Le projet « range ton bureau » pourrait justifier le recours à une expertise CHSCT

Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat : la CFDT

 

Le « clean desk » comprenez la politique du « range ton bureau » a fait l’objet d’une récente décision de la cour d’appel de Douai. Les magistrats d’appel estiment qu’un projet de management de la sécurité et de la prévention des fraudes comprenant un volet « clean desk » ayant pour but d’interdire tout objet personnel du salarié sur son poste de travail peut avoir un impact direct sur les conditions de travail des salariés et donc justifier une expertise CHSCT. Cour d’appel de Douai, 31.03.16, n°15/05771. 

Comme chacun sait, le comité d’hygiène de santé et de sécurité au travail (CHSCT) est l’un des garants des conditions de travail dans l’entreprise. A cet égard, il bénéficie, selon l’article L. 4614-12 Code du travail en cas de risque grave ou de projet important modifiant les conditions de santé, de sécurité ou les conditions de travail, de la possibilité de faire appel à un expert. Le Code du travail vise notamment toute transformation importante des postes de travail résultant d’une modification de l’outillage, d’un changement de produit, d’une réorganisation du travail ou d’une modification des cadences et des normes de productivité (C. trav., art. L. 4612-8). 

L’importance du projet s’apprécie non pas seulement au regard du nombre de salariés concernés, mais également au regard de ses implications sur les conditions de santé et de sécurité des salariés ou leurs conditions de travail. Ce qui compte véritablement, c’est la portée de ce projet sur la santé, la sécurité ou les conditions de travail des salariés (Cass. soc. 10 févr. 2010, no 08-15.086). 

En la matière, la notion de projet important ou de risque grave revêt donc une importance toute particulière. En effet, une expertise ne peut être demandée par le CHSCT que pour ces raisons et en pratique les débats se cristallisent souvent sur la définition de ces deux notions. Une illustration de l’importance du projet nous est livrée par la cour d’appel de Douai. 

  • Fait, procédure, problématique

Dans cette affaire, le CHSCT d’une plateforme téléphonique a voté le recours à une expertise afin de voir analyser les conséquences d’un projet de programme « de management de la sécurité et de la prévention des fraudes ». 

Ce projet tend à renforcer la sécurité de l’entreprise en vue de la protection des données confidentielles des clients en modifiant corrélativement le règlement intérieur ainsi que la charte informatique tout en mettant en place un projet « clean desk ». Ce dernier a pour objet d’une part d’interdire tout téléphone portable et objet personnel du salarié sur son poste de travail, ceux-ci devant être entreposé dans un casier individuel à l’exception d’une bouteille d’eau fermée, d’un étui à lunettes et d’éventuels médicaments. D’autre part d’atteindre l’objectif zéro papier en supprimant toute prise de note manuscrite au profit d’une saisie informatique. 

L’employeur a décidé de contester la délibération du CHSCT en demandant l’annulation devant le Tribunal de grande instance. La juridiction de premier degré a déclaré le recours de l’employeur irrecevable. 

Estimant que le projet consiste en un simple aménagement et non en un projet important modifiant les conditions de santé, de sécurité ou les conditions de travail, l’employeur a alors décidé de porter l’affaire devant la Cour d’appel de Douai. 

Ce projet peut-il être ou non considéré comme « un projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et donc faire l’objet d’une expertise ? Telle est la question que doit trancher la juridiction de second degré. 

  • Le projet est susceptible d’impacter les conditions de travail

Pour la Cour d’appel, il résulte du projet que non seulement « ces contraintes nouvelles sont susceptibles d’avoir un impact direct sur les postes de travail des salariés par la réduction des outils et de la marge de manœuvre dont ils peuvent disposer dans l’exécution des tâches qui leur sont confiées« . C’est le cas « d’autant qu’elles s’accompagnent par ailleurs d’un réaménagement important des locaux entraînant la suppression des salles de pause au niveau des plateaux et une modification des positions existantes« . 

La Cour énonce également que « la standardisation qui en résulte et les restrictions qu’elles apportent à la sphère personnelle et à la liberté individuelle des salariés sont également susceptibles d’entraîner une modification dans leurs conditions de travail, et non pas, comme l’allègue à tort » la société Télé performance, « un simple ‘aménagement’ de celles-ci« . 

En résumé, la mise en place d’un projet tel que décrit précédemment doit être considéré comme un projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et donc faire l’objet d’une expertise au sens de l’article L. 4612-8 du Code du travail.  

Bien qu’il ait été demandé à la cour de statuer sur la notion de projet important, les magistrats ont estimé que le projet d’espèce serait susceptible d’altérer la sphère personnelle et la liberté individuelle des salariés. 

Autrement dit, la cour parait considérer que le fait d’interdire à l’ensemble des salariés tous objets personnels sur leurs postes de travail pourrait porter atteinte aux libertés individuelles des salariés. 

  • Refuser la personnalisation : une atteinte à la liberté d’expression?

Amener des plantes, ou des photos pour son bureau peut être perçu comme un geste banal pour les salariés, pour autant l’employeur peut-il interdire la personnalisation du lieu de travail ? 

Rien ne semble contrevenir à ce que la liberté de personnaliser son bureau puisse faire partir des libertés individuelles du salarié. En effet, cette liberté pourrait très bien s’apparenter à la liberté d’expression du salarié, reconnue comme une liberté fondamentale. 

Toutefois, le Code du travail au sein de l’article 1121-1 du Code du travail dispose que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ». 

L’employeur peut donc, dans certaines hypothèses et en justifiant objectivement, réglementer la personnalisation du bureau des salariés. On pense notamment aux « open space » devant permettre aux salariés de changer de postes de travail plus facilement. 

 

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