salarié en le “gardant à vue” ?

Cette publication provient du site du syndicat de salariés CFDT.

Le pouvoir disciplinaire de l’employeur l’autorise à enquêter, notamment lorsque celui-ci a connaissance de faits commis par un salarié, susceptibles de constituer une faute et pouvant conduire à une sanction. Mais attention, cette enquête doit se faire dans le respect des droits fondamentaux du salarié, en particulier sa liberté d’aller et de venir. Cass.crim., 28.02.18, n°17-81929. 

  • Une enquête aux allures de garde à vue

Pensant surprendre un salarié en flagrant délit de vol, via une caméra de surveillance, un directeur d’entreprise a aussitôt « interpellé » l’auteur présumé ainsi que deux de ces collègues pour enquêteret investiguer. Cette enquête a rapidement pris un tournant quelque peu particulier, à l’image d’un interrogatoire de police : 

Le salarié, auteur présumé du vol, a été placé dans un bureau, pendant plus de 3h, lumières éteintes pendant 40 min. Il a reçu l’ordre de ne pas bouger du bureau et a dû remettre son téléphone portable à l’employeur afin que celui-ci le consulte, et compare les appels reçus et données aux deux autres salariés.  

En parallèle, deux de ces autres collègues ont, eux aussi, été placés dans des bureaux séparés, pour les entendre sur le prétendu vol, et pour éviter qu’ils ne se parlent. 

Le salarié a finalement reconnu être l’auteur du vol, et, après 3 heures passée dans le bureau, a été mis à pied à titre conservatoire. 

Très vite, le salarié décide de déposer plainte contre le personnel de direction pour séquestration et violences volontaires, ce qui a provoqué chez lui un choc émotionnel important. 

L’article 224-1 du Code pénal dispose que: « Le fait, sans ordre des autorités constituées et hors les cas prévus par la loi, d’arrêter, d’enlever, de détenir ou de séquestrer une personne, est puni de vingt ans de réclusion criminelle (…). Toutefois, si la personne détenue ou séquestrée est libérée volontairement avant le septième jour accompli depuis celui de son appréhension, la peine est de cinq ans d’emprisonnement et de 75000 euros d’amende, sauf dans les cas prévus par l’article 224-2. » 

 

  • Une condamnation pour détention illégale

Les juges du fond ont considéré que l’infraction de détention ou de séquestration illégale suivi de libération volontaire visée à l’article 224-1 du Code pénal, était caractérisée et ont prononcé la condamnation du directeur de l’entreprise à hauteur de trois d’emprisonnement avec sursis et 10 000 euros d’amende. 

Selon eux, l’employeur a fait subir au salarié « une contrainte moral irrésistible » en le plaçant dans un bureau, en lui demandant d’y rester jusqu’à nouvel ordre et en l’exposant ainsi à un licenciement en cas de désobéissance.  

Les juges du fond ajoutent que cette demande de l’employeur ne peut entrer dans ses prérogatives. Ils en déduisent que le directeur de l’entreprise, en agissant de la sorte, a « usurpé la qualité d’officier de police judiciaire en prenant à l’encontre » du salarié « l’équivalent d’une mesure de garde à vue et en s’autorisant à procéder à une enquête »

Les juges terminent en soulignant que les faits à l’origine de l’enquête menée par l’employeur ne pouvaient la justifier faute « d’atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique ou mentale ou aux libertés individuelles dans l’entreprise ou de danger grave ou imminent »

  • Une infraction insuffisamment caractérisée en l’espèce

Saisie du pourvoi, la Cour de cassation décide, de manière surprenante compte tenu des faits reprochés, de casser l’arrêt de la Cour d’appel. 

Elle procède en deux temps : 

Elle reproche tout d’abord aux juges du fond de n’avoir pas précisé quels ont été les actes matériels dirigés contre le salarié « qui l’auraient privé de sa liberté d’aller et de venir ». Autrement dit, l’élément matériel de l’infraction n’ayant pas été suffisamment caractérisé, l’infraction ne pouvait pas être considérée comme ayant été commise. 

Puis elle rappelle que « l’employeur, qui a connaissance de faits répréhensibles, susceptibles d’être disciplinairement sanctionnés, peut procéder à une enquête interne et recueillir les explications de ses salariés ». Ainsi, pour la Cour de cassation, l’employeur, qui a agi dans le cadre de ses pouvoirs, et en l’absence d’une infraction suffisamment caractérisée, ne pouvait être condamné pour détention et séquestration illicite. 

  • Un pouvoir d’enquête dans le respect de la liberté d’aller et venir du salarié

La chambre criminelle de la Cour de cassation fait ici preuve d’exigence quant à la nécessité pour les juges du fond, quelle que que soit l’infraction, de s’assurer que les éléments matériels constitutifs soient présents. Ce qui est parfaitement conforme aux principes fondamentaux du droit pénal. 

Elle semble néanmoins omettre la situation toute particulière du cas d’espèce : un salarié, placé sous la subordination de son employeur, s’est vu contraint de rester dans un bureau fermé pendant plus de trois heures alors qu’il lui était reproché d’avoir commis un vol. Certes, le bureau n’était visiblement pas fermé à clé, et le salarié pouvait le quitter à tout moment. Mais, comme le retiennent justement les juges du fond, n’y a-t’il pas eu une contrainte moral irrésistible empêchant le salarié de quitter les lieux ? Contrainte découlant notamment de sa subordination et de sa crainte de perdre son emploi ? Et le privant ainsi de sa liberté d’aller et venir ? 

Attention, cet arrêt ne doit pas être interprété comme autorisant les employeurs à toutes les dérives quant à son pouvoir d’enquête. En cas de faits pouvant donner lieu à sanction, il dispose d’un pouvoir d’enquêter, ce que rappelle clairement la Cour de cassation. Mais ce pouvoir ne doit en aucun cas se faire en violation des droits du salarié et en particulier en violation de sa liberté d’aller et de venir. 

Les employeurs sont égaleement tenus de veiller à la préservation de la santé physique et morale des salariés, ceci même en présence de faits répréhensibles commis par un salarié. Ce qui n’a visiblement pas été le cas en l’espèce. 

Le salarié aurait pu aller devant le conseil de prud’hommes pour la réparation des préjudices moraux subis. c’est toutefois la voie pénale qui a été privilégiée. 

 

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