Le délai de prescription d’une requalification d’un CDD en CDI, sans mention au contrat, court dès la conclusion du contrat

Cet article a été rédigé pour le site du syndicat de salariés CFDT

 

Réduire les délais de prescription de 2 à 1 an des procédures engagées par les salariés ne suffisait pas, la Cour de cassation est récemment venue contraindre un peu plus leur champ d’action. Elle a en effet jugé que le délai de prescription d’une action en requalification d’un CDD en CDI, fondée sur l’absence d’une mention au contrat, commençait à courir dès la conclusion du contrat et non pas au moment de la rupture de la relation de travail. Cass. soc. 03.05.18, n° 16-26437. 

  • Faits et procédure

L’affaire est relativement simple : En 2004, un salarié est embauché par une société en qualité de négociateur immobilier dans le cadre d’un CDD allant du 12 au 31 juillet. Durant les 10 années qui suivront, le salarié va enchaîner, toujours pour le compte de la même société, de nombreux autres CDD. Or, en 2014, comprenant que son dernier contrat, dont le terme était fixé au 15 janvier, ne serait pas renouvelé, le salarié saisit le conseil de prud’hommes afin de demander la requalification de son premier CDD (signé en 2004) en CDI. Il invoque pour cela l’absence de la mention au contrat du motif de recours au CDD. 

Malheureusement, les espoirs du salarié vont rapidement être déchus et sa demande de requalification rejetée par la cour d’appel. Selon elle, le point de départ de la prescription de la demande de requalification du contrat se situe à la date de conclusion du contrat (soit le 12 juillet 2004), et non au terme de son dernier CDD (soit le 15 janvier 2014). L’action du salarié est donc prescrite. 

Le salarié conteste et se pourvoit en cassation. 

  • Rappel des règles en matière de prescription

Pour bien comprendre l’importance et la portée de cette décision, il semble nécessaire de faire un rappel des règles en matière de prescription qui n’ont cessé de faire l’objet de modifications ces 10 dernières années que ce soit en matière civile ou plus spécifiquement en droit du travail. 

Jusqu’ici portée à 30 ans, la loi du 17 juin 2008 (1) a tout d’abord réduit à 5 ans le délai de prescription de droit commun applicable aux actions personnelles et mobilières (art 2224 du Code civil). 

Puis, en droit du travail, c’est la loi du 14 juin 2013 (2) qui a créé un délai de prescription commun de 2 ans à toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail (3) (art L.1471-1 al.1erC.trav.) tout en laissant soumis d’autres actions à des délais de prescription spécifiques (art. L.1471-1 al.2) (4). 

Enfin, l’ordonnance du 20 décembre 2017(5) a ramené de 2 ans à 12 mois les actions portant sur la rupture du contrat de travail. 

Quant à l’articulation à opérer entre la prescription en matière civile et celle prévue en droit du travail, le principe est le suivant : on applique le délai de prescription de droit commun prévu par le Code civil, sauf lorsque le Code du travail comporte des dispositions spécifiques. Si cette articulation peut sembler simple de prime abord, la concurrence de ces deux matières peut susciter des difficultés d’application, comme cela a été le cas dans notre présente affaire. 

Les questions soulevées par cet arrêt portaient donc sur deux points. 

Tout d’abord sur la nature de la prescription applicable lorsque l’action en requalification fait suite à une absence de mention obligatoire du CDD susceptible d’ouvrir droit à une requalification en CDI. Doit-on prendre en compte la prescription quinquennale prévue par le Code civil ou celle de 2 ans prévue par l’article L. 4171-1 al.1 du Code du travail en vigueur à l’époque des faits ? 

– Il convient ensuite de déterminer le point de départ de ce délai de prescription. 

  • Sur la nature du délai de prescription applicable

Pour le salarié, le délai de prescription applicable à son action était incontestablement celui prévu en matière civile par l’article 2224 du Code civil, soit la prescription quinquennale. En effet, son action portant sur la formation du contrat et non sur son exécution ni sur sa rupture, la prescription de deux ans prévue par le Code du travail (art. L.4171-1 al.1) était exclue. 

Pourtant la Cour de cassation ne va pas aller dans son sens. Selon elle, peu importe que l’action porte sur la formation du contrat, et non sur son « exécution » ou sa « rupture » visées expressément par le Code du travail. C’est bien la prescription prévue par l’article L. 4171-1 du Code du travail qu’il convient aussi d’appliquer lorsque l’action en requalification est fondée sur l’absence d’un élément essentiel du contrat susceptible d’entraîner sa requalification. 

« (…) aux termes de l’article L. 1471-1 du Code du travail dans sa rédaction applicable au litige, toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit ». 

Une fois précisée la nature de la prescription applicable, encore fallait-il en déterminer le point de départ… 

  • Sur le point de départ du délai de prescription

Selon le salarié, le délai de prescription prévu par l’art. 2224 du Code civil dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 ne courait qu’à compter du terme du dernier CDD, soit le 15 janvier 2014. 

Une fois encore, la Cour de cassation ne va pas suivre son raisonnement. Elle précise au contraire que « le délai de prescription d’une action en requalification d’un contrat à durée déterminée, fondée sur l’absence d’une mention au contrat susceptible d’entraîner sa requalification court à compter de la conclusion de ce contrat ». A partir du moment où l’action du salarié était fondée sur l’absence du motif de recours au contrat signé le 12 juillet 2004, le point de départ du délai de prescription de cette action était donc fixé ce jour-là, et non au terme du dernier CDD signé ainsi que le prétendait le salarié. 

  • Une solution dangereuse en pratique

Si la solution peut présenter une certaine logique puisque c’est effectivement le jour où le salarié signe son contrat qu’il peut en apprécier la validité, elle va sacrément compliquer son action ! 

En pratique c’est le plus souvent au moment de la rupture du CDD que le salarié en demande la requalification en CDI, or, avec cette décision, lorsque le salarié fondera son action sur une irrégularité dans la formation de son contrat (tel qu’un défaut d’une mention obligatoire), son délai pour agir courra à compter de la signature de celui-ci, ce qui pourrait concrètement l’obliger à engager son action contre son employeur alors même qu’il sera encore sous contrat, sous peine de voir son action irrecevable ! 

Dans des relations de travail, où le rapport de force entre salarié et employeur est souvent déséquilibré, on comprend aisément combien cette action va s’avérer difficile à exercer pour un salarié qui pourra légitimement craindre de voir ses relations et conditions de travail se dégrader de façon plus ou moins sensible… 

Toutefois, les effets néfastes de cette décision peuvent être partiellement atténués puisqu’a priori celle-ci ne trouve à s’appliquer que dans l’hypothèse où l’action en requalification est fondée « sur l’absence d’une mention au contrat susceptible d’entraîner sa requalification ». 

Autrement dit, dès lors qu’elle portera sur un élément dont le salarié ne pouvait pas avoir connaissance au moment de la signature de son contrat (comme par exemple un motif de recours finalement inexact) le délai de prescription ne commencera à courir que le jour où le salarié en aura eu connaissance et non pas au jour de la conclusion du contrat. Il en est de même en cas de succession irrégulière de CDD. 


(1)L. 1132-1, L. 1152-1 et L. 1153-1. Elles ne font obstacle ni aux délais de prescription plus courts prévus par le présent code et notamment ceux prévus aux articles L. 1233-67, L. 1234-20, L. 1235-7 et L. 1237-14, ni à l’application du dernier alinéa de l’article L. 1134-5 ».(5) Ordonnance n°2017-1718 du 20.12.17. 

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