Destiné à favoriser l’emploi de publics particulièrement touchés par le chômage, le contrat de professionnalisation appartient à la famille des contrats aidés, avec la spécificité de l’alternance de périodes en entreprise et périodes de formation. Il n’en reste pas moins un contrat de travail à part entière, soumis aux règles de droit commun qui peinent parfois à s’articuler avec les objectifs particuliers qui lui sont assignés.
Son emplacement au sein du Code du Travail pourrait induire en erreur. Le contrat de professionnalisation est en effet envisagé aux articles L. 6325-1 et suivants, au sein de la Sixième partie du Code, consacrée à « la formation professionnelle tout au long de la vie ». Il est pourtant bien défini comme « un contrat de travail associant une formation théorique dispensée en centre de formation à l’acquisition de savoir-faire sur poste de travail en entreprise »[1].
Un contrat de travail aux nombreuses particularités
S’agissant juridiquement d’un contrat de travail, il comporte les obligations réciproques classiques. Pourtant, il présente des particularités indéniables, notamment dans les objectifs assignés. L’article L. 6325-1 nous rappelle en effet que « le contrat de professionnalisation a pour objet de permettre d’acquérir une des qualifications prévues à l’article L. 6314-1[2] et de favoriser l’insertion ou la réinsertion professionnelle ». Il peut ainsi déboucher sur l’obtention d’un Master 2 en Droit, d’un diplôme d’expert automobile, ou encore au titre de conducteur de grue … Le champ est relativement large et couvre tous les domaines professionnels.
Pour le salarié, il s’agit d’une opportunité d’apprendre « concrètement » un métier, validé par une qualification reconnue ; ou bien d’envisager une reconversion. L’entreprise fait davantage un investissement (avec les risques que cela comporte), car le salarié n’est pas entièrement opérationnel durant cette phase d’apprentissage, et son temps de présence est morcelé.
De ces objectifs de qualification et d’insertion professionnelle découlent forcément des règles propres au contrat de professionnalisation, notamment sur sa formation, son exécution ou la rémunération.
Ainsi, bien que l’ensemble des employeurs de droit privé établis ou domiciliés en France puissent recourir au contrat de professionnalisation (y compris les entreprises de travail temporaire), il ne peut être conclu à l’inverse qu’avec certains travailleurs, énumérés à l’art. L. 6325-1. Il s’agit des jeunes de 16 à 25 ans (pour compléter leur formation initiale), des demandeurs d’emploi de plus de 26 ans (inscrits à Pôle Emploi), et des bénéficiaires de minimas sociaux (RSA, AAH ou ASH).
Le contrat conclu pourra prendre la forme d’un CDD (d’une durée entre six et douze mois), ou d’un CDI directement[3]. La rémunération à verser dépendra ensuite de l’âge du salarié et de son niveau de formation, entre 55% et 80% du SMIC, sauf dispositions conventionnelles plus favorables. Par contre, ce salaire n’est pas lié directement au temps de présence dans l’entreprise, puisque les périodes en centre de formation sont assimilées à du temps de travail.
Ce contrat sera forcément établi par écrit. L’employeur se chargera ensuite de l’adresser à son OPCA[4], si possible avant le début du contrat et au plus tard dans les cinq jours qui suivent son commencement. Cet organisme est chargé d’émettre un avis sur la prise en charge des dépenses de formation (selon un forfait défini par accord de branche, le plus souvent), avant de le déposer à la DIRECCTE, qui procède à son enregistrement s’il est conforme aux dispositions légales et conventionnelles. L’OPCA est d’ailleurs chargée d’un « pré-contrôle » de conformité du contrat: si le filtre ne fonctionnait pas et qu’elle venait à déposer à l’administration un dossier non conforme, sa responsabilité pourrait être engagée par l’employeur qui subirait naturellement un préjudice[5].
Une rigidité adaptée à l’objectif ambitieux du contrat de professionnalisation ?
Le statut du salarié « en professionnalisation », qui n’est d’ailleurs pas pris en compte dans les effectifs de l’entreprise, est bien particulier. Mais son contrat de travail reste caractérisé par la fourniture d’un travail (art. L. 6325-3 : « le salarié s’engage à travailler pour le compte de son employeur »), le versement d’une rémunération, et l’essentiel lien de subordination juridique.
Dès lors, il supporte les droits et obligations classiques des salariés du privé. Par exemple, une retenue sur salaire pourra être pratiquée en cas d’absence injustifiée, y compris en période de formation. De même, l’employeur peut en principe faire usage de son pouvoir disciplinaire. Mais le fait que le salarié soit « en apprentissage » le différencie forcément des autres salariés. Par exemple, cela devrait le protéger d’une sanction disciplinaire en cas d’insuffisances, mêmes répétées, sur son poste. Etant en cours de qualification, on ne peut pas lui reprocher les mêmes erreurs qu’un salarié lambda.
Le Code du Travail n’a pourtant pas spécialement prévu d’adaptation des règles au cas du salarié « en professionnalisation », c’est-à-dire en cours d’apprentissage d’un métier, qui a besoin de plus de temps, plus de suivi, pour effectuer sa mission. On se situe dans le droit commun. Pire encore, l’art. L. 6325-10 pose que la durée du travail du salarié ne peut excéder la durée hebdomadaire pratiquée dans l’entreprise : même si ces heures étaient dûment payées, en théorie ! L’employeur qui doit « rendre opérationnel » le salarié dans un temps réduit marche donc sur des œufs, surtout avec le développement à grande vitesse des risques psycho-sociaux, notamment liés au stress.
N’étant pas encore autonome, le salarié en professionnalisation est davantage soumis aux ordres, aux contrôles, et ce faisant, plus exposé à la critique. Le risque est que cela soit mal perçu par ce personnel (qui parfois découvre le monde de l’entreprise), et que cela débouche sur des absences maladie longue durée, la reconnaissance d’une maladie professionnelle (hors tableaux, ce qui limite encore les cas), ou encore une rupture aux torts de l’employeur (sur le terrain de son obligation de sécurité, notamment).
Former et qualifier un salarié en un temps limité tout en restant toujours dans les limites tracées par le Code du Travail, voilà une mission qui peut s’avérer compliquée pour les employeurs … L’exercice du pouvoir de direction peut rapidement être source de contentieux, à l’issue incertaines. Rappelons que selon une étude de la DARES, si l’on dénombrait 200.000 contrats de professionnalisation fin 2015, près d’un sur cinq ne seraient pas menés à leur terme !
[1] Circulaire DGEFP n°2012-15 du 19 juillet 2012 relative à la mise en œuvre du contrat de professionnalisation. [2] On vise les qualifications inscrites au RNCP, reconnues par une branche, ou ouvrant droit à un « certificat de qualification professionnelle ». [3] Dans ce cas-là, la période d’alternance sera limitée à douze mois, bien que des exceptions soient prévues aux articles L. 6325-11 et suivants (jusqu’à 24 mois). [4] Organisme qui gère le financement de la formation professionnelle de la branche. [5] Voir Circulaire DGEFP n°2012-15 du 19 juillet 2012 – Question 2.1.4.