Les résultats du second tour des élections régionales tombent, et beaucoup brocardent la défaite du Front National, première force politique au premier tour, mais qui ne remporte aucune région ce dimanche. Une analyse volumétrique des résultats conduit à nuancer très fortement cette perspective, jusqu’à se demander si le Front National n’est pas le grand vainqueur du scrutin.
Une poussée du FN partout au second tour
Une comparaison, région par région, des résultats entre le premier et le second tour, montre que le FN n’a pas souffert d’une augmentation de la participation au vote, bien au contraire. Partout, le nombre de voix remportées par le Front National a augmenté.
Ainsi, dans le Nord, Marine Le Pen a gagné 100.000 voix, soit la moitié des nouveaux votants au second tour. En Lotharingie, Florian Philippot a gagné 150.000 voix, soit 40% des nouveaux votants. Dans le Sud-Est, Marion Maréchal-Le Pen a gagné 70.000 voix, alors que le nombre de votants a globalement stagné. Dans le Midi, Louis Aliot gagne 150.000 voix, soit, là encore, la moitié des nouveaux votants.
Autrement dit, l’augmentation du taux de participation n’est pas due, comme par le passé, à des électeurs “traditionnels” qui se sont déplacés pour faire barrage au Front National. Les résultats montrent que partout le parti d’extrême droite en “a sous la pédale” et dispose d’un réservoir de sympathie qui déborde le score qu’il a réalisé dimanche dernier, et probablement ce dimanche.
Le naufrage des partis de gouvernement
Logiquement, cette incontestable dynamique électorale affaiblit la légitimité des présidents élus, y compris grâce à un front républicain.
Ainsi, dans le Nord, Xavier Bertrand est élu grâce à 32,5% des inscrits. L’appel de la gauche en sa faveur ne lui vaut donc pas plus d’un suffrage sur trois électeurs… En Lotharingie, Philippe Richert fait pire avec 27% des inscrits. Dans le Rhône, Laurent Wauquiez n’en représente pas 23%. En Bourgogne, l’inconnue Marie-Guite Dufay en représente moins de 21%. Dans le Val-de-Loire, le socialiste Bonneau en représente tout juste 20%. Dans le Midi, l’addition des voix de Carole Delga et de Dominique Reynié n’atteint pas les 39%.
Une mention toute particulière revient à Christian Estrosi qui atteint péniblement les 30% des inscrits. Dans une région qui brille par sa faible inclination pour la gauche, et alors même que la gauche s’était désistée en sa faveur, ce proche de Nicolas Sarkozy découvre tout à coup son extrême faiblesse électorale.
L’effet 2002 est bien mort
On se souvient que, le 21 avril 2002, la défaite de Lionel Jospin au premier tour des présidentielles avait produit un électro-choc dans l’opinion grâce auquel Jacques Chirac avait été largement réélu. Le même phénomène ne s’est manifestement pas reproduit en 2015: la stratégie de front républicain n’a guère permis aux candidats de l’union de réaliser des scores importants.
C’est un événement politique majeur. A l’approche de 2017, il est évident que le candidat qui affronterait Marine Le Pen au second tour des présidentielles, si cette configuration devait se présenter, ne bénéficierait pas forcément d’un report massif des voix “républicaines” et devrait mener une campagne beaucoup plus dure que Jacques Chirac en son temps.
Cette donnée est particulièrement vraie pour un candidat de gauche, dont il n’est pas évident qu’il se présenterait en bonne posture face aux électeurs.
Vers une ligue du Nord?
Reste que la France est désormais clairement divisée entre le sud de la Loire, où la gauche est globalement majoritaire, et le Nord et l’Est de la Loire, où la droite et l’extrême droite effectuent d’importantes percées. Cette césure n’est pas indifférente à l’effet “banane bleue” européenne. Les régions qui sont incluses dans le périmètre de prospérité européenne inclinent à droite, alors que les zones les plus étrangères à cet effet balancent à gauche.
Le phénomène risque de s’accentuer dans les années futures. Il témoigne de la virulence des érosions dont souffrent les logiques de solidarité dans un espace de plus en plus concurrentiel.
On observera avec attention l’impact de cette logique centrifuge sur la cohésion française dans les mois à venir.
Vers une victimisation du FN
A cette segmentation géographique s’ajoute un effet à retardement qui pourrait déstabiliser le paysage politique français. Le fait que le FN soit la première force politique en France aujourd’hui et qu’il ne décroche aucune région, notamment du fait des désistements, nourrit forcément le sentiment qu’il existe une collusion entre les partis du gouvernement pour éviter tout renouvellement politique. Pour les partis de gouvernement, cette donnée risque de se révéler très dangereuse. Elle sonne en effet comme un ultime avertissement: si ces partis ne parviennent pas à changer la donne, ils risquent de perdre fortement en crédibilité, en donnant le sentiment de s’unir pour conserver leurs avantages sans se soucier de l’intérêt général.