Cette publication provient du site du syndicat de salariés CFDT.
Voilà un arrêt qui ouvre une petite brèche en faveur d’une meilleure implantation locale des CSE d’établissements et qui nous met un peu de baume au cœur ! Nuançant sa jurisprudence antérieure, la Cour de cassation admet la possibilité de reconnaître un établissement distinct en cas de partage de compétences avec le siège en matières budgétaire et de gestion du personnel. Cass.soc.22.01.20, n°19-12011.
- Faits, procédure, prétentions
A la suite de l’échec des négociations du protocole préélectoral en vue de la mise en place du CSE, l’employeur a décidé unilatéralement de la mise en place d’un CSE unique.
Cette décision a été contestée devant le Direccte qui a, quant à lui, constaté l’existence de 6 établissements distincts. Sur ce, l’employeur a saisi le tribunal d’instance pour voir reconnaître l’existence d’un établissement unique pour la mise en place du CSE.
Le tribunal d’instance ayant débouté l’employeur et validé la décision du Direccte reconnaissant 6 établissements, l’employeur a formé un pourvoi.
A l’appui de ce pourvoi, l’employeur avançait deux arguments principaux.
-D’une part, il se fondait sur les règles de droit commun en matière de preuve (article 1353 du Code civil) pour dire qu’il incombe à celui qui se prévaut de l’existence d’un établissement distinct d’en apporter la preuve.
-D’autre part, il niait l’autonomie budgétaire et de gestion des établissements reconnus par le Direccte, une partie des compétences en ces matières restant dévolues au siège.
- La charge de la preuve de l’existence d’un établissement distinct
C’est sur le terrain de la preuve tout d’abord que la décision de la Cour de cassation mérite attention.
En effet, sans égard particulier pour l’argument de l’employeur se fondant sur les règles de droit commun en matière de preuve – lesquelles imposent au demandeur de prouver l’existence d’une obligation (1), la Chambre sociale retient que : « lorsqu’ils sont saisis d’un recours dirigé contre la décision unilatérale de l’employeur, le Direccte et le tribunal d’instance se fondent, pour apprécier l’existence d’établissements distincts au regard du critère d’autonomie de gestion ainsi défini, sur les documents relatifs à l’organisation interne de l’entreprise que fournit l’employeur, et sur les documents remis par les organisations syndicales à l’appui de leur contestation ».
Autrement dit, concernant l’existence d’un établissement, comme en d’autres domaines du droit du travail (licenciement, temps de travail par exemple), la preuve n’incombe spécifiquement à personne. Le juge peut donc se baser sur l’ensemble des éléments qui lui sont fournis (ou sont omis).
La précision a son importance pratique, puisqu’en matière de preuve, l’égalité des armes fait bien souvent défaut, la direction détenant des informations auxquelles les salariés, et même les organisations syndicales, n’ont pas toujours accès.
Toutefois, l’intérêt de la décision de la Cour de cassation tient principalement aux atténuations qu’elle apporte à la notion d’autonomie de gestion, centrale dans la nouvelle définition de l’établissement.
- De l’autonomie à l’autonomie de gestion partagée
Depuis les ordonnances de 2017 qui ont consacré la nouvelle définition de l’établissement distinct pour le CSE, la Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer plusieurs fois sur cette notion stratégique pour l’implantation de la représentation au plus près des salariés.
L’article L.2313-4 du Code du travail prévoit qu’en l’absence d’accord, « l’employeur fixe le nombre et le périmètre des établissements distincts, compte tenu de l’autonomie de gestion du responsable de l’établissement, notamment en matière de gestion du personnel ».
C’est la première fois cependant, depuis la consécration de cette définition unique de l’établissement, fortement inspirée de la définition qui prévalait jusqu’alors pour la mise en place des comités d’entreprise (2), qu’une petite lueur d’espoir pointe grâce à un assouplissement de la conception de l’autonomie de gestion à caractériser.
Rappelons en effet que fin 2018, une décision de la Cour de cassation pour le moins restrictive quant à cette notion a été rendue (3). Sans se renier, la Cour en reprend ici l’attendu : « caractérise un établissement distinct l’établissement qui présente, notamment en raison de l’étendue des délégations dont dispose son responsable, une autonomie suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l’exécution du service ».
L’apport de la présente décision réside dans le nouvel assouplissement apporté à la notion d’autonomie de gestion, assouplissement que l’on pouvait voir poindre déjà dans une décision de décembre dernier.
Une première inflexion a ainsi été apportée dans une décision du 11 décembre dernier (4) : « la centralisation des fonctions de support ou l’existence de procédures de gestion définies au niveau du siège ne sont pas de nature à exclure en elles-mêmes l’autonomie de gestion des responsables d’établissement ». Avec cette décision, un premier glissement vers une conception plus concrète, et moins aux mains des employeurs, de la notion d’autonomie de gestion semblait déjà s’opérer.
Dans notre affaire, tout en reprenant au préalable les termes de décembre, la Haute juridiction va un peu plus loin et approuve les juges du fond d’avoir reconnu l’existence de ces 6 établissements « même si certaines compétences en matière budgétaire et de gestion du personnel étaient centralisées au niveau du siège ».
En l’espèce en effet, pour ne prendre pour exemple que la gestion du personnel, les recrutements, les licenciements et les sanctions disciplinaires les plus graves étaient décidées au niveau du siège.
Dans la veine de la décision de décembre dernier, la Cour de cassation ne s’oppose pas à la reconnaissance d’établissements distincts en cas de partage ou de répartition des compétences avec le siège.
Aux juges du fond de faire bon usage de leur « pouvoir souverain d’appréciation » (souligné par la Cour) !
(1) Article 1353 du Code civil (anciennement 1315).
(2) Balayant ainsi le niveau de l’établissement pour la mise en place de feu les délégués du personnel.
(3) Cass.soc.19.12.18, n°18-23655.
(4) Cass.soc.11.12.19, n°19-17298.