Le salarié protégé doit approuver les modifications de son contrat de travail

Cette publication provient du site du syndicat de salariés CFDT.

Si l’invalidation d’une convention de forfait par décision de justice permet à l’employeur de revenir à un décompte horaire de droit commun du temps de travail, peut-il pour autant imposer cette modification à un salarié protégé ? la réponse est non, selon la Cour de cassation qui considère qu’aucune modification ne pouvait lui être imposée, même pour régulariser une convention de forfait jugée invalide. Cass.soc. 13.09.17, n°15-24397. 

  • Les faits

Un responsable de la société Aldi, également délégué syndical, a signé avec la direction, et sur la base de la convention collective applicable à l’entreprise (1), une convention de forfait annuel en heures. Ce forfait, de 1 920 h / an, conduit le salarié à travailler en moyenne 42 heures par semaine en contrepartie d’une rémunération correspondante. 

Or, à la suite d’un contentieux opposant la société à d’autres salariés, plusieurs décisions de justice (2) ont déclaré ces conventions inopposables au motif considérant que les salariés ne remplissaient pas les conditions nécessaires pour être éligibles à une convention de forfait annuel en heures. Il se trouve en effet que ces derniers ne disposaient pas de l’autonomie nécessaire dans l’organisation de leur emploi du temps pour pouvoir rentrer dans le cadre de ce type de dispositif. 

Afin de se mettre en conformité avec ces décisions de justice, l’employeur a proposé aux salariés différentes modifications de leur contrat de travail. Or l’un d’eux, le salarié, délégué syndical, a refusé ces propositions. Face à son refus, la direction a décidé de revenir au droit commun. En d’autres termes, elle a décidé de décompter le temps de travail du salarié sur la base de 35 h et de le rémunérer au taux horaire fixé par la convention collective et ce, dès le mois suivant. Considérant que l’employeur lui a imposé une baisse du volume horaire hebdomadaire et par conséquent, de sa rémunération, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes. 

La cour d’appel a rejeté la demande du salarié. Selon elle, plusieurs décisions de justice ayant invalidé les conventions de forfait, « l’employeur était fondé à proposer une modification du contrat de travail » et le salarié ne pouvait pas accepter d’un côté la baisse de son temps de travail tout en refusant, de l’autre, celle de son salaire, « cette baisse de rémunération s’imposant au regard de l’égalité entre salariés ». 

Le salarié a alors formé un pourvoi auprès de la Cour de cassation : l’annulation par décision de justice de la convention de forfait autorisait-elle l’employeur à imposer à un salarié protégé une modification de son contrat de travail ? 

Non, répond la Cour de cassation, pour qui « aucune modification de son contrat de travail, aucun changement de ses conditions de travail ne peut être impos à un représentant du personnel ; qu’il incombe à l’employeur, en cas de refus du salarié d’accepter la modification ou le changement litigieux, d’obtenir l’autorisation de l’inspecteur du travail de rompre le contrat de travail ». 

  • Quelques rappels sur les conventions de forfait

Les conventions de forfait (en heures ou en jours) font partie des aménagements du temps de travail qui permettent de déroger à l’horaire collectif de travail au sein d’une entreprise. Il existe plusieurs types de forfaits : le forfait en heures sur la semaine, sur le mois ou sur l’année et le forfait en jours sur l’année. Les conventions de forfait en heures permettent de simplifier la gestion administrative de la paie : l’employeur et le salarié conviennent d’un certain volume de temps travaillé et d’un salaire forfaitaire incluant, le cas échéant, les majorations pour heures supplémentaires (3).. 

Dès lors qu’elles sont annuelles, les conventions de forfait en heures doivent être prévues par un accord collectif qui en fixe le cadre, les limites et les garanties offertes aux salariés. La mise en place du forfait doit ensuite faire l’objet d’une convention individuelle établie par écrit (soit sous la forme d’une clause du contrat de travail, soit d’une convention à par entière), car tout forfait requiert l’accord du salarié. 

Par ailleurs, il est d’ordre public, c’est-à-dire qu’aucune convention ou accord collectif ne peut y déroger, que seuls certains salariés peuvent conclure une convention individuelle de forfait en heures sur l’année : – les cadres, dont la nature des fonctions ne conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou de l’équipe auquel ils sont intégrés ; – les salariés non cadres qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps. 

En cas de litige, les juges doivent apprécier si les salariés soumis à un forfait annuel en heures sur l’année relèvent bien de l’une ou l’autre de ces deux catégories. A défaut, les conventions individuelles de forfait peuvent être invalidées par décision de justice. L’employeur se voit alors contraint de basculer dans un décompte horaire du temps de travail de droit commun applicable à tous les salariés et fixé à 35 heures de travail hebdomadaires. 

Et c’est précisément ce qui s’est passé en l’espèce. Mais à la différence des autres salariés, dans notre cas, l’employé était également un salarié protégé. 

  • Les conséquences de la suppression d’une convention de forfait ne s’imposent pas au salarié protégé

Le principe veut qu’aucune modification du contrat ou changement de ses conditions de travail ne puisse être imposé à un salarié protégé (4). En effet, les représentants du personnel bénéficient, au titre de ce statut, d’une protection contre le licenciement, mais également contre toute modification de leur contrat de travail ou de leurs conditions de travail, de sorte que tout changement (horaires, lieu de travail, fonctions, etc) nécessite leur accord

C’est sur ce fondement que la Cour de cassation est venue censurer la décision de la cour d’appel, qui ne pouvait pas composer sans ce principe. L’employeur ne pouvait pas imposer au salarié protégé un nouveau décompte du temps de travail sur la base de 35 heures par semaine entraînant ainsi une baisse de rémunération, même si c’était pour appliquer une jurisprudence venue invalider les conventions de forfait. Face au refus des modifications par le salarié, l’employeur n’avait que deux options : 

– renoncer à la modification et maintenir la rémunération du salarié, 

ou 

– saisir l’inspection du travail d’une demande d’autorisation de le licencier. 

Cet arrêt a le mérite de rappeler que la protection légale dont bénéficient les représentants du personnel est d’ordre public et joue en toute hypothèse. Attention toutefois, car si en tant que salarié protégé vous êtes libre de refuser ou d’accepter la proposition faite, un refus vous expose toujours à un risque de licenciement (sous réserve de l’autorisation de l’inspection du travail) si l’employeur estime cette modification indispensable ! Il est donc nécessaire de peser le pour et le contre avant de prendre sa décision. 

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