Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat : CFDT
L’employeur qui conteste à trois reprises, en quatre mois et pour le même motif, la candidature aux élections professionnelles et la désignation d’un même représentant, abuse de son droit d’agir en justice. Cass. Soc 10.03.16 n°15-18.268.
L’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme garantit à chacun le droit d’ester en justice. Syndicats, employeurs, salariés…. Autrement dit l’ensemble des acteurs des relations de travail bénéficie de ce droit fondamental. La liberté d’exercice du droit d’agir en justice a d’ailleurs été rappelée pour le salarié dans deux arrêts récents de la Cour de cassation du 3 février 2016 et du 16 mars 2016.
En la matière, le rôle du juge revêt une importance toute particulière : tout en veillant au respect du libre accès à la justice, le juge doit se montrer attentif aux possibles abus de ce droit. Tel est l’objet d’un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation rendu le 10 mars 2016.
- Faits, procédures, problématique
Dans cette affaire, un employeur a saisi le tribunal d’instance afin d’annuler la désignation d’un salarié comme représentant syndical au comité d’établissement. Selon l’employeur la désignation de ce salarié était entachée de fraude car elle avait pour seul objectif d’accorder une protection individuelle au salarié.
Lorsque le salarié exerce des fonctions représentatives au sein d’une entreprise, il bénéficie à ce titre d’une protection spéciale contre le licenciement. Cette protection vise à éviter d’éventuelles représailles de l’employeur et est applicable, sous conditions, dès la candidature aux élections, puis pendant le mandat et à l’issue du mandat.
Cette demande d’annulation a été faite à la suite d’un premier jugement rejetant une demande d’annulation d’une précédente désignation et à une contestation de la candidature aux élections de l’intéressé pour exactement le même motif.
Le salarié demande pour sa part la condamnation de son employeur pour procédure abusive sur le fondement de l’article 32-1 du Code de procédure civile.
L’article 32-1 du Code de procédure civile protège les justiciables contre les éventuelles atteintes à la liberté d’ester en justice. A ce titre l’article dispose que « Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 3 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés ».
Le tribunal d’instance a fait droit à la demande du salarié et a validé sa désignation. La juridiction de premier degré a estimé que le salarié était de bonne foi en relevant son implication préalable (à sa désignation) dans la défense collective de ses collègues. Le tribunal d’istance a donc condamné l’employeur à une amende civile de 1 500 euros sanctionnant son « l’acharnement ».
De fil en aiguille, l’affaire arrive devant les magistrats de la Cour de cassation.
La Cour de cassation doit alors se prononcer sur l’existence d’un abus du droit d’agir en justice d’un employeur qui conteste à trois reprises en quatre mois et pour le même motif la régularité de la désignation d’un représentant syndical au CE et sa candidature aux élections professionnelles.
- L’acharnement judiciaire va à l’encontre de la liberté d’agir en justice
Les magistrats du Quai de l’Horloge valide la condamnation de l’employeur en estimant que « l’employeur, qui a contesté à trois reprises depuis le mois de novembre 2014 et pour le même motif la régularité de la désignation puis celle de la candidature du salarié, alors qu’il ne pouvait légitimement penser, au regard des différents décisions de justices déjà rendues, qu’il obtiendrait gain de cause dans la présente instance, fait preuve d’acharnement et de volonté de nuire à l’encontre de son salarié ».
Pour la Cour de cassation la multiplicité des procédures engagées par l’employeur ne laissait que peu de place au doute quant aux intentions malveillantes de l’employeur.
La chambre sociale rappelle ici que si la liberté d’agir en justice appartient à tous, celle-ci ne doit pas dégénérer en volonté de nuire. Piqûre de rappel qu’il convient de saluer au regard de la judiciarisation des relations de travail.