Après trois mois de négociations et quatre réunions au sommet, les partenaires sociaux ont réussi à se mettre d’accord sur le contenu du futur compte personnel d’activité (CPA). Tel qu’il se présente à l’issue des discussions, le CPA n’est pas loin de s’apparenter à une coquille vide. Le paritarisme sur injonction gouvernementale fonctionne décidément mal.
Un dispositif minimal
La quatrième et dernière séance de la négociation interprofessionnelle sur le CPA, qui s’est tenue hier, ne se présentait pas sous les meilleurs auspices. Incapable de mettre tout le monde d’accord dans son propre camp, Alexandre Saubot, président de l’UIMM et chef de file de la délégation patronale, avait récemment fini par refuser d’inclure le compte pénibilité dans le CPA.
Mais aucun syndicat n’étant prêt à accepter une telle proposition, il a bien fallu que le patronat revoie sa copie et accepte de réintégrer le compte pénibilité – qu’il combat par ailleurs de toutes ses forces. Mais, pour M. Saubot, et pour l’UIMM, une seconde négociation interprofessionnelle ratée – après celle dite de la modernisation du marché du travail – aurait fait mauvais effet.
Le texte final de l’accord paritaire sur le CPA prévoit ainsi qu’il regroupera les comptes formation et pénibilité des salariés. Autrement dit, les partenaires sociaux se sont entendus sur la version du CPA que le gouvernement comptait mettre en oeuvre dans tous les cas. L’intérêt des quatre séances de discussions saute aux yeux… Seul point positif : personne ne perd la face. Mais personne n’est non plus dupe.
Des syndicats qui restent sur leur faim
Du côté des syndicats de salariés, c’est l’amertume qui l’emporte. La CGT, qui entendait faire du CPA une véritable sécurité sociale professionnelle, déchante clairement : “Le texte présente un modèle social fondé sur la capitalisation, aux antipodes de notre sécurité sociale professionnelle”.
Les organisations prêtes à parapher le texte : CFDT, FO, CFTC et CFE-CGC, sont un moins sévères. Malgré le maigre résultat d’hier, la CFDT et FO, ont quelque espoir pour l’avenir. Stéphane Lardy, de FO, se félicite de la “valeur politique” du texte : “il dit que c’est important que le CPA ne se fasse pas sans les partenaires sociaux”. Pour sa part, Véronique Descacq, de la CFDT, estime que “ce n’est pas révolutionnaire” mais que “ça laisse ouvert tous les champs possibles qu’on souhaitait” – notamment la potentielle intégration au CPA, à l’avenir, du compte épargne-temps.
Toutefois, certains signataires estiment que tout reste à faire. Pour Joseph Thouvenel, de la CFTC, “ce texte manque cruellement d’ambition mais il marque la mise en route du CPA”. Même son de cloche du côté de la CFE-CGC : “C’est le minimum auquel il fallait arriver. C’est une dynamique qui va durer plusieurs années”. Que de joyeuses réunions en perspective !
Un patronat qui signe d’une seule main
Et ce ne sont pas les responsables patronaux qui diront le contraire. Préférant ne pas s’exprimer de vive voix à la fin des discussions, les représentants des employeurs ont fait savoir leur appréciation de la situation par le biais… d’un communiqué écrit. L’ambiance était plus que jamais à la sérénité au sein du patronat français.
Le communiqué indiquait notamment que l’intégration du compte pénibilité dans le CPA “ne peut pas être considéré comme acceptation d’un dispositif qui reste, en l’état, impossible à mettre en œuvre pour les entreprises.” En d’autres termes : le Medef accepte d’inclure dans le CPA un mécanisme qu’il refuse catégoriquement par ailleurs. A ce stade, il faut bien reconnaître que les choses deviennent difficiles à suivre. Dans cette affaire, M. Saubot aurait-il engagé un peu vite la parole patronale ?
Cette éventualité n’est pas à exclure. C’est lundi prochain que les responsables du Medef donneront leur avis sur l’accord signé. Pierre Gattaz a déjà fait savoir tout le mal qu’il en pensait : “l’accord ne me va pas complètement. Nous attendons la loi El Khomri pour dévérouiller le marché du travail”. Le président du Medef en serait donc arrivé au point de faire plus confiance au gouvernement qu’à ses propres négociateurs pour libéraliser le marché du travail ? On ne peut s’empêcher de se demander ce que vaut la signature patronale au texte d’hier.
Quelle efficacité pour le paritarisme sur injonction ?
Au-delà de tous ces développements de circonstances, le déroulement chaotique et le résultat décevant de la négociation sur le CPA démontrent que le gouvernement entretient actuellement un rapport pour le moins contre-productif avec le paritarisme.
Soucieux de ne pas assumer seul le coût politique des réformes sociales qu’il promeut, l’exécutif exige des partenaires sociaux qu’ils se mettent autour de la table afin d’arriver à des accords dont il a écrit les termes bien à l’avance. Plus ou moins réticents à se soumettre aux injonctions de l’Etat, les représentants des employeurs et des salariés traînent des pieds, peinent à s’entendre et se mettent finalement d’accord sur des textes avec lesquels personne n’est d’accord. Une telle pratique du dialogue social n’est pas soutenable.
Hélas, comme l’indique la tournure prise par les négociations sur l’assurance chômage, le gouvernement ne semble pas prêt à changer de tactique. Le changement, ce n’est plus pour maintenant.