Cette publication est issue du site du syndicat de salariés CFDT.
La chambre sociale de la Cour de cassation énonce le principe suivant : quand un élu utilise des heures de délégation sur le temps libre dont il bénéficie au titre de la contrepartie obligatoire de repos, ces heures ne peuvent faire l’objet d’une rémunération supplémentaire. Ce temps de repos acquis au titre du dépassement du contingent d’heures doit alors faire l’objet d’un report ! Cass.soc.23.09.2017 n°15-25250.
Les heures de délégation : pour qui ?
Tout d’abord, les heures de délégation sont attribuées à certains représentants du personnel afin de disposer du temps nécessaire pour l’exercice de leurs fonctions représentatives. Elles sont destinées aux représentants du personnel (délégués du personnel, membres élus du comité d’entreprise, de la délégation unique du personnel ou du CHSCT), mais aussi aux salariés investis de mandats syndicaux (délégués syndicaux, représentants syndicaux au comité d’entreprise et représentant de la section syndicale). Ces heures appelées de « délégation » sont considérées comme du temps de travail et rémunérées en tant que telles. Leur nombre varie en fonction de la nature du mandat et de l’effectif de l’entreprise.
Les dispositions légales ne font pas obstacle à des régimes plus favorables institués par négociation collective ou usage. Il est tout à fait possible de prévoir par accord collectif un nombre d’heures de délégation supérieur à celui prévu au sein du Code du travail.
Quand et comment utiliser les crédits d’heures ?
Comme l’énonce la chambre sociale, le temps de délégation doit être utilisé conformément aux missions dévolues et avoir un lien direct avec le mandat (1) Il convient donc de distinguer selon le mandat. Ainsi, lorsqu’il s’agit d’un délégué du personnel, le crédit ne peut-il être consacré à une activité purement syndicale, telle que la distribution de tracts, laquelle relève du mandat du délégué syndical (2). Un membre du CE ne peut pas non plus utiliser son crédit d’heures pour assister à une audience du conseil de prud’hommes où se plaide une affaire opposant un salarié à la société (3), ni pour des missions de soutien de revendications individuelles, ni pour la préparation ou la négociation des conventions collectives.
En revanche, est conforme au mandat la participation à une réunion syndicale portant sur un projet de nouvelle classification intéressant l’ensemble du personnel (4).
On l’aura bien compris, l’intérêt du crédit d’heures est d’offrir aux représentants du personnel une liberté dans l’exercice de leurs fonctions représentatives. Cela se traduit notamment par le fait qu’un représentant du personnel travaillant le jour dispose de la faculté de prendre ses heures de délégation la nuit et vice versa.
Mais qu’en est-il quand les heures de délégations sont utilisées sur le temps accordé au titre du repos compensateur ? C’est justement là tout l’enjeu d’une récente décision de la chambre sociale de la Cour de cassation !
La contrepartie obligatoire en repos, aussi appelée repos compensateur, est un dispositif réglementé par le droit du travail, qui prévoit un temps de repos pour compenser les heures supplémentaires réalisées par le salarié au-delà de son contingent d’heures annuel.
Les faits et la procédure
Une salariée cheffe d’équipe au sein d’une société de nettoyage cumule plusieurs mandats syndicaux. En effet, outre ses mandats de déléguée du personnel et de déléguée syndicale, elle est également membre du comité d’entreprise et du CHSCT.
C’est à partir de mars 2015 que l’employeur a cessé de lui payer à ses heures de délégation effectuées lors de ses contreparties obligatoires en repos. S’estimant lésée dans ses droits, la salariée a décidé de saisir le conseil de prudhommes d’une demande de paiement d’heures de délégation.
En effet, la salariée a réclamé à l’instance prud’homale le paiement de près 152,5 heures de délégation prises pendant des périodes de repos compensateur obligatoire au titre de ses différents mandats.
En première instance le juge des référés a accueilli ses demandes au motif que le représentant du personnel qui bénéficie de jours de repos compensateurs conventionnels (contrepartie obligatoire à repos) et utilise ses heures de délégation pendant ce repos est en droit de bénéficier de la quote-part de repos correspondant au temps de délégation.
Le juge des référés a notamment condamné l’employeur a versé au salarié la somme de 2 752, 12 €, correspondant aux temps de délégation effectués pendant la contrepartie obligatoire en repos.
Mécontent de l’ordonnance rendue, l’employeur décide de se pourvoir en cassation.
D’après l’article 490 du Code de procédure civile, l’ordonnance de référé peut être frappée d’appel à moins qu’elle n’émane du premier président de la cour d’appel ou qu’elle n’ait été rendue en dernier ressort en raison du montant ou de l’objet de la demande. En l’espèce, le montant étant inférieur à 4 000 €, l’ordonnance du juge des référés est insusceptible d’appel. Elle peut toutefois être frappée d’un recours devant la Cour de cassation.
Afin de justifier sa position, l’employeur expose le fait qu’ « un salarié ne peut recevoir plus que les autres, par soucis d’égalité. Or l’élue, du fait de ses horaires de travail et de l’exercice de ses quatre mandats en dehors de ses heures de travail, perçoit un salaire supérieur à l’ensemble des autres salariés de l’entreprise ».
Le repos compensateur ne doit pas être rémunéré mais reporté !
La Chambre sociale de la Cour de cassation ne fait que peu d’état de l’argumentaire de l’employeur et estime que « si le temps alloué à un représentant pour l’exercice de son mandat est considéré comme temps de travail et que la salariée ne pouvait être privée des jours de repos compensateur du fait de l’exercice de ses mandats durant cette période de repos compensateur, il résulte de l’article D. 3121-14 du Code du travail que ce n’est que lorsque le contrat de travail prend fin avant que le salarié ait pu bénéficier de la contrepartie obligatoire en repos à laquelle il a droit ou avant qu’il ait acquis des droits suffisants pour pouvoir prendre ce repos qu’il reçoit une indemnité en espèces dont le montant correspond à ses droits acquis ».
Autrement dit, il ne peut être procédé au paiement du repos compensateur non pris en raison du mandat (plus précisément des heures de délégation subséquente au mandat) qu’en cas de rupture du contrat de travail. En dehors de ce cas, la règle est le report des jours compensateurs non pris.
L’article D 3121-14 du Code du travail dispose que “le salarié dont le contrat de travail prend fin avant qu’il ait pu bénéficier de la contrepartie obligatoire en repos à laquelle il a droit ou avant qu’il ait acquis des droits suffisants pour pouvoir prendre ce repos reçoit une indemnité en espèces dont le montant correspond à ses droits acquis”.
On comprend aisément les deux impératifs qui ont pu guider le positionnement de la Haute cour. D’une part, le droit au repos du salarié (droit fondamental) et d’autre part, le respect d’une disposition d’ordre public (le repos compensateur).
La position de la Cour de cassation est claire et adopte une position très littérale du texte de loi. Pour les magistrats du Quai de l’Horloge le principe est le report et l’exception est l’indemnisation.
En l’espèce, étant toujours en emploi et en dehors de toute circonstance de rupture de contrat, l’élue aurait dû solliciter le report de ses jours compensateurs – et non leur paiement.
La solution adoptée par la Cour de cassation, bien qu’inédite, n’est pas sans rappeler deux de ses précédentes décisions. L’une de 1992 (5), dans laquelle les juges avaient estimé pour un salarié qui avait exercé son mandat représentatif au cours de ces congés et repos et avait été, par la suite, licencié, que le temps alloué à un représentant élu du personnel pour l’exercice de son mandat étant de plein droit considéré comme temps de travail et le salarié ne pouvant être privé des jours de repos compensateurs ou de repos litigieux du fait de l’exercice de son mandat, celui-ci avait droit à une indemnisation.
La seconde, de 1994 (6) dans laquelle les magistrats avait interdit le cumul de rémunération pour un salarié ayant accompli des heures de délégation pendant ses congés payés et à ce titre prétendu à une indemnité de congé.
(1) Cass.soc.13.12.88, nº 86-40.765.
(2) Cass.soc.03.03.85, nº 82-43.175.
(3) Cass.soc.12.03.87, nº 84-41.159.
(4) Cass.crim.16.12.77, nº 76-93.254.
(5) Cass.soc. 20.05.92, n° 89-43.103.
(6) Cass.soc.19.10.94, n° 91-41.097.