Pour la troisième fois en moins de deux mois, un mouvement de grève largement suivi perturbe le transport ferroviaire français. La redéfinition de l’environnement conventionnel du secteur constitue le principal enjeu de discorde entre les représentants des employeurs et les syndicats de salariés. Et les choses ne semblent pas près de s’améliorer…
Un mouvement de grève suivi
Du point de vue des syndicats de la SNCF, la journée de grève organisée aujourd’hui est une réussite – au même titre, d’ailleurs, que l’avaient été les deux précédentes journées. D’après la direction, la circulation des trains est réduite à environ 1 TGV sur 2, 1 train Intercité sur 3 et 4 TER sur 10. Si la direction et le gouvernement misaient sur l’essouflement du mouvement de grogne, c’est clairement raté. Plus encore, tout indique que le conflit social du secteur ferroviaire survit bien à la décrue du mouvement de lutte contre le projet de loi El Khomri.
L’une des principales forces de ce mouvement social réside dans son caractère intersyndical. D’une part, aux yeux des salariés, la légitimité des appels à la grève apparaît d’autant plus grande qu’ils sont lancés à la fois par les turbulentes Sud ou CGT et par les traditionnellement modérées Unsa et CFDT. D’autre part, pour la direction de la SNCF, les pouvoirs publics ou même les observateurs extérieurs, il est impossible de disqualifier ces journées de grève comme résultant de l’action malfaisante des syndicats les plus contestataires.
Vers une nouvelle architecture conventionnelle
Actuellement, l’organisation du travail et le temps de travail des cheminots sont définis par la directive RH 0077. Au début du mois de juillet, cette directive cessera de s’appliquer et devra être remplacée par une nouvelle architecture conventionnelle, définie par trois grands textes. Un décret établira d’abord les normes minimales devant s’appliquer à l’ensemble du secteur ferroviaire. Une convention collective est par ailleurs en cours de négociation pour le secteur. Enfin, un accord d’entreprise doit voir le jour à la SNCF, de très loin la première entreprise de la branche.
Pour les syndicats de salariés, l’enjeu est simple : ils veulent éviter que s’instaure une course au “moins disant social” au sein du secteur ferroviaire français. Pour ce faire, ils veulent que les dispositions de la future convention collective soient proches de celles du futur accord propre à la SNCF. Or, les premières négociations ne semblent pas vraiment s’orienter dans cette direction : les syndicats accusent l’UTP, la chambre patronale, de tout faire pour s’aligner sur les dispositions prévues par le décret – qui, soit dit en passant, n’est toujours pas promulgué.
Le temps de travail au coeur des débats
En particulier, la question du temps de travail fait débat. D’après le Figaro, l’UTP propose que les cheminots puissent prendre et finir leur service à 50 kilomètres de leur lieu de résidence. Le patronat souhaiterait en outre que les “repos périodiques doubles” fussent un peu moins nombreux et qu’ils pussent avoir lieu non plus seulement les samedis et dimanches mais aussi les dimanches et lundis. L’UTP voudrait ensuite que les cheminots pussent travailler de nuit jusqu’à 8 heures d’affilée – et non plus 7 heures – et dormir deux ou trois nuits à l’hôtel. Enfin, la chambre patronale aimerait revoir la règle dite du “taquet du 19-6”, empêchant de travailler après 19 heures la veille d’un repos hebdomadaire et de reprendre la semaine de travail avant 6 heures.
Du côté des représentants des cheminots de la SNCF – qui sont en réalité ceux qui s’expriment au nom des salariés de l’ensemble du secteur – ces propositions sont inacceptables. Ils veulent qu’a minima, la future convention collective reprenne les dispositions actuellement en vigueur dans la RH 0077. Les désaccords entre représentants des employeurs et syndicats de salariés sont par conséquent très importants. Et ce ne sont pas les demandes d’embauche supplémentaires de cheminots, destinées à faire face au manque de personnel dans les TER, qui vont contribuer à rapprocher les positions des uns et des autres…
L’accalmie attendra bien un peu
Il faut également reconnaître que la méthode de travail choisie par les employeurs – avec l’accord des pouvoirs publics – n’a pas précisément été la meilleure. En n’attendant pas la promulgation du décret relatif au socle social minimal et en s’apprêtant à mener de front la négociation de la future convention collective et du futur accord propre à la SNCF, ils ont irrité des syndicats de salariés pourtant globalement ouverts à la concertation. Surtout, paradoxalement, les employeurs ont mis les syndicats en position de force, en leur permettant d’organiser des grèves susceptibles de peser sur l’écriture des trois textes.
Dans le contexte de forte concurrence syndicale qui caractérise la SNCF, il est désormais pour le moins improbable que les organisations plus modérées fassent machine arrière et acceptent, en l’état, les principales propositions patronales. Par conséquent, si les pouvoirs publics et les représentants des employeurs n’acceptent pas de revoir tout à fait leurs exigences, il faut s’attendre à ce que les relations sociales du secteur ferroviaire fassent régulièrement la Une de l’actualité sociale.