Le contrôle du forfait jours est toujours d’actualité dans les accords de branche

Cet article est issu du site du syndicat de salariés CFDT.

Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées raisonnables de travail et des plages minimales de repos.  

Tel n’est pas le cas d’un accord qui ne prévoit pas de suivi effectif et régulier des états récapitulatifs du temps travaillé permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail trop importante. C’est ce qu’a récemment jugé la Cour de cassation, qui poursuit doucement mais sûrement son contrôle sur l’encadrement collectif des forfaits jours. Cass.soc.06.11.19, n°18-19752. 

  • Les faits et la procédure

Voilà un peu plus d’1 an qu’il travaille pour une association en qualité de directeur général, quand le salarié se voit licencié pour faute grave, en 2014. Il saisit alors le conseil de prud’hommes afin de réclamer des rappels de salaire au titre d’heures supplémentaires. Pour être tout à fait précis, ce que conteste le salarié, c’est la validité de la convention de forfait en jours à laquelle il était soumis. 

Selon lui, les dispositions de son contrat sont irrégulières, car elles ne mentionnent pas les modalités de décompte des journées ou demi-journées travaillées, et fixent à 208 le nombre de jours annuels travaillés, alors que la convention collective applicable les limite à 207. 

Il ajoute qu’aucun entretien préalable spécifique à l’exécution de la convention de forfait n’avait été mis en place. 

Seulement, la cour d’appel n’est pas tout à fait du même avis et déboute le salarié aux motifs que : 

– la mention des 208 jours fixés au contrat n’est pas irrégulière, puisque ce nombre de jours tient seulement compte de la journée de solidarité ; 

– ensuite, s’agissant du contrôle des heures de travail effectuées, elle estime que s’il appartient effectivement à l’employeur de fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires réellement réalisés par le salarié, ce dernier est ici de bien mauvaise foi… En effet, en qualité de directeur, il lui incombait de s’assurer du respect par l’association de la règlementation sociale, notamment en matière de durée et d’aménagement du travail. Difficile de contester le respect de règles dont on a finalement la charge ! 

Pour le salarié, la cour d’appel aurait dû apprécier si les modalités d’organisation du forfait jours prévues par l’accord collectif applicable à l’association permettaient bien de garantir une amplitude et une charge de travail raisonnables, ainsi qu’une bonne répartition du travail dans le temps. Il se pourvoit donc en cassation. 

 

Pour rappel, les conventions de forfaits jours sont réservées à une certaine catégorie de salariés qualifiés d’« autonomes » dans l’organisation de leur emploi du temps. Ce dispositif consiste à décompter leur temps de travail non pas en heures, mais en jours. Ce qui explique que ces salariés soient exclus des dispositions relatives à la durée légale et aux durées maximales de travail pour n’être finalement soumis qu’aux durées minimales de repos obligatoire (quotidiennes (11 heures) et hebdomadaire (35 heures)). Par ailleurs, pour être mises en place en place dans une entreprise, les conventions de forfait en jours doivent obligatoirement être prévues par un accord collectif. Depuis un certain nombre d’années (et de condamnations…), et en vue de limiter les effets pervers de ce dispositif, la jurisprudence exige de cet accord qu’il comporte des dispositions propres à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés et à garantir une durée maximale raisonnable de travail. Faute de quoi, les conventions de forfaits jours qui seraient signées sur la base de cet accord seraient déclarées nulles. 

A noter : ces évolutions jurisprudentielles ont été à l’origine de l’évolution des textes notamment avec la loi Travail(1), qui a expressément mis à la charge de l’employeur une véritable obligation de s’assurer régulièrement que la charge de travail du salarié soit raisonnable et permette une bonne répartition dans le temps. La loi Travail a également renforcé le contenu des accords collectifs sur ce point. Ces disositions ne s’appliquent toutefois pas dans notre affaire, le salarié ayant été licencié en 2014. 

  • Des garanties insuffisantes à assurer un suivi effectif et réel des temps travaillés

Dans notre affaire, la convention collective applicable à l’association(2) prévoit les mesures suivantes :  

un forfait limité à 207 jours pour les directeurs ; 

l’obligation pour la hiérarchie, dans l’année de conclusion de la convention de forfait, d’examiner avec le cadre sa charge de travail et les éventuelles modifications à y apporter. Cet entretien doit faire l’objet d’un compte rendu visé par le cadre et son supérieur hiérarchique ; 

l’obligation d’examiner, les années suivantes, l’amplitude de la journée d’activité et la charge de travail du cadre lors de l’entretien professionnel annuel ; 

– l’obligation pour le cadre d’établir un décompte mensuel visé par son supérieur hiérarchique. 

Si cette liste de mesures semble à première vue plutôt longue, elle est, pour la Cour de cassation, encore insuffisante ! 

Les Hauts magistrats donnent raison au salarié. Ils commencent par rappeler que le droit à la santé et au repos constitue une exigence constitutionnelle, qu’au regard des directives de l’Union européenne, les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travail, et enfin que toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos journaliers et hebdomadaires. 

Puis ils considèrent que l’accord collectif en question ne prévoit pas de suivi effectif et régulier par la hiérarchie des états récapitulatifs de temps travaillé transmis qui aurait permis à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable. Les mesures mises en oeuvre ne sont donc pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables ni à assurer une bonne répartition dans le temps du travail de l’intéressé. La convention individuelle de forfait en jours est donc nulle. 

  • Une jurisprudence toujours plus exigeante en matière d’encadrement de la charge de travail et de respect des temps de repos

La solution dégagée ici est tout sauf surprenante. En 2017 déjà (3), la jurisprudence avait semblé exiger que le suivi mis en œuvre par l’employeur lui permette de réagir « en temps utile » et que les remontées faites par les salariés en forfait jours soient en mesure de générer une réaction de sa part. 

Mais cette rigueur du juge quant à l’encadrement collectif des forfaits jours se justifie avant tout par l’insuffisance de gardes-fous qu’apporte le législateur en termes de durée de travail excessive et de ses conséquences néfastes sur la santé. Ce qui était d’ailleurs d’autant plus vrai avant la loi Travail de 2016, ce qui est le cas de notre affaire… 

La constance de la jurisprudence sur ce contrôle de la charge de travail des salariés en forfait jours est très positive : elle contribue à protéger la santé et la sécurité des travailleurs et contrebalance une législation qui, bien qu’améliorée par la loi Travail, demeure insuffisante. 

Quant aux employeurs, une telle décision est tout sauf neutre, car la nullité d’une convention individuelle de forfait jours rime avec rappel de salaires au titre d’heures supplémentaires. 

Un suivi effectif et suffisamment régulier pour permettre à l’employeur de rectifier le tir en cas d’excès est donc vivement conseillé ! 

 

(1) Loi Travail n°2016-1088 du 08.08.16. 

(2) CCN organismes gestionnaires de foyers et services pour jeunes travailleurs du 16 juillet 2003 et ses avenants. 

(3) Cass.soc.05.10.17, n° 16-23106 : qu’un système auto-déclaratif devait s’accompagner d’un contrôle effectif et régulier par le supérieur hiérarchique des relevés que lui transmet le salarié et ce dans le but d’apporter les correctifs nécessasires en cas de dépassement ou de surcharge de travail détectée. Dès lors que l’accord collectif n’a pas prévu et organisé ce suivi, la convention de forfait conclue sur la base de cet accord, dont les dispositions ne sont pas suffisamment précises, est nulle. 

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