Hier, Jean-Marie Vanlerenberghe, sénateur centriste du Pas-de-Calais et rapporteur général de la commission des affaires sociales, a rendu publiques les conclusions de son rapport sur “les conséquences de la fraude documentaire sur la fraude aux prestations sociales”.
Les chiffres qu’il avance conduisent à relativiser l’ampleur de cette fraude. Ces chiffres ont toutefois aussitôt suscité quelques interrogations.
14 milliards d’euros de fraudes à la Sécurité sociale ?
En décembre dernier, Charles Prats, ancien magistrat qui a notamment été chargé de la coordination de la lutte contre la fraude aux finances publiques au ministère des Finances (2008-2012), multipliait les interventions médiatiques afin d’alerter l’opinion publique sur l’ampleur de la fraude documentaire à la Sécurité sociale et sur ses conséquences considérables pour les finances publiques. Il estimait en effet à près de 14 milliards d’euros le montant des prestations sociales qui seraient versées, chaque année, à des personnes nées à l’étranger et disposant d’un numéro de sécurité sociale obtenu de manière frauduleuse – qui seraient versées, autrement dit, de manière indue.
Interrogé sur cette question à plusieurs reprises par différents députés et sénateurs, le gouvernement n’avait eu de cesse d’affirmer que cette estimation ne correspondait en rien à la réalité, estimant que les fausses affiliations à la Sécurité sociale concernaient moins de 0,3 % du total. Préférant se faire son propre avis sur le sujet – une méthode constante, depuis l’affaire Benalla… – le Sénat s’y est intéressé de près. C’est dans cette configuration qu’est intervenue la réalisation du rapport de M. Vanlerenberghe.
“Entre 200 et 802 millions d’euros” de préjudice
Le rapport du sénateur sur la fraude documentaire à la Sécurité sociale – dont nous publions la version provisoire ci-dessous – remet en cause aussi bien l’évaluation de Charles Prats que celle du gouvernement.
Le sénateur estime d’une part à entre 3 et 3,5 % le taux d’affiliations d’assurés à la Sécurité sociale nés à l’étranger qui seraient réalisées sur la base de documents présentant une “anomalie critique”. Autrement dit, entre 3 et 3,5 % des numéros de Sécurité sociale accordés à des assurés nés à l’étranger l’auraient été de manière indue : présentée comme telle, la situation apparaît quelque peu différente, au sens moins optimiste, de celle décrite par le gouvernement – encore faut-il, certes, préciser, que le taux d’anomalies évoqué par le sénateur se rapporte aux seuls affiliés nés à l’étranger, alors que les taux d’anomalies avancés par les pouvoirs publics semblaient plutôt se rapporter à la population totale des assurés.
D’après M. Vanlerenberghe, ces assurés immigrés indûment affiliés à la Sécurité sociale auraient bénéficié de prestations sociales dont le montant est estimé “entre 245 et 987 millions d’euros” – voire 1,17 milliard d’euros – par an. L’estimation est très large, noteront les esprits critiques. Si ceci est indiscutablement vrai, il n’en demeure pas moins que, même dans le pire des cas, les sommes en jeu seraient très éloignées des 14 milliards d’euros évoqués il y a quelques mois par M. Prats. Ceci étant dit, en ces temps budgétaires complexes, elles n’apparaissent pas non plus dérisoires, surtout si l’on considère la fourchette haute de l’estimation.
La réplique de Charles Prats
Aussitôt après la conférence de presse du sénateur, Charles Prats a accordé une interview au Figaro, au cours de laquelle il a quelque peu tenu à remettre en perspective les chiffres annoncés dans le rapport sénatorial. Il a notamment insisté sur le fait que les travaux du rapporteur lui-même n’étaient pas nécessairement tous cohérents avec le taux de fraude documentaire mis en avant dans le rapport.
“La principale information, c’est que le rapporteur général du budget de la sécurité sociale a enfin déterminé le nombre de numéros de sécu sociale (NIR) «actifs» attribués à des personnes nées à l’étranger : 56,4% des 21.017.718 NIR du stock […], soit 11,85 millions” affirme-t-il en premier lieu – ce chiffre n’apparaissant pas dans le rapport provisoire, il est probable qu’il ait été évoqué à l’occasion des travaux qui ont conduit à la rédaction du rapport. Or, poursuit M. Prats, “l’Insee a établi lors du dernier recensement que 7,9 millions de personnes nées à l’étranger résident en France. La Caisse nationale d’assurance vieillesse verse des prestations à environ 1,1 million de personnes qui résident hors de France, dont des anciens travailleurs étrangers rentrés dans leur pays. Il y a un peu plus d’un demi-million d’habitants dans les collectivités dont les habitants sont immatriculés selon la même méthode que les gens nés à l’étranger. Il ne devrait donc y avoir au maximum qu’environ 9,5 millions de NIR «actifs» de personnes nées à l’étranger ou dans les collectivités d’outre-mer”. Dès lors, M. Prats en déduit qu’il y a “2,35 millions” de NIR actifs qui ne correspondent théoriquement à aucun assuré légitimement inscrit à la Sécurité sociale.
M. Prats pose une inévitable question : “Qui sont ces personnes? Des clandestins? Ou plutôt, plus sûrement, des identités fictives et frauduleuses créées pour toucher illégalement des prestations sociales?” Dans la mesure où cette potentielle fraude documentaire concernerait “près de 5% des numéros de sécurité sociale actifs de l’ensemble de la population”, on imagine aisément que ses conséquences financières seraient considérables – bien plus importantes, en tout cas, que les estimations avancées par le rapporteur.
Un dossier toujours ouvert
Gageons que la mission d’enquête parlementaire sur le sujet de la fraude documentaire à la Sécurité sociale récemment mise en place à la demande du Premier ministre Edouard Philippe et confiée à la députée de la majorité Carole Grandjean et à la sénatrice centriste Nathalie Goulet permettra d’établir clairement l’ampleur du problème.
Alors que les Français ne cessent de chercher à faire comprendre, ces derniers temps, qu’ils ne sont plus tout à fait d’accord pour signer des chèques en blanc aux responsables politico-administratifs du pays, il semble indispensable de faire la lumière sur la fraude exogène aux prestations sociales.