Cette publication est issue du site du syndicat de salariés CFDT.
En matière de licenciement, le rôle clef joué par le conseiller du salarié n’est plus à démontrer. En effet, lorsqu’un salarié évoluant au sein d’une entreprise dépourvue de représentant du personnel se trouve convoqué à un entretien préalable au licenciement, sa capacité à se faire assister ne peut, la plupart du temps, devenir effective que par son entremise. Oui mais voilà, le conseiller du salarié est lui-même souvent un salarié qui, pour mener à bien sa mission, se trouve contraint de s’absenter de son poste de travail. Qu’en est-il alors des justifications qu’il doit donner à son employeur pour que son salaire soit maintenu ? C’est à cette délicate question que la Cour de cassation est très récemment venue répondre. Cass. soc. 23.06.21, n° 19-23.847.
Justification. Voilà le maître mot qu’(au moins) en filigrane on retrouve de la première à la dernière ligne de l’arrêt que la Cour de cassation a rendu le 23 juin dernier. Et cette décision aux allures de petit guide pratique du conseiller du salarié souhaitant effectivement bénéficier d’un maintien de rémunération pendant qu’il exerce sa mission mérite d’être attentivement lue.
Maintien de salaire et remboursement de l’employeur par l’Etat
Dès lors qu’il travaille au sein d’un établissement d’au moins 11 salariés, le conseiller du salarié bénéficie d’un « temps nécessaire à l’exercice de sa mission » dans la limite de 15 heures par mois(1). Ce temps est « assimilé à une durée de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés, du droit aux prestations d’assurances sociales et aux prestations familiales ainsi qu’au regard de tous les droits que le salarié tient du fait de son ancienneté dans l’entreprise »(2). Et le Code du travail d’en tirer la conclusion qui s’impose : Les absences du conseiller du salarié « sont rémunérées par l’employeur et n’entraînent aucune diminution des rémunérations et avantages correspondants »(3). Voilà pour les garanties données au conseiller du salarié.
Mais qu’en est-il de celles données à son employeur ? Pour répondre à cette question, il convient de partir d’un constat : il eut été particulièrement inéquitable que le salaire maintenu au cours de la réalisation de la mission du conseiller du salarié reste à la charge de l’employeur. Car on ne voit pas bien en quoi il devrait s’acquitter d’un salaire pour le temps que le salarié (par ailleurs conseiller du salarié) consacre à l’assistance de salariés d’autres entreprises qui sont eux-mêmes visés par une procédure de licenciement qui ne le concerne nullement… Et c’est bien ce qui a conduit le législateur à permettre à l’employeur de se faire rembourser « les salaires maintenus » ainsi que « les avantages et les charges sociales correspondants »(4). Pour pouvoir bénéficier d’un tel remboursement, il doit simplement adresser à l’administration du travail :
– une demande établie par lui et « contre-signée par le conseiller du salarié » mentionnant notamment « l’ensemble des absences ayant donné lieu au maintien de rémunération » ;
– « une copie du bulletin de paie correspondant et les attestations des salariés ayant bénéficié d’une assistance »(5).
Pas de présomption de bonne utilisation de ses heures pour le conseiller du salarié
En cas de contestation portée par l’employeur, le représentant du personnel comme le représentant syndical dans l’entreprise bénéficie d’une présomption de bonne utilisation de leurs heures de délégation. Ce qui signifie que l’employeur qui entend contester l’usage qui en est fait doit d’abord s’acquitter de leur paiement, puis demander au représentant du personnel ou au représentant syndical de se justifier et enfin (s’il y a lieu) saisir la justice afin de requérir le remboursement des heures litigieuses(6).
Rien de tel s’agissant des heures que le conseiller du salarié peut être amené à prendre afin d’exercer sa mission. Dès lors que l’employeur estime que la prise des heures n’est pas justifiée, il n’est tout simplement pas tenu de les payer. Dit autrement, il peut directement se livrer à une « retenue sur salaire ». Et c’est précisément ce qui a été fait dans l’affaire ici commenté !
Des retenues sur salaire désapprouvées par les juges prud’homaux…
Un salarié de la société Maubrac est par ailleurs titulaire d’un mandat de conseiller du salarié. N’étant pas payé par son employeur des heures passées à exercer son mandat pour la période courant de novembre 2018 à juillet 2019, il décide en tout dernier lieu de saisir en référé la juridiction prud’homale dans l’espoir que son employeur se voit ordonné de lui payer ces sommes. Au cœur de la contestation, l’absence de production par le salarié des fameuses « attestations des salariés ayant bénéficié d’une assistance » que l’employeur est lui-même tenu de joindre à sa demande de remboursement.
Ici, l’employeur pouvait certes assez facilement arguer du fait que cette abstention du conseiller du salarié l’empêchait de solliciter le remboursement des heures prises par ce dernier puisque, comme nous l’avons vu, par application des dispositions figurant au Code du travail(7), cette pièce devait impérativement être jointe à la demande à adresser à l’administration du travail. Oui, mais voilà, le ministère du travail avait aussi de longue date admis par voie de circulaire(8) que les « attestations des salariés ayant bénéficié d’une assistance » pouvaient tout aussi bien être directement adressées par le conseiller du salarié à l’autorité administrative compétente. Et c’est ici précisément, l’option que le conseiller du salarié avait retenue. Ce qui, soit dit-en-passant, n’était susceptible de causer aucun préjudice particulier à l’employeur puisque cela ne l’aurait pas empêché d’être remboursé des salaires payés au conseiller du salarié, s’il avait entendu les maintenir… Et c’est d’ailleurs précisément cet aspect des choses qui avait conduit les juges du fond à finalement donner gain de cause au conseiller du salarié.
… mais pas par la Cour de cassation
Mais, arguant du fait que le conseiller du salarié ne bénéficie d’aucune présomption de bonne utilisation de son crédit d’heures et qu’en conséquence « l’employeur n’est tenu de lui payer son temps de mission extérieure que s’il justifie au préalable de l’utilisation de ses heures pour assister un salarié lors de l’entretien préalable au licenciement, notamment par la production d’ « une attestation du salarié ayant bénéficié d’une assistance », la société Maubrac a contesté le sens de cette décision prud’homale devant la Cour de cassation. Et force est de constater qu’elle a eu gain de cause.
La haute-juridiction précise en effet qu’il appartient bien au conseiller du salarié « de remettre à son employeur les attestations correspondantes des salariés bénéficiaires de l’assistance »… pour que la rémunération du temps passé hors de l’entreprise pendant les heures de travail lui soit acquise.
Moralité de toute cette histoire, l’ « attestation du salarié ayant bénéficié de l’assistance » ne sert plus seulement à l’employeur pour qu’il obtienne le remboursement des heures pendant lesquelles le conseiller du salarié s’est absenté pour exercer son mandat. Elle sert aussi au salarié pour qu’il justifie auprès de son employeur du bon usage de ces mêmes heures.
Mais pour conclure sur une note plus positive, notons tout de même que si la Cour de cassation consacre l’obligation du conseiller du salarié de se justifier auprès de son employeur, elle ne lui impose par contre pas de le faire préalablement à la réalisation de son activité d’assistance… comme le suggérerait très clairement le moyen soulevé par la partie employeur.
Il n’en reste pas moins que pour éviter tout problème, le conseiller du salarié doit plus que jamais se montrer vigilant et songer à transmettre dès que possible à son employeur l’ « attestation du salarié » qu’il aura eu à assister.
(1)Art. L. 1232-8 C. trav.
(2)] Art. L. 1232-9 al. 1er C. trav.
(3) Art. L. 1232-9 al. 2 C. trav.
(4) Art. L. 1232-11 C. trav.
(5) Art. D. 1232-9 al. 3 C. trav.
(6) Art. L. 2315-10 C. trav. pour les représentants élus au CSE, L. 2143-17 C. trav. pour les délégués syndicaux et L. 2142-1-3 al. 1 et 2 C. trav. pour les représentants de section syndicale d’entreprise.
(7) Art. D. 1232-9 al. 3 C. trav. : « Ce remboursement est réalisé au vu d’une demande établie par l’employeur et contresignée par le conseiller du salarié mentionnant l’ensemble des absences de l’entreprise ayant donné lieu à maintien de la rémunération ainsi que les autres éléments nécessaires au calcul des sommes dues. Cette demande de remboursement est accompagnée d’une copie du bulletin de paie correspondant ainsi que des attestations des salariés bénéficiaires de l’assistance ».
(8) Circ. du 04.08.92 concernant la note complémentaire à la circ. Du 05.09.91 relative à l’assistance du salarié lors de l’entretien préalable au licenciement.